Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

18 I Beaux Arts


L’ESSENTIEL MONDE


«P


ourquoi ne pas ouvrir dix musées
par an ?» Ashish Anand regarde
son portable, répond à quatre ou
cinq messages, se lève, sourit face au regard médusé
de son équipe avant de préciser «bon, allons-y
pour cinq seulement !» et de filer à un rendez-vous.
Fondateur de DAG en 1993, la plus importante galerie
spécialisée en art moderne indien implantée à Delhi,
à Bombay, mais aussi à New York (dans le mythique
Fuller Building de Manhattan), Ashish Anand
est un homme pressé. Il a ouvert le 5 février dernier
son premier musée à Delhi dans le prestigieux site
du Fort rouge (inscrit au patrimoine mondial de
l’Unesco), en collaboration avec l’ASI (Archeological
Survey of India), l’institution publique qui gère
3 691 monuments dans tout le pays. Contrairement
à la Chine, frappée depuis dix ans par une frénésie
de construction de centres culturels, l’Inde souffre
d’une grande indigence muséale et a très peu
développé son tourisme culturel. Quand la Chine
accueille plus de 56 millions de touristes par an,
l’Inde n’en est qu’à quelque 6 millions!


Trois cents ans d’histoire de l’art indien


Usha Sharma, la directrice de l’ASI, a donc décidé
d’ouvrir des musées dans des sites patrimoniaux
de tout le pays, y compris en collaboration avec
des acteurs privés tels que DAG, choisi à la suite
d’un appel d’offres. Baptisé Drishyakala (qui signifie
«arts visuels» en hindi), ce musée est implanté dans
l’une des barracks, anciennes maisons coloniales
britanniques. Abandonné depuis des années,
ce barrack n° 4 a été restauré et magnifiquement
aménagé en seulement cinq mois par le muséographe
français Adrien Gardère (qui a notamment travaillé
au Louvre-Lens ou au musée d’Art islamique
du Caire) pour recevoir des œuvres d’art. Sur
2 500 m^2 , à partir de sa collection qui compterait plus
de 40 000 œuvres, DAG a conçu quatre expositions
retraçant d’une certaine manière trois cents ans
de l’histoire de l’art de l’Inde, avec de véritables
chefs-d’œuvre comme une rare sculpture d’Amrita
Sher-Gil (1913-1941), figurant deux tigres, ou des
peintures de Raja Ravi Varma (1848-1906) et Jamini
Roy (1887-1972). Les traces de la colonisation sont
aussi présentes avec cet ensemble de 24 gravures
réalisées par deux artistes anglais, Thomas Daniell


et son neveu William, qui arpentèrent le pays
entre 1786 et 1793 pour peindre ses monuments, villes
et paysages. De nombreux documents d’archives
(journaux, livres, affiches) témoignent également de
la collectionnite aiguë d’Ashish Anand et restituent
le contexte sociopolitique des œuvres. À l’entrée
du musée, un cartel précise qu’aucune des 450 pièces
exposées n’est à vendre. Pourquoi Ashish Anand
a-t-il alors dépensé près d’un million d’euros pour
ouvrir cet espace? «J’ai deux ambitions : valoriser l’art
moderne indien insuffisamment connu et favoriser
la démocratisation culturelle.»

Près de 5 000 visiteurs par jour
Pari réussi puisque, depuis son ouverture, près
de 5 000 visiteurs par jour s’y bousculent (ce qui
en fera bientôt le musée le plus fréquenté du pays),
la plupart n’ayant auparavant jamais mis les pieds
dans un musée. Tout y est fait pour accompagner
les visiteurs (souvent jeunes) – cartels pédagogiques
en anglais et en hindi, accompagnement de groupes
scolaires, œuvres «tactiles»... Cette exposition,
Ashish Anand veut la faire tourner dans tout le pays
mais il est déjà en train d’imaginer que «comme
Picasso ou Van Gogh, les artistes phares indiens
méritent un musée dédié : Amrita Sher-Gil à Delhi,
Jamini Roy à Calcutta...» À l’instar des façades
illuminées de Drishyakala, il veut porter haut
les lumières de la culture indienne. http://www.dagworld.com

À l’initiative du ministère de la Culture


et de la galerie DAG, un nouveau musée


vient d’être inauguré dans l’un des sites


patrimoniaux les plus prestigieux du pays.


Une collaboration public/privé qui en


annonce d’autres?


Par Fabrice Bousteau

Le musée
Drishyakala
a été réalisé
à partir d’une
barrack, ancienne
maison coloniale
britannique
laissée à l’abandon
qu’Adrien Gardère,
muséographe
français,
a totalement
restaurée.

Le nouvel élan


muséal de l’Inde

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