GEO Histoire - 04.2019 - 05.2019

(Tina Meador) #1
Contrairement à ce que nous
enseigne la légende, la ville n’est
donc pas fondée sur le mont
Palatin par Romulus, le 21 avril
753 avant notre ère...
Rome n’est certes pas née tout d’un
coup au milieu du VIIIe siècle
avant J.-C.! L’archéologie nous a
montré que le surplomb du Capi-
tole, au-dessus du gué, commença
même à être occupé à partir du
XVIIe siècle avant notre ère, ce qui
en apparence semble contredire
le mythe fondateur relaté par les
textes de Tite-Live (59 av. J.-C.-17
apr. J.-C.) ou des Grecs Denys d’Ha-
licarnasse (60-8 av. J.-C) et Plu-
tarque (45-127). Tous évoquent
l’histoire de Romulus, qui, après
avoir remporté un concours contre
son frère jumeau Rémus, décida
d’établir une ville à l’endroit où lui
et son frère, alors bébés, avaient
été sauvés par un berger.
Romulus traça avec une charrue,
au pied du Palatin, une limite sa-
crée, un «sillon primordial» (sul-
cus primigenius) et construisit un
mur qui prit le rôle d’une frontière
magique (pomerium). Ce mur, son

«progetto di Roma», un projet de
Rome, à partir de cette époque.
Toutes ces découvertes montrent
qu’il va falloir trouver une ma-
nière à la fois de relire les mythes
antiques d’un œil moins scep-
tique qu’on ne le faisait jusqu’à
présent, sans tomber pour autant
dans la crédulité totale.

En relatant le mythe fondateur
de Romulus, Tite-Live ne
se serait donc pas trompé?
Pour reprendre les mots de Dante :
«Livio che non erra» («Tite-Live
qui ne se trompe pas»). Comme
les autres auteurs de l’Antiquité,
quand il évoque la construction
d’un mur au VIIIe siècle avant
notre ère, il touche juste. Il a bien
fallu que le chef d’une entité col-
lective, peut-être Romulus, prenne
la décision d’un tel chantier et d’un
projet qui nécessitera une, voire
deux générations pour aboutir.
Aussi, il ne s’est pas trompé, parce
qu’il évoque certes le mythe de
Romulus, mais avec beaucoup de
réticences. Sur les 142 livres de son
Histoire romaine, il n’en consacre
qu’un seul à la période royale. En
outre, il emploie le terme de fa-
bula (fable) en précisant qu’il faut
être indulgent vis-à-vis d’une cité
qui a conquis le monde et qu’elle
peut dès lors prétendre avoir eu
des dieux qui se soient intéres-
sés à son origine! Une manière
élégante de dire qu’il n’y croit pas
vraiment... Contemporain de la
fin de la période républicaine,
Tite-Live agit en diplomate, car il
sait que la portée de l’histoire de
Romulus est mémorielle, et
qu’elle sert avant tout de point de
repère à la communauté.

Que nous dit aujourd’hui l’archéo-
logie sur la Rome des premiers
rois sabins et étrusques?
Elle nous confirme ce qui avait été
l’intuition d’un historien de la lit-
térature, l’Italien Giorgio Pasquali,
qui, en 1936, avait écrit un ar-

À LA CONSTRUCTION D’UNE CITÉ RAYONNANTE»


frère le franchit en riant avant que
Romulus, vexé, ne le tue. A partir
du XVIIIe siècle et surtout du XIXe,
historiens et archéologues esti-
mèrent que ce mythe fondateur
n’était qu’une fable ou un conte
pour enfants, surtout si l’on ajoute
que Romulus aurait été le fils
de Mars, et qu’à sa mort, il serait
devenu le dieu Quirinus.
Comment prendre cette his-
toire au sérieux? Il se trouve pour-
tant, qu’à partir de 1988, ont été
trouvés les restes d’un mur d’ar-
gile renforcé par des poutres de
bois sommaire. Il protégeait la
pente nord-occidentale du Pala-
tin. Depuis ont été exhumés, près
du sanctuaire de Vesta, les restes
d’une résidence cérémonielle du
VIIIe siècle av. J.-C., alors qu’il n’y
a pas si longtemps, on estimait
que les vestiges romains les plus
anciens dataient de deux siècles
plus tard. Le sol même du Forum,
au pied du Capitole, semble avoir
lui aussi été aménagé dans les an-
nées 720-700 av. J.-C. Ces élé-
ments incitent aujourd’hui des
chercheurs italiens à évoquer un

Alexandre
Grandazzi reçoit
les journalistes
de GEO Histoire
dans son bureau
de la Sorbonne,
à Paris, un lieu
qu’avait occupé
avant lui son an-
cien professeur,
le célèbre latiniste
Pierre Grimal.

GEO HISTOIRE 117
Free download pdf