Sur paroles 80
Chantal PouPaud.
Melvil Poupaud
et Raoul Ruiz,
à Paris, en 1985.
Il tournera
onze films avec
le réalisateur
franco-chilien.
« J’ai 12 ans. Je suis à l’arrière d’un camion d’électri-
cien, sur le tournage de mon deuxième film avec
Raoul Ruiz, L’éveillé du pont de l’Alma. Je ne l’ai pas
revu depuis et je ne sais même pas si je l’ai vu à sa sor-
tie mais, dans mon souvenir, c’est l’histoire – très
étrange – d’un type interprété par Michael Lon sdale,
qui vit entre rêve et réalité, et moi je suis le fruit d’un
viol. C’est ma mère qui prend cette photo. À l’époque,
elle est attachée de presse de cinéma, pour les films
de Marguerite Duras, par exemple. Et quelques
années plus tôt, quand j’ai eu 8 ans, Raoul m’a croisé
avec elle et lui a proposé que je parte au Portugal, un
mois, sur son prochain film. Ma mère lui a bien évi-
demment répondu : “Oui, d’accord”, alors qu’il venait
de faire un film avec des enfants cannibales et que je
devais, à mon tour, jouer les monstres assassins! Et
c’est peut-être de la psychologie à deux balles mais
aujourd’hui, je me demande s’ils n’avaient pas passé
un deal secret, tous les deux. Pour que j’expérimente
un truc. Initiatique. Ou pour que mon frère, Yarol
– qui était déjà ado, et que je collais aux basques –
s’émancipe, en mon absence.
En tout cas, mon premier tournage avait été génial.
Effrayant. Passionnant. Une vraie aventure de bou-
quin. Et si j’ai l’air un peu « tristos » ce jour-là, c’est
juste qu’à force de me balader sur les plateaux et
de tripoter le matériel technique – Raoul me lais-
sait pousser les travellings et je m’amusais toujours
avec les projecteurs, les scotchs, les gélatines... que je
piquais d’ailleurs, au passage, pour essayer de repro-
duire dans mon coin, avec ma caméra vidéo, ce que
j’avais pu observer* –, je venais de me couper le doigt
(il pointe, sur l’image, son petit pansement, sur sa main
gauche, ndlr). J’ai pissé le sang (il présente sa main
d’adulte, marquée d’une cicatrice, ndlr). Mais, je n’ai
pas gueulé. Je n’ai pas osé. Ça tournait, dans la pièce
d’à côté. »
(*) « Mille Melvil » – carte blanche et
rétrospective des films d’enfance de Melvil
Poupaud – au Forum des images, à Paris,
du 18 au 26 septembre. forumdesimages.fr
“J’ai 12 ans. Je suis sur le
tournage de mon deuxième
film avec Raoul Ruiz (...)
J’ai l’air un peu “tristos”
parce que je viens de me
couper le doigt à force de
tripoter le matériel technique.
J’ai pissé le sang.”
La photo d’enfance de Melvil Poupaud
L’acteur se souvient de l’un de ses premiers rôles au cinéma
- celui de l’enfant d’un viol –, à l’âge où il se baladait sur les plateaux
comme dans une aventure. Par Marina Rozenman