Monde-Mag - 2019-08-10

(lu) #1
Pitt apparaît,àl’opposé, comme cette icône du«cool»qu’il atoujours été.
Une casquette sur la tête, moustache et bouc finement taillés, les bras posés
sur chacun des coins du canapé, hilare, l’acteur,dans cette conversation, distri-
bue les cartes. Parfois, DiCaprio rebondit, surenchérit sur son partenaire, mais
tourne toujours autour de ce dernier pour,éventuellement, terminer ses
phrases. Cette hiérarchie étaitinévitable. Ou plutôt impitoyable, tantelle
reflète l’équilibre de Once UponaTime... in Hollywood .Lecascadeur est sans
doute le rôle auquelTarantinoaaccordé le plus d’empathie,ce qui le place dans
la lignée des personnages d’âge mûr qui peuplent son cinéma:Harvey Keitel
dans Reservoir Dogs (1992), Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction (1994),
Pam Grier dans Jackie Brown (1997).Des individus façonnés par LosAngeles,
dépourvus de toute illusion, n’attendant plus rien de l’existence et que le réa-
lisateur américainsait rendre bouleversants,les comprenant mieux qu’un autre
puisque c’est en compagnie de ces êtres ordinaires qu’ilagrandi.
Dans Once uponaTime...inHollywood ,CliffBooth vit dans un mobile
home,avec son chien,àPanorama City, dans la San FernandoValley,enmarge
de LosAngeles, près d’un drive-in. Si Hollywood est sa vie, il n’en est qu’un

rouage.Du trio du film formé par CliffBooth et Rick Dalton,mais aussi Sharon
Tate (Margot Robbit), soit trois figures installéesàdifférents barreaux de
l’échelle hollywoodienne, il est celui qui dégage le plus de charisme, avec un
impressionnant naturel.Son désespoir,sereinement assumé,et ce sens élégant
de la fatalité en font le centre de gravité du film, le personnage le plus intelli-
gent ,car le plus lucide.Le plus agréableàregarder aussi,tant le visage mature
de Brad Pitt,accusant si bien,à55ans,le poids des ans,possède le magnétisme
et l’aura des starsàl’ancienne.
DiCaprioatrès tôt précédé cet âge mûr.Aunom de l’idée qu’il se faisait de
son métier,iln’a eu de cesse de tordre voire de défigurer ce visage trop lisse
au premierabord,àl’image de son personnage de trappeur dans The Revenant
(2015), d’Alejandro Gonzalez Iñarritu. Aujourd’hui, les ridules sous les yeux
de l’acteur sont devenues apparentes. Son visage apparaît un peu plus
empâté, élégamment certes, mais avec les stigmates du temps qui passe. Des

•••Rick Dalton (DiCaprio), et son cascadeur
attitré, CliffBooth (Pitt). Une telleassocia-
tion était monnaie couranteàHollywood
dans les années 1960. Steve McQueen, par
exemple, possédait sa doublure en la per-
sonne de Bud Ekins. C’est ce dernier qui
accomplitles fameuses cascadesàmoto à
la fin de La Grande Évasion (1963), de John
Sturges. Mais le couple Rick Dalton-
CliffBooth évolue dans l’ombre des grands,
àlatélévision ou dans des sériesB. «Rick
Dalton était une star de la télévision, puis
il est passé au cinéma sans jamais parvenir
àdécrocher le rôle qui lui permettrait de
changer de dimension,
explique DiCaprio.
Il n’est jamais devenu Steve McQueen ou
James Garner.»
L’ acteur américain poursuit
avec une pointe de regret et de mélancolie :
«Jesuis un ersatz de Steve McQueen.» La
voix atone, sans que l’on sache avec certi-
tude si,àcet instant précis, c’est de lui ou de
son personnage dont il parle.
DiCaprio se demandait siTarantino allait lui
proposer le rôle de Rick Dalton ou celui de
CliffBooth.Mais son instinct lui indiquait que
le choix de son metteur en scène était déjà
arrêté. De fait, le réalisateur de Django
Unchained
(2012) pensaitàlui pour incarner
ce comédien placé sur le bas-côté, contraint
de s’expatrier en Italie, la porte de sortie de
beaucoup d’acteurs hollywoodiensàpartir du
milieu des années 1960. Le rôle du cascadeur
était dévoluàcelui dontTarantino avait fait
un scalpeur de nazis dans Inglourious
Basterds
(2009),àBrad Pitt qui, de toute
façon, possédait davantage le physique de
l’emploi que son partenaire.
Au Carlton, en ce mois de mai, dans l’une des
suites de l’hôtel cannois, la complicité du
couple Pitt-DiCaprio frappe autant que son
asymétrie. La gestuelle de DiCaprio se révèle
aussi empruntée que celle de Brad Pitt se
montre épanouie. Une fois encore se pose
la question de la placelaisséeàDiCaprio.
La star de Titanic se tientàunmètre de
son partenaire,figée,les bras croisés, les
jambesàpeine étendues, comme dans une
salle de classe, vêtue de manière formelle
–blouson en daim, chemise, baskets
blanches –presque apprêtée. Brad


Pendantl’interview,


DiCaprio se tientfigé,


bras croisés, jambes à


pein eétendues, vêtu


de manièreformelle.


Brad Pi tt apparaît,


àl’opposé, commecette


icônedu“cool”,


casquettesur la tête,


bras posés surchaque


coin du canapé,hilare.

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