Marie Claire N°805 – Septembre 2019

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Société 104


de l’égalité. » Sur le site AOC, elle écrivait : « Par-delà
l’effervescence militante et l’engouement médiatique,
on peut se demander si nous sommes en train de vivre
une véritable révolution sexuelle. La formule résonne
comme un écho, n’avait-elle pas déjà eu lieu? (...) Les
revendications visent directement la hiérarchie implicite
qui continuait de structurer les rapports entre les femmes
et les hommes : d’un côté, celles qui attendent, reçoivent,
subissent et se soumettent, de l’autre, ceux qui choi-
sissent, prennent, pénètrent et dominent. Ce sont ces
représentations, ces normes et ces injonctions relatives à
une sexualité conçue au prisme de l’hétéronormativité
phallocratique qui sont aujourd’hui rejetées. » Dans le
magazine Society, Virginie Despentes disait bien : « Si
tu dis qu’il n’y a pas de problème d’opprobre social, à
mon avis, dans vingt ans, la plupart des meufs sont les-
biennes. (...) Tu testes une fois avec une fille, c’est mille
fois mieux, tu restes avec une fille. Sexuellement, tu n’y
perds pas, et pour tout le reste, c’est tellement un soula-
gement inouï que qu’est-ce que tu vas te faire chier? » Se
« faire chier », c’est se faire chier avec la douleur, les
complexes, l’épilation, les préliminaires considérés
comme tels (avant le plat de résistance que serait la
pénétration), les rapports qui s’achèvent quand et
seulement l’homme a éjaculé. Bref, tout un dogme
sexuel qui n’en finit pas de s’effondrer sous une ava-
lanche de témoignages. « À se regarder jouir de son
impunité, le mâle alpha n’a pas vu surgir l’obsolescence
de ses propres attributs et fonctions symboliques », écrit
Chloé Delaume dans Mes bien chères sœurs^ (1). On a
ressorti les statistiques implacables du gap orgas-
mique entre les hommes et les femmes, identifié il y
a quarante ans par le rapport Shere Hite, grâce
auquel on découvrait que les femmes jouissaient
plus en se masturbant qu’à deux avec un homme.

On ne jouit pas pareil, et ce n’est peut-être pas un
destin anatomique. Cette « révolution égalitaire »
semble passer par le clitoris, qui vit une nouvelle
revanche sur des années de dogme freudien, selon
lequel les orgasmes clitoridiens étaient réservés aux
petites filles – l’orgasme était vaginal ou n’était pas.

Le clitoris comme totem
La philosophe américaine Nancy Tuana a étudié le
désintérêt historique des sciences pour le clitoris.
« L’ignorance n’est pas un simple manque. Elle est sou-
vent construite, entretenue et diffusée, écrivait-elle en
2004. L’étude des conceptions féministes et non fémi-
nistes de l’orgasme féminin révèle des pratiques qui sup-
priment ou effacent l’ensemble des connaissances concer-
nant les plaisirs sexuels des femmes. » Selon elle, cela
découle de l’idée que les sciences n’ont pas encore
dissocié la sexualité de la reproduction, et qu’il n’y a
donc « aucune raison de s’intéresser au clitoris, puisqu’il
ne joue aucun rôle dans la reproduction ». La statisti-
que est connue : en 2016, une étude du Haut Conseil
à l’égalité avait révélé qu’une adolescente de 15 ans
sur quatre ne sait tout simplement pas qu’elle a un
clitoris. Et 83 % des filles de 4e et de 3e ignorent com-
plètement sa fonction érogène. En mars dernier, une
pétition était lancée pour réclamer que le clitoris soit
représenté dans tous les manuels scolaires de
sciences de la vie et de la terre. Organe exclusive-
ment dédié au plaisir, il s’affiche désormais partout
–  avec sa taille étonnamment imposante (environ
11 cm) et ses huit mille terminaisons nerveuses –, au
centre d’un militantisme qui vise à lui faire gagner la
place qu’il mérite. Sur @gangduclito, le compte
Instagram de la militante Julia Pietri, dans la série
documentaire Clit révolution (2), en pendentif et sur
les trottoirs, comme un totem politique antiphallo-
cratique... Au point que pour la réalisatrice Ovidie,
« dire que c’est la seule et unique clé [de l’orgasme] et
que sans le clitoris point de salut, ça devient probléma-
tique » (3). Elle dénonce par voie de conséquence une
« invisibilisation de la vulve » cette fois, qui resterait
effrayante, tandis que le clitoris ferait l’objet « d’un
concours de bites » (regardez comme il est formi-
dable! Et énorme !). Or, souligne-t-elle, on peut jouir
de bien des manières –  vaginale, anale, sans même
se toucher.
C’est que dès qu’on parle de sexe, la révolution
intime de l’une sera la routine de l’autre. Il suffit de

“D’un côté, celles qui


attendent et se


soumettent, de l’autre,


ceux qui choisissent,


pénètrent et dominent.”


Camille Froidevaux-Metterie, philosophe
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