MLemagazine du Monde — 10 août 2019
Les mains Levées vers LefauxpLafond,Lepère
augustin edou présente Le«corps du christ»
auxpensionnaires. Là,danslasalle de
restauration de la résidenceBon Air,
deux tables recouvertesd’undrapblanc
font office d’auteletdes chaisessont
disposéesenarc de cercle autour.Une fois
par mois,lep rêtredelaparoisseSaint-
Lézin, quiregroupeSaint-Barthélemy-
d’AnjouetTrélazé (Maine-et-Loire),vient
ycélébrerlamesse.Les fidèles sont fati-
guéset ne se déplacent plusjusqu’à
l’ég lise, certains sont en chaise roulante,
d’autres reliés àune perfusion.Une dame,
regard perdu,marmonneenboucle «pour
lessiècles dessiècles,des siècles... ».
Àl’arriè re-plan, la télé diffuseen silence
un feuilleton américain, pourles fidèlesdu
sainttubecathodique.
On est loin,trèsloin du Sacré-Cœur
d’Agou Kébo-Dalavé,lap aroissed’origine
du père Augustin Edou,situéesur les
flancsdupic d’Agou,lep lushautsommet
du Togo (986 mètres). Il est là depuis
le 1erjuillet etrepartira fin août.C’est la
deuxième année qu’ilvient faireunrem-
placementd’été dans le diocèsed’Angers.
Il n’est pasleseul. Commelui,33prêtres
venusd’Afrique ontprispossessiondes
églises d’Anjoupourpermettre auxtitu-
lairesdepartirenvacances.
Selonl’évêché, quiarecours àcegroupe
de volontairesdepuisune vingtained’an-
nées,ils sont chaquefoisplusnombreux.
Plus de 120ont déposé leur candidature
cette année.Dansl’Hexagone, le phéno-
mèneagagnéles côtesetl es zonestou-
ristiques. Ilsserontainsi prèsde 800à
célébrer l’ Assomption dans le séglises de
Francele15août.
«Onest trèscontentes de le retro uver!»
déclaresourianteDominiq ue,trèsinvestie
dans laparoisseSaint-Lézin. Àcôtéd’elle,
perchée surdes béquilles,Michèleporte
unerobejaune chamarrée. «C’est
Augustinqui nousarapporté des
cade aux, desrobespour lesfemmes,des
shorts pour leshommes, confie-t-elle en
caressantlet issu. C’estgentil, hein?»
«Ses homélies sont très parlantes,
il s’adresseaux gens avecdes mots
simples», reprend Dominique.Àcôté
d’elle,Carmen,lac hefdechœur,est
encore contrariéedes’être «trompée
dans leschants» .Heureusement, le père
Augustin aprisler elais. «Ilchantetrès
bien,c’est agréable», confesse-t-elle.
«Ici,les messesnesontpas trèsanimées,
relève le religieux de 34 ans, issu d’une
famillehorsnorme (son pèreaeu
quatreépousesetquaranteenfants).
Chez moi, au Togo,ilyaune grande cho-
rale,çadanse,ilyadelajoieeton
échangependant leshomélies.» Andrée
confirme: «Ici,onécoute et on reçoit.»
deL’autrecôté d’angers, versL’ouest, Les
fidèLes sont moins dépaysés. ÀBeaucouzé,
le pèreRobertDiémé (45ans)remplace
le pèreJacquesNgom(42ans), mais
tous deux sont sénégalais. Àlasortie
de l’égliseSaint-Gilles,Damienest pressé
de rentrer chez lui, mais glisse,les ouffle
court: «Maintenant,ons’est ha bitués à
être év angé liséspar l’Afri que.Çafaitdu
bien dansun mondeoùl’onaperdu le
LeSénégalaisRobert Diémé lors de l’officedu21juillet dernier,àBeaucouzé(Maine-et-
Loire).Comme lui, 800 prêtres africains officient en étédans les paroisses de France.
2—Del’Afrique à
l’Anjou, l’autre chassé-
croisé de l’été.
sens dusacréetdeDieu.» Àses côtés,
Stéphanie est conquise: «C’est forcément
enrichissant,çanous bouscule dans nos
habi tudes. J’aimebeaucoup safaçonde
célébrer,ile st très... habité.Etilaune voix
tonitruante!» Uneparoissie nneplusâgée,
regard inquiet, baisse la voix : «Les prêtres
africains,cen’est pastoujoursbienvu
partoutlemonde.Mais, ça,ilnefautpas
l’écrire... » Avec sonmètre quatre-vingt-
seizeetson envergured’albatros quand
il exhorte lesfidèles àlaprière, le père
Robertimpressionne. Surleparvis,ils erre
desmains ,distribue dessourires.Bientôt,
il retrouvera lacathédrale de Kaolack,
au suddeDakar(Sénégal), sa paroisse.
«Jemegardaisd’avoir despréjugés,
mêmes’il éta it évident que j’allais trouver
iciune église différentedelanôtre.Maisla
foiest encore présente en Europe.Jes uis
réconforté de voir desjeunes,etn otam-
ment desjeunescouples avecenfants.»
En pleincœurd’Angers, dans l’ég lisede
La Trinitéaux troisquartsvidepourla
messedusamedisoir,lep èreÉric N’Guilo
(42ans)mesureaussi la di fférence. Il vient
de Nola,danslesud de la République
cent rafricaine. Notre-DamedelaSangha
est pleine àchaque office,malgr éla
guerrecivile quidéchire le pays depuis
2013.Aumoisdemai,une religieus eaété
égorgéedanslaparoisse. «Onn’a pas
peur, affirmelepèreÉric,dontler egard
s’assombrit. Lespremiersmissionnaires
sont pass és parlà. Et puis,onnevapas
abandonnerles paroissiens.» Dani èle,
assiseàses côtés, connaîtson histoire.
C’est elle quilev éhiculecesoir-là. Elle
racont e, admira tive : «Ses allé luia ssont
festifs, ça donneenviedebouger. Mais
bon, ce n’estpas dansnotre culture.»
Avec sa prothèse àlaj ambedroite, le
pèreÉric ne se déplace pasfacilement.
Jean,l’organiste,enveutàl’évêché: «Le
diocèse leslaissesedébrouiller tout seuls.
Ilsn’ont pasdevoiture,pas mêmede carte
de bus. Ça restreintleur liberté.Eux aussi
sont en vacances, après tout.» Ici, comme
ailleurs, «oncompte surles paroissiens,
c’est un peufacile!».
Pour assurer cesremplacements d’ été,
lesprêtres africains sont indemnisés :
510 eurospar mois.Maisils doiventpayer
leurs billetsd’avion et lesvisas,pourles-
quelslegouvernementfrançaisconsent
quelquesfacilités. Le pèreÉric en est de
sa poche,maiscen’est pasunproblème,
assure-t-il : «Ici,onmange bien et on est
logés. Et c’ estsurtout un beléchange
d’expériencespastorales, qui enrichit
nos pratiques.» C’est mêmeunemission
divine,selonle pèreRobert: «Venir ici,
pour moi, c’est répondre àl’appel
de Jésus.» Yves Tréca-Durand
Josselin Clair
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