Le Monde - 07.08.2019

(vip2019) #1

10 |disparitions MERCREDI 7 AOÛT 2019


0123


13 OCTOBRE 1944
Naissance à Saint-
Pierre-la-Cour (Mayenne)
1971 Devient champion
de France, le 11 janvier,
puis d’Europe, le 9 juin
1972 Défaite face à
l’Argentin Carlos Monzon
pour le titre mondial
1973 Nouvelle défaite
pour la ceinture
de champion du monde
face à Monzon
1984 Création de la
chaîne Canal+,
où il officie comme
consultant jusqu’en 2011
3 AOÛT 2019 Mort

15 JUILLET 1925 Naissance
à Evanston (Illinois)
1967 « Dont Look Back »
1968 « Monterey Pop »
1969 « One Parallel Movie »
1973 Filme le concert
d’adieu de David Bowie
à Ziggy Stardust
1993 « The War Room »
2016 « Unlocking the Cage »
1 ER AOÛT 2019 Mort
à Sag Harbor (New York)

Donn Alan Pennebaker


Documentariste américain


A


vec ses collègues Ri­
chard Leacock, David
et Albert Maysles, Ro­
bert Drew, il avait, au
début des années 1960, participé à
l’invention de la forme moderne
du cinéma documentaire. Au mi­
lieu de cette même décennie,
Donn Alan Pennebaker était de­
venu en deux films – Dont
Look Back, consacré à Bob Dylan,
et Monterey Pop, tourné pendant
le premier grand festival du
Flower Power – le chroniqueur
« officiel » de la génération rock. Si
la musique a continué de tenir
une place prépondérante dans
l’impressionnante filmographie
que D. A. Pennebaker a bâtie en
plus d’un demi­siècle, il a aussi
filmé la campagne de Bill Clinton,
en 1992, ou les défenseurs de la
cause animale, en 2016. D. A. Pen­
nebaker est mort le 1er août, à
Sag Harbor, dans l’Etat de
New York. Il avait 94 ans.
Donn Alan Pennebaker est né
15 juillet 1925, à Evanston, dans
l’Illinois. Ses parents, un photo­
graphe et un mannequin, se sépa­
rent peu de temps après sa nais­
sance et il passe son enfance et sa
jeunesse entre Chicago et la Côte
est. Mobilisé pendant la seconde
guerre mondiale, il suit des étu­
des au Massachusetts Institute of
Technology (MIT) sous l’égide de
la marine. La paix arrive avant
qu’il ne soit envoyé au front. Avec
un diplôme d’ingénieur de l’uni­
versité Yale, D. A. Pennebaker
s’installe à New York. Au début
des années 1950, il découvre le ci­
néma documentaire et décide
d’en faire sa profession.
Pour son premier court­mé­
trage, Daybreak Express (1953), il
filme la ligne de métro aérien qui
suit la IIIe Avenue, en passe d’être
démolie, et met le mouvement
des trains qui passent en musique
sur le morceau de Duke Ellington
qui porte ce titre. Il convainc le
compositeur de l’autoriser à utili­
ser titre et partition. C’est à ce mo­

ment qu’il rencontre une bande
de jeunes cinéastes qui, sous
l’égide du Britannique Richard
Leacock, veut briser les codes clas­
siques du documentaire.

Un film complexe
Pour cela, il faut de nouvelles ca­
méras, capable d’enregistrer le son
en même temps qu’elles captent
les images. Avec Albert Maysles, D.
A. Pennebaker invente l’un des
premiers modèles de ce type.
En 1960, le collectif emmené par
Leacock suit la campagne des pri­
maires démocrates, qui aboutit à
la nomination de John F. Kennedy.
Primary fait sensation et ouvre la
voie à une nouvelle manière de fil­
mer la réalité, sans commentaire,
avec des caméras mobiles qui in­

terfèrent au minimum avec la vie
qu’elles saisissent.
En 1964, D. A. Pennebaker
tourne les derniers moments de
la carrière du chanteur de jazz Da­
vid Lambert, qui meurt peu après
dans un accident de voiture. Lam­
bert, Hendricks & Co attire l’atten­
tion d’Albert Grossman, le mana­
geur de Bob Dylan, qui propose au
cinéaste de suivre la tournée du
chanteur en Grande­Bretagne au
printemps 1965. Il faudra attendre
deux ans pour découvrir
Dont Look Back, film complexe,
qui participe puissamment à
l’édification de la mythologie de
Dylan en particulier et de la figure
de la rockstar en général. Le film
s’ouvre sur la chanson Subterra­
nean Homesick Blues, dont Dylan

affiche les paroles sur des cartons
qu’il sème aux quatre vents.
C’est à la fois une idée de génie
(qui vient de Dylan) et la nais­
sance du vidéoclip. La suite, qui
montre l’auteur de Mr. Tambou­
rine Man sous un jour souvent
peu flatteur – il est hautain,
odieux, craintif –, mais fascinant,
reste l’un des documents les plus
troublants (entre autres parce que
l’on ne peut jamais mesurer la
part de mise en scène que le film
impose au filmeur) qui ait été
tourné sur une célébrité.

Une collaboration avec Godard
En 1966, D. A. Pennebaker re­
tourne en Grande­Bretagne avec
Bob Dylan, cette fois accompagné
par les musiciens qui devien­
dront The Band. Mais le chanteur
s’approprie le métrage tourné, le
monte lui­même et refuse, jus­
qu’à ce jour, de montrer le film
qui en résulte, Eat the Document.
Peu de temps après la sortie de
Dont Look Back, le réalisateur se
voit proposer d’immortaliser le
festival de Monterey (Californie),
qui réunit Jimi Hendrix, Janis Jo­
plin, les Who ou Otis Redding.
Tourné avec cinq caméras, Mon­
terey Pop se consacre exclusive­
ment à la célébration d’une cul­
ture, à l’occasion d’un événement
qui est épargné par le gigantisme
et la violence qui marqueront ses
successeurs, les festivals de
Woodstock et d’Altamont.
A cette époque, D. A. Penneba­
ker ébauche une collaboration
avec Jean­Luc Godard, qui espère
capter le soulèvement des masses
américaines. L’Américain filme le
Suisse, venu présenter La Chinoise
(1967) à des étudiants new­yor­
kais ; puis, avec Richard Leacock,
les deux hommes filment débats
et manifestations. Godard aban­
donne le projet et D. A. Penneba­
ker le termine sous le titre de 1 PM
(One Parallel Movie), sorti en 1971.
Presque simultanément, le do­
cumentariste revient à la musi­

En 2000. KATHY WILLENS/AP

Boxeur et commentateur sportif


I


l fut, un temps, le visage de
la boxe en France ; puis sa
voix. Sportif vedette devenu
par la suite commentateur,
Jean­Claude Bouttier est mort à
l’âge de 74 ans, samedi 3 août, des
suites d’une maladie. Les plus an­
ciens gardent encore intact le
souvenir de ses deux combats
contre l’Argentin Carlos Monzon :
deux défaites d’anthologie qui le
privèrent d’une ceinture mon­
diale, au début des années 1970.
Né en 1944 à Saint­Pierre­la­
Cour, un bourg de Mayenne, le
sportif a d’abord entrepris, à
14 ans, une formation d’ap­
prenti boucher. Deux ans plus
tard, en amateur, il remporte son
premier combat. C’est en 1965
qu’il passe professionnel, à Pa­
ris, sous la direction de Jean Bre­
tonnel, « le » manageur français
du moment.
En 1971, Jean­Claude Bouttier
est déjà une figure populaire : un
titre de champion de France (« le
plus beau de ma carrière », dira­
t­il au Monde, avec le recul) et un
autre de champion d’Europe lui
octroient une notoriété interna­
tionale. Il est alors temps de s’at­
taquer au « Fusil », le surnom de
Carlos Monzon, la terreur des
rings de l’époque.
Le 17 juin 1972, les deux sportifs
s’affrontent une première fois à

« Pendant dix ans, on nous a ap­
pelés les “BB” tant notre duo fonc­
tionnait », racontait, nostalgique,
Jean­Claude Bouttier, qui avait
reçu Le Monde, en 2011, dans
son domicile de Gournay­sur­
Marne (Seine­Saint­Denis), ville
où il s’était établi et dont le com­
plexe sportif porte alors déjà
son nom. « J’ai eu la chance de cô­
toyer les plus grands, de vivre de
ma passion. J’ai assisté à des
matchs fabuleux. »

En 1973. MICHEL CLEMENT/AFP

Colombes (Hauts­de­Seine). Leur
duel pour le titre mondial des
poids moyens réunit 30 000
spectateurs. « Il fallait voir ce que
c’était à l’époque. Tout le monde
en avait une peur bleue », racon­
tait Bouttier, à propos de son
adversaire. Et d’ajouter, avec son
franc­parler : « Moi, je n’ai jamais
ressenti cela. Si on a la trouille, il
ne faut pas monter sur un ring.
Mon schéma tactique était sim­
ple : lui rentrer dans la gueule! »

Consultant pour Canal+
A la sixième reprise, Bouttier en­
voie Monzon au tapis. Las! le
Français abandonne finalement
à l’appel du treizième round, en
raison d’une hémorragie in­
terne : un pouce du boxeur ar­
gentin l’avait atteint à l’œil. « Les
gants n’avaient pas de coutures,
ce qui rendait possible une telle
action. Des années plus tard, en
Argentine, Carlos m’a avoué qu’il
n’avait trouvé que cette parade
pour me battre. »
La revanche a lieu un an plus
tard, cette fois dans l’enceinte pa­
risienne de Roland­Garros. Son
ami Alain Delon organise l’évé­
nement le 29 septembre 1973. Les
trois dernières reprises sont inte­
nables, Monzon tient le choc et
s’impose de nouveau. « L’Argen­
tin était trop fort », reconnaîtra

Bouttier dans sa biographie,
Poing final (avec Bruno Vigou­
reux, Solar, 2011).
Dans un entretien au Monde, le
Français comparera aussi son
adversaire à un autre grand nom
de la boxe, l’Américain Mike Ty­
son. « Si un couteau avait traîné
lors de notre rencontre, il m’aurait
planté. Ces gars­là ne réagissent
pas pareil que nous. Moi, j’ai reçu
une éducation qui m’interdisait
de franchir certaines limites. Eux,
c’est dans la rue qu’ils ont appris
à survivre. C’est ce qui fait toute
la différence! »
A 30 ans, en décembre 1974,
Jean­Claude Bouttier se retire des
rings avec derrière lui une car­
rière substantielle (64 victoires,
7 défaites et 1 nul). Il se lance en­
suite dans l’organisation du com­
bat de championnat du monde
entre Gratien Tonna... et Mon­
zon ; travaille ensuite pour une
marque d’équipements sportifs ;
tourne dans un film de Claude
Lelouch (Les Uns et les Autres,
en 1981), jouant le rôle d’un
boxeur aux côtés de Francis Hus­
ter et de Robert Hossein.
Son existence bascule à nou­
veau en 1984. Charles Biétry,
journaliste de l’Agence France­
Presse, lui propose d’être consul­
tant pour une chaîne privée qui
s’apprête à voir le jour : Canal+.

que à l’occasion de l’enregistre­
ment de l’album de la comédie
musicale Company, de Stephen
Sondheim. On y voit Elaine
Stritch passer par toutes les affres
de l’enfer pour chanter The Ladies
Who Lunch, et le film trouve im­
médiatement sa place dans la my­
thologie de Broadway.
Le réalisateur suit les mouve­
ments de la culture rock. C’est
ainsi qu’il capte aussi bien
John Lennon et Yoko Ono au festi­
val de Toronto, en 1969, que le
concert d’adieu de David Bowie à
son personnage de Ziggy Star­
dust, quatre ans plus tard.
Au milieu des années 1970,
D. A. Pennebaker rencontre la ci­
néaste Chris Hegedus, qui devien­
dra sa troisième épouse et sa co­
réalisatrice pour le restant de sa
carrière. En 1989, ils suivent la
tournée américaine du groupe
Depeche Mode à travers les yeux
des gagnants d’un concours de
fans (ce qui vaut à Depeche Mode :
101 la réputation d’avoir anticipé
la télé­réalité). Trois ans plus tard,
ils s’insinuent dans les coulisses
de la campagne présidentielle de
Bill Clinton. Comme on leur a re­
fusé un accès direct au candidat,
ils se concentrent sur le travail de
son équipe, dont certains mem­
bres – tels George Stephanopou­
los et James Carville – sont incon­
nus jusqu’alors. Sorti en 1993,
The War Room devient immédia­
tement un jalon du film politique.
Viendront ensuite des films sur
les musiciens du label Stax (Only
the Strong Survive, 2002) ou un re­
tour sur The War Room, tourné
pour la télévision en 2008. Unloc­
king the Cage, qui retraçait le com­
bat juridique de défenseurs des
animaux pour que leur soit accor­
dée une personnalité juridique,
fut le dernier long­métrage en
date de D. A. Pennebaker et Chris
Hegedus. Il est sorti en 2016,
soixante­trois ans après Day­
break Express.
thomas sotinel

« Quand je commentais, détail­
lait­il aussi dans Poing final,
j’avais la vraie sensation d’être sur
le ring. Comme si je prenais les
coups. Je mouillais ma chemise. »
Cette collaboration avec la chaî­
ne cryptée dure jusqu’en 2011.
Quant à la boxe, le nez témoi­
gnait des coups qu’il avait reçus ;
les mains de ceux, nombreux,
qu’il avait rendus. Il y a huit
ans, Jean­Claude Bouttier posait
un regard inquiet sur la pratique

du « noble art » en France : « C’est
devenu un sport où il n’y a que
des vieux. Les jeunes ont déserté
les salles. Il n’y a rien. Pas d’orga­
nisation. Pas de calendrier. Pas
de projet. »
Samedi 3 août, c’est Charles
Bietry lui­même qui a annoncé le
décès de son ancien binôme, sur
le réseau social Twitter : « L’ami
nous laisse un immense vide. »
florent bouteiller
et adrien pécout

Jean­Claude Bouttier

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