VI u Libération Samedi10 et Dimanche11 Août 2019
N
on mais à l’eau, non mais à
l’eau! C’est en 2012 que le pho-
tographe Mustafah Abdulaziz
a plongé dans cet appel aqua-
tique. Ce natif de Brooklyn s’est donné
au moins une quinzaine d’années pour
étancher son sujet. Armé de son appareil
photo argentique moyen format et de
ses deux focales, il est parti à l’assaut de
la douzaine de pays désignés lors de ses
études préparatoires.
Alors, comment ne pas se sentir sub-
mergé par tant d’images, de situations
et de typologies de photographies diffé-
rentes. Le spectateur est sans doute
amené à apprendre à nager dans ce flot,
toujours en production, comme l’a
appris le photographe autodidacte
lui-même. D’abord parti vers la Sierra
Leone, puis la Somalie, l’Inde, l’Ethiopie
et le Pakistan, il arrive en 2015 à la rivière
Yang-Tsé en Chine, au bord de laquelle
vit un quinzième de l’humanité.
Plus récemment, c’est en Californie, en
Australie, en Islande et Afrique du Sud
qu’il pérégrine, avant d’entamer un tra-
vail plus spécifique sur les changements
climatiques aux Etats-Unis, du côté de
la Louisiane, du Texas et de la Floride.
Une nouvelle approche qui initie une
deuxième phase du projet, après
sept ans d’un état des lieux nécessaire
selon son auteur.
En 1968, le cinéaste américain Frank
Perry réalisele Plongeon,une éclabous-
sante et admirable critique du rêve
américain et de son individualisme. Le
personnage Ned Merrill, joué par Burt
Lancaster,sortdesboisvêtud’unmaillot
de bain et plonge dans la piscine d’un
manoirduConnecticut.Encoredégouli-
nant,ilfaitpartauxpropriétairesdubas-
sin de son intention de rentrer chez lui
de piscine en piscine, en suivant cette
«rivière» qu’il baptisera Lucinda (le pré-
nom de sa femme).
C’est un voyage très analogue qu’a entre-
pris le photographe: toute sa production
se relie par une simple molécule, son
Mamiya 7 retient les gouttes, les ancien-
nes et les nouvelles, comme le short de
Burt. S’attachant à l’élément de base, la
source de la vie, lui permettant d’accro-
cher les sujets de la préservation de
l’eau, les chaos qu’entraîne l’eau quand
elle est souillée, mais aussi la vie quoti-
dienne qui en découle, de la formation
des paysages aux rites religieux qui y
creusent leur lit.
«Ce rôle est celui d’un documentariste.
L’échelle de mon investigation sur l’eau
a une perspective plus lointaine, pour
des temps où nous aurons du recul sur ces
changements et où nous pourrons avoir
une approche globale du sujet. Seule-
ment alors apparaîtra la vraie valeur de
ce travail : le temps nous dira si nous
avons réussi à changer nos relations avec
notre environnement pour le meilleur.»
Mustafah Abdulaziz documente et fige
l’eau qui coule: à nous d’y voir comment
l’on s’y reflète.
DYLAN CALVES
Les
cours
de la vie
MUSTAFAH ABDULAZIZ
né en 1986 à New York,
vit à Berlin. Son projet «Water»
est soutenu par les Nations
unies, WaterAid,
VSCO et Google.
EauTout l’été, les cinq éléments revisités
par des photographes. Aujourd’hui,
Mustafah Abdulaziz livre une étude
photographique de la ressource la plus
vitale de notre planète.
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