Libération Samedi10 et Dimanche11 Août 2019 http://www.liberation.fr ffacebook.com/liberation t@libe u XIII
SUMMER OF FREEDOM /SUMMER OF FREEDOM / ÉTÉ
DAVID HASSELHOFF,
HONNI SOIT QUI MALIBU
Oliver Schwabe signe
un documentaire
à fond de caisse
sur l’acteur des séries
«K2000», «Alerte
à Malibu» et «les Feux
de l’amour» devenu
chanteur icône
de la chute du Mur.
L
a première image ne
montre pas l’homme
mais la voiture, la Pon-
tiac Firebird noire au
capot clignotant comme le serpent
des vieux Nokia –K2000,série amé-
ricaine, quatre saisons. En France,
au milieu des années 80, les aven-
tures de cette caisse parlante ont
fait la fortune de la 5, chaîne spécia-
lisée dans la multidiffusion des pro-
grammes centrés sur les moyens
de transport. Les pilotes affichaient
des mines graves : il y avait le mi-
litaire mutique de Supercopter,le
motard psychorigide deTonnerre
mécanique... et, à côté d’eux, le play-
boy distancié qui conduisait K2000
et sauvait veuves et orphelins tout
en devisant sur les vicissitudes
de l’existence par delà le bien et le
kitsch. Quelques années plus tard,
le même était dissimulé au milieu
d’une nuée de jeunes femmes en
maillot sur les plages de Malibu. On
n’a jamais vraiment su qui, de l’ac-
teur ou du string de la victime se
noyant au ralenti, était le véritable
héros de la série. Aussi, jeter un cil
à ce docu nous permet enfin de dé-
couvrir l’homme caché derrière les
volants et les bikinis, la grande ba-
raque aux cheveux frisés sur une
mâchoire aux dents de lapin, lui,
David Hasselhoff, alias «le Hoff».
Aquarium géant.Le Hoff est ins-
tantanément devenu notrebuddy
pour la vie. Quel plaisir de le voir ra-
conter sa carrière polytalent, tantôt
assis sur le tabouret de son piano
dans sa maison de Los Angeles aux
murs couverts de disques d’or (tous
ne sont pas accrochés), tantôt près
de son aquarium géant avec ses
«potes» les poissons (il adore leur
donner du rab de daphnies chaque
matin), ou encore dans son jacuzzi
en plein air, ou près de sa statue
géante qui le représente nageant en
slip de bain rouge... Quel bagout,
quel charme, quel homme.«J’ai un
don pour faire sourire les gens»,ex-
plique-t-il en souriant – et en effet
nous sourions.
Son parcours est banal pour qui
croit au rêve américain. Rejeton
d’une famille allemande débarquée
en 1865, le jeune David préfère les
planches à l’école, rêve de Broad-
way, passe par une école militaire
catho, échoue à intégrer une univer-
sité prestigieuse, se retrouve au Ca-
lifornia Institute of the Arts où il
reste six mois(«A part essayer plein
de drogues, je ne faisais pas grand-
chose de mes journées»),intègre une
communauté au bord de la mer,
tente sa chance à Hollywood, de-
vient donc serveur et se retrouve
engagé dansles Feux de l’amour.
Bingo.«Le soap mise avant tout sur
le physique. Et pas sur mes talents
d’acteur, car je n’étais vraiment pas
terrible.»Lui qui joue mal devient
une star de la télé, enchaîne avec
K2000et déprime lorsque la série
est arrêtée. Heureusement, le Hoff
aime la musique.«Ça a pris du
temps pour que je devienne chan-
teur.»Et lui qui chante sans génie
va voir sa carrière se transformer en
féérie rocambolesque.
Il déjeune avec une fan sélectionnée
par un mag autrichien qui lui expli-
que que son singleNight Rocker
(«Les paroles n’étaient pas terri-
bles»)est numéro 1 du côté de
Vienne. Ni une ni deux, Hasselhoff
traverse l’Atlantique(«C’est grand
comme le Rhode Island et ça s’ap-
pelle l’Autriche? J’arrive !») en
emportant K2000 dans ses bagages
pour une tournée en play-back
(«Les gens qui ne savent pas que je
chante viendront au moins pour la
voiture»).
Gloire inattendue.Là-bas, un
producteur lui propose un nouveau
titre,Looking for Freedom.Il en
écoule 11 millions de 45-tours... tout
en restant au creux de la vague aux
Etats-Unis. L’amour des racines
européennes prend alors le dessus:
«Si c’est comme ça, j’irai en Alle-
magne le week-end mettre mes ha-
bits de rockeur et me faire plein de
fric»,décide-t-il.
Mais, plus que l’argent, Hasselhoff
découvre une gloire inattendue.
Son tube devient l’hymne des Alle-
mands de l’Est tambourinant au
mur de Berlin. Et son interprète,
une icône du soulèvement de no-
vembre 1989, le visage radieux d’un
Occident donnant le coup de grâce
à la guerre froide. Au nouvel an de
la même année, le Hoff se retrouve
sur une nacelle au-dessus de la
porte de Brandebourg chantant
Looking for Freedomen veste cli-
gnotante devant 1 million de Berli-
nois chauds bouillants. Trente-six
heures plus tard, il barbote dans
une baie californienne où ses parte-
naires d’Alerte à Malibului deman-
dent ce qu’il a fait pour le réveillon.
Délire.
Aujourd’hui, à 67 ans, le Hoff
aux treize albums chante toujours
Looking for Freedomdans des salles
allemandes, sur une chorégraphie
où il entasse blouson deK2000,gi-
lets de sauvetage d’Alerte à Malibu
et souvenirs du mur abattu. Au dé-
tour d’une phrase, il peste contre
«la presse qui [le] traîne dans la
boue»et dont il se relève glorieux.
Voilà ce qui manque à ce docu mené
et déclamé par son sujet même, un
contrepoint qui fouillerait certains
de ses déboires.«J’ai une devise :
“Lâcher prise et laisser agir Dieu.”
Elle vient des Alcooliques anony-
mes»,entrebâillait pourtant une
porte, sans toutefois l’ouvrir.
GUILLAUME TION
David Hasselhoff
à Sydney,
en octobre 1998,
à l’occasion d’un tournage
pourAlerte à Malibu.
PHOTO WILLIAM WEST. AFP
À VOIR SUR ARTE
Passez un bel été sur Arte
avecLibération.
nCe dimanche à 22 h50
Being David Hasselhoff
d’Oliver Schwabe.
Disponible en replay
jusqu’au 9 septembre.