Libération Samedi10 et Dimanche11 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u IX
sie. C’est là qu’elle rencontre la fine fleur du
Paris révolutionnaire: Jules Vallès, Raoul Ri-
gault, Emile Eudes... Républicaine révoltée
par la misère ouvrière –c’est l’époque de l’im-
pitoyable développement industriel, des
journées de douze heures, des salaires de mi-
sère, des taudis et des révoltes cruelles dont
Zola sera le peintre minutieux–, elle devient
blanquiste, ralliée à la révolution socialiste
et à l’insurrection fomentée par de ténébreux
conspirateurs à longue barbe. En 1865, elle
ouvre une autre école à Montmartre et fait la
connaissance de Clemenceau, le médecin des
pauvres, bientôt maire du quartier, avec le-
quel elle entretient une fidèle amitié qui sur-
vivra à leurs désaccords politiques.
A l’été 1870, Napoléon III entre imprudem-
ment en guerre contre la Prusse de Bismarck.
C’est la déroute de l’armée française, taillée
en pièces par les soldats de Guillaume Ier. Les
Prussiens piègent à Sedan un
empereur malade qui n’a pas le
génie stratégique de son oncle.
Le 4 septembre, la République
est proclamée ; le 19, l’armée
prussienne met le siège devant
Paris, qui résiste héroïquement.
Louise Michel est présidente du
Comité de vigilance des femmes
de Montmartre. Avec l’aide de
Clemenceau, elle organise une
cantine pour les enfants pauvres
et se lance corps et âme dans la
défense de la ville éprouvée par
la famine. Le 18 janvier 1871,
humiliation radicale, l’empire
allemand est proclamé dans la
Galerie des glaces de Versailles.
Le 28, le gouvernement provisoire signe un
armistice et, le 8 février, les élections législati-
ves désignent une majorité monarchiste
«pour la paix», alors que les députés de Paris,
issus du socialisme et du républicanisme in-
transigeant, sont «pour la guerre».
La nouvelle assemblée décide de négocier
avec les Prussiens et nomme des bonapartis-
tes aux postes clés de la capitale, interdisant
les journaux révolutionnaires, au premier
chefle Cri du peuplede Vallès. Le peuple de
Paris, indigné, vibre aux accents d’un«patrio-
tisme de gauche»et rejette l’assemblée réunie
à Versailles. Aussi, le 17 mars au soir, quand
Thiers ordonne de reprendre à la garde natio-
nale les canons entreposés à Montmartre,
c’est l’insurrection. Louise Michel est au
premier rang des femmes qui s’opposent au
départ des canons et rallient les troupes à
l’émeute. L’est de Paris se hérisse de barrica-
des, Thiers se réfugie à Versailles, une «Com-
mune de Paris» est désignée le 26 mars sur le
modèle de celle qui renversa le roi en 1792.
Composée de républicains, de socialistes et
de blanquistes, héritière des Montagnards
de 1793, la Commune met en œuvre plusieurs
réformes sociales et démocratiques, dans un
esprit mi-jacobin, mi-libertaire, mais s’oc-
cupe surtout de la défense de Paris, encerclé
par les Versaillais.
Louise Michel soutient les plus radicaux des
communards. Elle se propose en vain pour
aller assassiner Thiers à Versailles, elle veut
que les troupes fédérées marchent directe-
ment sur l’Assemblée. Elle approuve enfin
l’exécution des otages –des religieux pour la
plupart– ordonnée par son ami blanquiste
Ferré quand les troupes versaillaises entrent
à Paris par la Porte de Saint-Cloud, ce qui ser-
vira grandement la propagande de Thiers
alors même que les exactions sont infiniment
plus nombreuses du côté gouvernemental.
Elle combat sous l’uniforme des gardes natio-
naux, au premier rang dans la défense de
l’ouest parisien. Elle échappe aux arrestations
pendant la Semaine sanglante, mais comme
les Versaillais ont emprisonné sa mère, elle se
livre en échange de sa libération. Condamnée
par le conseil de guerre, emprisonnée à Aube-
rive (Haute-Marne), elle monte à bord duVir-
giniele 24 août 1873 en compagnie des survi-
vants de la Commune, dont Henri Rochefort,
polémiste acharné, et Nathalie Lemel, mili-
tante féministe, amie de Varlin et l’une des
premières déléguées syndicales en France.
Radicale quoique courtoise
En Nouvelle-Calédonie, elle passe deux ans en
forteresse. Elle lit Bakounine, Kropotkine, et
adhère aux idées anarchistes, très critique des
tendances autoritaires de la Commune. Sous
la pression des républicains radicaux, sa peine
est commuée en bannissement simple. Elle
s’installe comme institutrice à la baie de
l’Ouest et ouvre son école aux Canaques, dont
elle soutient les revendications. En juillet 1880,
la campagne pour l’amnistie menée par Hugo
et par les radicaux finit par aboutir. Louise Mi-
chel, dont l’histoire a été largement rapportée,
arrive à Dieppe (Seine-Maritime) le 9 novem-
bre, puis à Saint-Lazare, où l’accueille une
foule enthousiaste. Une nouvelle vie com-
mence. Icône du peuple, elle sillonne inlassa-
blement le pays pour porter la bonne parole
révolutionnaire, exaltant la révolte ouvrière et
l’émancipation féminine, radicale dans ses
vues quoique courtoise et amicale avec les
autres courants républicains, toujours amie de
Hugo et de Clemenceau.
On l’emprisonne puis on la libère. Un exalté,
Lucas, lui tire deux balles dans la tête dont
l’une restera fichée dans son crâne. Elle de-
mande son acquittement et l’obtient. Elle
voyage à Londres, en Belgique, aux Pays-Bas,
en Algérie, messagère du passé communard
et de l’avenir socialiste. Elle meurt à Marseille
en janvier 1905, épuisée à la tâche, au mo-
ment où les socialistes, héritiers divisés de la
Commune de Paris, font enfin leur unité sous
l’égide de Jaurès.
Victor Hugo lui dédie un poème,Viro Major
(«Plus qu’un homme»), rappelant l’adresse aux
juges du conseil de guerre qui a fait sa gloire:
«Ayant vu le massacre immense, le combat, /
Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat /
[...] Et lasse de lutter, de rêver, de souffrir, / Tu
disais : J’ai tué! car tu voulais mourir. / [...] Et
ceux qui comme moi, te savent incapable / De
tout ce qui n’est pas héroïsme et vertu / Qui sa-
vent que si l’on te disait: D’où viens-tu ?/ Tu ré-
pondrais : Je viens de la nuit où l’on souffre /
Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux /
Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs, donnés
à tous / Ton oubli de toi-même à secourir les
autres / [...] Malgré ta voix fatale et haute qui
t’accuse, / Voyaient resplendir l’ange à travers
la méduse.»Avec, pour testament, cet adage
simple écrit par elle pour ceux qui croient en-
core à l’avenir:«Chacun cherche sa route, nous
cherchons la nôtre et nous pensons que le jour
où le règne de la liberté sera arrivé, le genre hu-
main sera heureux.»•
Icône du peuple,
elle sillonne
inlassablement
le pays pour porter
la bonne parole
révolutionnaire,
exaltant la révolte
ouvrière et
l’émancipation
féminine.
rouge» fut une des figures clés de la Commune de Paris.PHOTO ADOC