Version Femina N°905 Du 4 Août 2019

(Amelia) #1
version femina

d’organiser des soirées mêlant famille et amis, d’autant plus
qu’on aime les mêmes musiques, les Stones, David Bowie, Télé-
phone... Mes deux fils invitent mes copines à danser le rock.
Ça crée des souvenirs familiaux, et cela permet de n’être pas
que des parents éducateurs, qui contrôlent les rentrées univer-
sitaires! J’aime que nos enfants aient de nous l’image de parents
qui savent encore s’éclater jusqu’à l’aube. » Vincent, lui, adore
les fêtes de ses fils de 17 et 20 ans où il s’incruste sans complexe.
« C’est l’occasion de voir leurs amis, de découvrir mes enfants
sous un autre jour, de m’éclater avec eux, alors qu’au quotidien
je suis plutôt père Fouettard. Je retrouve mes 20 ans, je fais
même le DJ! » Et les garçons, ils ne trouvent pas ça trop lourd?
« Pas du tout, explique Léo. Il n’est pas là pour nous surveiller.
C’était un gros fêtard et ça me fait plaisir de le voir s’amuser
comme ça. En plus, mes copains l’adorent. Quand il n’est pas
là, ils sont déçus. » On est loin de cette scène de la Boum, de
Claude Pinoteau, où les parents devaient se réfugier dans leur
chambre et surtout ne pas en sortir. Sinon, c’était la honte!

La danse, une libération collective
Pas de vraie fête sans danse... voire sans transe! A plus de
60 ans, Nadine reconnaît : « C’est indispensable à mon bien-
être. Je me suis inscrite sur des sites comme Meetup ou Meet
Me Out, et je sors toutes les semaines dans des clubs de jazz

ou dans des boîtes. Pas besoin d’alcool, juste de la bonne
musique – Muse, Prince, de l’électro – et un niveau sonore
suffisant pour “emporter mon corps”. Je ne m’assieds pas une
minute, entre 23 heures et 2 heures. Et ça me rend heureuse. »
Danser, une source de bien-être? « On libère une sécrétion
d’endorphine et de dopamine, les neurotransmetteurs du bien-
être et de la motivation, analyse France Schott-Billmann**,
danse-thérapeute et psychanalyste. Sans compter la cadence,
dont la régularité rappelle inconsciemment le rythme car-
diaque maternel, avec son double effet apaisant et stimulant. »
Enfin, en dansant, on vibre à l’unisson des autres. Soudain,
on est synchrones, « sur la même longueur d’onde », la même
émotion collective. « Une vraie thérapie, dans une société où
l’on est coupé de notre corps, et même de notre lien au cosmos,
déclare France Schott-Billmann. Danser en groupe, insiste la
psy, démultiplie d’autant les émotions, en particulier la joie.
Cela fait “caisse de résonance”. » « Pour moi, sourit Lina, 32 ans,
c’est une sensation proche de l’orgasme. Quand le DJ est bon
et la playlist bien étudiée, il y a une sorte de climax, et on
attend l’instant où l’on va tous se retrouver, en secouant la tête,
en “sortant de nous-mêmes”. Je suis une cérébrale qui, à ces
moments-là, devient pure sensualité et sensorialité! »


  1. Comment expliquez-vous
    cette société festive?
    Tous les trois-quatre siècles, il y a un
    balancement, entre le classique et le
    baroque. Notre société euro péenne
    a été dominée, jusqu’à la fin des
    années 60, par une conception
    rationaliste du monde, qui a permis
    les grandes révolutions scientifiques
    et technologiques. Nous avons alors
    laissé sur le bord du chemin une
    série d’impedimenta inutiles, dont
    le ludique et le festif. Aujourd’hui,
    l’émotionnel et la fête reprennent
    le dessus. Nous sommes dans une
    « baroquisation » du monde.

  2. Les jeunes n’ont-ils pas
    toujours aimé faire la fête?
    Si, mais ça s’est amplifié. Les
    générations émergentes, surtout
    les millennials et les neomillennials
    entre 15 et 25 ans, n’ont plus envie


de passer leur vie à la gagner. On a
beaucoup glosé sur la génération
Internet, piégée par son écran, les
« otaku » et les « hikikomori » (ceux
qui sont enfermés dans leur bulle,
dans leur chambre)... Ils sont une
minorité! Internet sert en réalité
à se rassembler dans le réel. Et à
partager des émotions.


  1. Vous parlez souvent du retour
    du sacral. La fête a-t-elle une
    dimension sacrée?
    Oui, la désaffection pour le politique
    a été contrebalancée par un appétit
    pour le sacré, le sacral et la liturgie.
    Regardez le retour du chamanisme,
    avec cette mise en scène consistant
    aussi à communier avec les forces
    de la Terre de façon spec taculaire...
    Certaines fêtes, au cours desquelles
    l’individu est « transcendé » dans un
    collectif, y ressemblent.


* Auteur d’Etre postmoderne, Les Editions du Cerf. ** Auteure de le Besoin de danser
et le Féminin et l’Amour de l’autre, Odile Jacob. Plus d’infos sur http://www.gesterythme.com.

3 questions à Michel Maffesoli sociologue


« Nous sommes dans


une baroquisation du monde »


A G., VESTE FRNCH. CEINTURE MAISON BOINET. À DR., COMBI-PANTALON ASOS. B. O. THOMAS SABO.

Free download pdf