Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

78 I Beaux Arts


FESTIVAL DE CANNES l LE DESIGN AU CINÉMA


À de rares exceptions près, jamais un designer ne fut
consulté par un cinéaste. L’exemple le plus connu reste
2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick qui avait per-
sonnellement sollicité, en 1967, Olivier Mourgue et Eero
Saarinen pour meubler les sas orbitaux menant à l’hôtel
Hilton de l’espace. Mourgue, qui venait d’accepter que sa
chaise longue Djinn apparaisse gainée de rose dragée pour
les belles fesses d’Ursula Andress dans Casino Royale, four-
nira ses rangées de sièges Djinn symbolisant pour Kubrick
l’étape 2 de son récit, quand l’Homme devient la Machine.
Cette même année, le chef déco Agostino Pace avait utilisé
l’intégralité de la collection de meubles gonflables Aero­
space signés Quasar Khanh pour offrir un cadre légèrement
«étouffant» au film l’Écume des jours, première adaptation
du roman de Boris Vian par Charles Belmont.


De Funès et Barbarella dans une vitrine pop


En 1995, ce sera Andrée Putman à qui Peter Greenaway
commandera une partie des décors du très graphique
Pillow Book. Quant au regretté Joseph Hilton McConnico,
il demeure l’unique décorateur de cinéma passé au design.
Entre Vivement dimanche! de François Truffaut et la Lune
dans le caniveau de Jean-Jacques Beineix, qui lui vaudra
un César, il avait, grâce à Diva du même Beineix, inventé le
style récup’ industriel, tendance tutélaire des années 1980.
Mon oncle de Jacques Tati, Qui êtes­vous Polly Maggoo?
de William Klein, la Piscine de Jacques Deray, le Pacha de
Georges Lautner, Slogan de Pierre Grimblat, les Nuits
rouges de Harlem de Gordon Parks, la Dixième Victime


d’Elio Petri... Peu de grands films – ou films devenus
cultes – peuvent revendiquer le label ciné-design, tant il
apparaît que le celui-ci fut surtout utilisé comme marqueur
négatif oscillant entre clichés et caricature. Oscar
d’Édouard Molinaro, avec Louis de Funès, est truffé de Pau-
lin rouges. Les années 1960-1970 furent zénithales en la
matière, en y ajoutant le répertoire du film d’espionnage et
un avatar pop de la science-fiction, porté par Barbarella de
Roger Vadim, Danger : Diabolik de Mario Bava et Modesty
Blaise de Joseph Losey. Hôtels internationaux clonés
knolliens, villas de parvenus confondant Le Corbusier avec
Courvoisier et antres du mal hantés par les méchants : par
leurs formes sexy et innovantes, les chaises Tulip d’Eero
Saarinen, les fauteuils Diamond d’Harry Bertoia, Bulle
d’Eero Aarnio, Swan d’Arne Jacobsen, Mushroom de Pierre
Paulin et Culbuto de Marc Held collaient bien avec l’idée
que le public se faisait d’une existence «moderne», où se
croisaient starlettes en bikini, mannequins en Paco
Rabanne, agents secrets et call-girls de haut vol.
La série des James Bond reste à ce titre équivoque : son
directeur artistique, Ken Adam, décédé en 2016 à l’âge de
95 ans, s’est toujours targué d’avoir inventé et dessiné l’in-
tégralité des décors sans jamais recourir à du design exis-
tant. Pourtant, plusieurs 007 figurent à l’écran des pièces
parfaitement reconnaissables. Entre autres, un fauteuil
Hans Wegner dans la «spider room» de Dr. No ou le fauteuil
UP5 de Gaetano Pesce : en 1971, dans Les diamants sont
éternels, ce siège rouge, icône jumbo du pop design, occupe
l’écran dans le décor bétonné du méchant Blofeld, prétexte

Olivier Mourgue fournira ses rangées de sièges Djinn symbolisant


pour Kubrick l’étape 2 de son récit, quand l’Homme devient la Machine.


2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick (1968), avec Leonard Rossiter, William Sylvester, Margaret Tyzack... Décors de Tony Masters,
Harry Lange et Ernest Archer. Fauteuils Djinn (1964-1965) d’Olivier Mourgue et tables basses Tulip (1955-1957) d’Eero Saarinen.


À VOIR
«Stanley Kubrick:
The Exhibition»
jusqu’au 15 septembre
Design Museum de Londres
224-238 Kensington
High Street
+44 20 3862 5900
https://design museum.org

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