Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

80 I Beaux Arts


FESTIVAL DE CANNES l LE DESIGN AU CINÉMA


à une série de bagarres et cascades entre Sean Connery et
les belliqueuses Bambi et Perle noire, tournée dans la mai-
son du décorateur des célébrités Arthur Elrod construite à
Palm Springs en 1968 par John Lautner.
La pop culture et la bande dessinée feront entrer le
design dans les mœurs décoratives du cinéma, mais le plus
souvent à titre de gag (voir The Party de Blake Edwards,
le Cerveau de Gérard Oury, Faut pas prendre les enfants du
Bon Dieu pour des canards sauvages de Michel Audiard,
Woody et les robots...) ou pour illustrer la profession du
héros – publicitaire, chanteur, psy, galeriste ou architecte.
Dans Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil,
Jean Yanne a plongé sa station de radio dans le design le
plus gadgétisé de l’époque (1972). Ce sera Rainer Werner
Fassbinder qui, le premier, fera de ce dernier un marqueur
social dans le Droit du plus fort avec l’appartement de Peter
Chatel, décoré par Raúl Gimenez selon les canons du début
des années 1970 avec canapés et fauteuils de Dieter Rams
et dialogue circonstancié sur les mérites d’être bien meublé
et d’avoir un bon matelas. Quand François Ozon adaptera
plus tard la pièce inédite de Fassbinder Gouttes d’eau sur
pierres brûlantes, son décorateur attitré Arnaud de Moléron
s’attachera à reproduire la même ambiance pour l’appar-
tement de Bernard Giraudeau avec chambre à coucher
Knoll et salon façon Rams. Fassbinder innovera encore en
1981, usant du design comme reconstituant historique :


Lola, une femme allemande, dont l’action se situe en 1957
dans la RFA d’Adenauer, sera le premier film postmoderne
à procéder ainsi. Suivront Brazil de Terry Gilliam, les Men
in Black de Barry Sonnenfeld, la série parodique des Austin
Powers de Jay Roach, The Ice Storm d’Ang Lee, A Single Man
de Tom Ford, quand Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol
ou In the Mood for Love et 2046 de Wong Kar-Wai usent
du design historique des années 1950 comme tuteur esthé-
tique d’un futur anxiogène.

Les années 2000, ou l’odyssée navrante
Depuis le début des années 2000, le design au cinéma est
redevenu anecdotique, à la fois esthétiquement nul, cheap
et sous blister pour complaire aux canons lisses du home-
staging, ou caricatural, réactivant le cliché du bourgeois
bien installé dans ses meubles iconiques. Et toujours
aucune création ad hoc. À l’instar de la mode, il est dissous
dans l’image, car il obéit à des diktats visuels qui ne doivent
pas dater le film, dont la carrière commerciale a été multi-
pliée par vingt festivals, VOD, télé, DVD et tous supports
actuels et à venir... Du coup, quand un designer ou un édi-
teur repère une de ses pièces dans un film, il n’y est pour
rien et n’a pas été prévenu. Quant à lancer un meuble
jusqu’à en faire un objet culte, aucun film à ce jour n’y a
réussi, exception faite d’Emmanuelle de Just Jaeckin (1973)
avec Sylvia Kristel et son fauteuil exotique... n

Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve (2017), avec Sylvia Hoeks. Décors de Dennis Gassner.
Fauteuil Ribbon F582 (1966) de Pierre Paulin.


À l’instar de la mode, le design est aujourd’hui dissous dans l’image,


car il obéit à des diktats visuels qui ne doivent pas dater le film.

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