Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

88 I Beaux Arts


RÉTROSPECTIVE l PALAZZO REALE DE MILAN
Jusqu’au 2 juin

Antonello da Messina,


peintre «non humain»


Milan consacre une exposition exceptionnelle à celui qui révolutionna la peinture
italienne du XVe siècle et dont les portraits hypnotiques continuent de fasciner
les foules. Une plongée rare au cœur de l’œuvre du divin Antonello.

Par Sophie Flouquet


S


urtout, ne jamais croire tout ce qu’écrit
Giorgio Vasari... Car l’auteur des Vite (les Vies
des plus excellents peintres, sculpteurs et archi-
tectes) avait aussi un très grand talent de
bâtisseur de mythes... Antonello da Messina
(vers 1430-1479), fils d’un tailleur de pierre de Messine, n’y
a pas échappé. Sous la plume du biographe des artistes de
la Renaissance, le Sicilien est certes dépeint en très grand
artiste – ce qu’il fut –, mais il est aussi décrit en infatigable
voyageur, capable de traverser l’Europe et de se rendre
jusqu’en Flandre pour apprendre auprès du grand Jan
Van Eyck comment «doter l’Italie de ce secret si précieux,
si utile et si commode»... Ce secret? Celui de la peinture à
l’huile, déjà largement maîtrisé au début du XVe siècle par
les Nordiques quand les Italiens travaillaient encore à l’eau.
Van Eyck l’aurait transmis à Antonello juste avant de mou-
rir, en 1441. Séduisante histoire, mais totalement impro-
bable... car, à cette date, le Sicilien n’aurait eu que 11 ans!
Pourtant, comme toujours avec Giorgio Vasari (1511-1574),
le vrai et le faux s’entremêlent. Antonello da Messina,
Antonello de Antonio de son vrai nom, fut bel et bien un

précurseur en matière de technique picturale. En Italie,
il fut l’un des premiers à abandonner la peinture à la
détrempe pour s’adonner à cette nouvelle manière nor-
dique permettant, par la pose d’une succession de couches
délicates de glacis, longues à sécher mais conférant une
réelle profondeur à la matière, de creuser les paysages, de
modeler profondément les visages, de donner vie aux
figures. Cette virtuosité lui offrit d’ailleurs un succès fulgu-
rant, notamment à Venise où, toujours d’après Vasari, il se
rendit pour «satisfaire son goût des femmes et des plaisirs».
Antonello travailla sur la lagune entre 1475 et 1476 et sa pro-
duction y fut pléthorique, jalonnée de chefs-d’œuvre.

Copier Van Eyck à Naples
Les études récentes, fruit de longues années de
recherches, ont toutefois révélé le véritable secret d’Anto-
nello : sa technique n’était en rien flamande! Dessin sous-
jacent rapidement tracé, contraste marqué entre éléments
riches en matière picturale (objets ou architectures) lais-
sant apparaître de courts sillons de peinture, chairs plus
fondues et finitions très fluides pour la lumière des yeux,

L’Annonciation
Aussi présente que distante, hiératique que proche... Comment ne pas tomber en pâmoison devant cette image
de dévotion d’une intensité et d’une beauté parfaites? La quintessence de l’art d’Antonello.
1475-1476, tempera et huile sur bois, 45 x 24,5 cm.
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