Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

Beaux Arts I 101


curiosité, plutôt que par le désir d’illustrer». De la Nigériane
Njideka Akunyili Crosby à la poète Avery Singer, du chantre
afro-américain Henry Taylor au Thaïlandais Apichatpong
Weerasethakul, il a écumé le monde pour les inviter à nous
parler d’aujourd’hui. La France n’est pas en reste, représen-
tée notamment par Tarek Atoui, Neïl Beloufa, Antoine
Catala, Cyprien Gaillard ou Jean-Luc Moulène.
Voilà pour la méthode. Mais quid du discours? Trump,
Brexit, dictature des Gafa, notre rapport au réel a été pro-
fondément chahuté ces dernières années. «On pourrait
avoir l’impression que la Terre est redevenue plate, les gens
vivent désormais dans des mondes parallèles d’informa-
tions, et de plus en plus de murs nous séparent. Physiques,
mais aussi mentaux, analyse ce partisan de l’Europe. Moi-
même, je vis dans un monde d’écran dix heures par jour,
impossible de croire cela n’a pas d’impact sur notre rapport
à la réalité.» Même le titre de sa biennale, «May You Live in
Interesting Times» (Puissiez-vous vivre dans une époque
intéressante), est une fake news en soi : «Cette phrase a été
utilisée en 1966 par Robert F. Kennedy qui la revendiquait
comme un proverbe chinois, mais jamais les Chinois ne
prononcent ces mots !» élucide-t-il dans un sourire.


Bienvenue dans le monde parallèle
de l’art contemporain


Ralph Rugoff imagine donc son projet vénitien comme
un antidote au poison des fake news, convaincu que «l’art a
une capacité à ouvrir notre vision du monde». En témoigne
la terrible actualité des thèmes abordés : totalitarisme de
l’illusion avec les aquariums minéraux de Liu Wei, violence
sociétale avec Teresa Margolles qui rappelle les féminicides
à Ciudad Juarez, surveillance généralisée épinglée par
Lawrence Abu Hamdan, questions de genre mises en scène
par la militante lesbienne Zanele Muholi, ou encore du han-
dicap, magnifié par Mari Katayama, photographe japonaise
qui déjoue les canons de la beauté en se photographiant,
ultrasexy, malgré sa jambe atrophiée...
Quant à l’accrochage, Ralph Rugoff a adopté un parti parti
original : proposer deux expositions radicalement diffé-
rentes, mais avec les mêmes 80 artistes de part et d’autre.
Deux planètes, deux atmosphères, nées des mêmes esprits,
l’une à l’Arsenale, l’autre au Pavillon international des Giar-
dini. «Il s’agit de rappeler combien toute œuvre est pleine
d’ambiguïté. Dans mon rêve, un visiteur qui ne regarderait
pas les cartels pourrait croire qu’il s’agit de créateurs com-
plètement différents.» Pour renforcer ce sentiment de
mondes parallèles, la réalité virtuelle s’invite pour la pre-
mière fois à Venise, avec notamment un Cosmorama de
Dominique Gonzalez-Foerster qui, de l’autre côté du miroir,
proposera l’un de ses sublimes dioramas à l’ancienne.
Autre nouveauté 2019, un programme conséquent de
performances, genre qui souvent pèche par son absence à
Venise. En collaboration avec les Londoniens de la Delfina
Foundation, quatorze performances sont programmées,
orchestrées par Nástio Mosquito, Paul Maheke ou encore
le duo Cooking Sections, qui analyse avec brio la question
culinaire d’un point de vue géopolitique. n


Zanele Muholi
Bona,
Charlottesville,
Virginia, 2015

Henry Taylor
Another Wrong,
2013

58 e Biennale de Venise
«May You Live In Interesting Times»
du 11 mai au 24 novembre dans les
Giardini, à l’Arsenale et à travers la ville
http://www.labiennale.org

Notre visite guidée et nos coups de cœur
de la biennale en vidéo sur BeauxArts.com
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