«Les Romains eurent non seulement l’audace
de prétendre à la domination universelle, mais ils
parvinrent à leur fin», écrira au IIe siècle av. J.-C.
l’historien d’origine grecque Polybe, pour qui la
solidité de leurs institutions explique l’incroyable
destin de Rome, petite bourgade des bords du
Tibre devenue la capitale du monde antique. En
fait, l’histoire de la République romaine n’est
qu’une suite ininterrompue de campagnes mili-
taires. Cette situation de guerre endémique n’est
pas sans effet sur les institutions. Par exemple, le
Sénat a prévu très tôt, en cas de crise grave, de
remettre le pouvoir des deux consuls entre les
mains d’un seul homme, un «dictateur», pour une
période limitée à six mois. L’expansion coloniale
oblige les sénateurs à légiférer sur le statut des
gouverneurs de province et la lutte contre la cor-
ruption. Les soldats citoyens – la légion romaine
ne deviendra une armée de métier qu’en 107 av.
J.-C. – exigeant des terres à leur retour de cam-
pagnes, il faut revoir le partage de l’ager publicus,
le territoire de l’Etat.
Au fil de ces aménagements et retouches suc-
cessifs se dessinent les grandes lignes de cette
Constitution romaine, jamais gravée dans le mar-
bre, toujours en évolution, qui connaîtra son âge
d’or au IIe siècle av. J.-C. Les deux consuls, élus pour
un an, détiennent le pouvoir exécutif, à la fois le
temporel, imperium, et le divinatoire ou religieux,
auspicium, ce dernier étant très important dans
la mesure où les Romains considèrent qu’aucune
décision politique ne peut être prise sans que
les dieux n’aient été consultés et que les présages
ne soient favorables.
Ces deux consuls sont
entourés de magistrats,
élus par le peuple, et
dont les mandats sont
également limités dans
le temps : les censeurs,
chargés de mettre à jour
la liste des ci toyens et
d’évaluer leurs biens ;
les préteurs, ad mi nis-
trateurs civils et juges auprès des tribunaux ; les
édiles, qui gèrent les affaires domestiques (temples,
marchés, spectacles, jeux) ; et les questeurs, qui
veil lent sur les finances publiques.
Le pouvoir législatif est dévolu au peuple, popu-
lus, qui peut seul voter les lois. Il le fait dans le
cadre de comices. Ces assemblées sont ouvertes
aux seuls citoyens mâles de la cité âgés de 17 ans
et plus, à l’exclusion des femmes, des esclaves et
des étrangers, et obéissent à un système très com-
plexe. On a d’abord les comices centuriates qui
réunissent les patriciens et les plébéiens, maisceux-ci sont regroupés dans des centuries diffé-
rentes, où les plus riches ont plus de poids électo-
ral. Ils élisent les consuls, prêteurs et questeurs, for-
mulent les lois et décident des déclarations de guerre
ou des traités de paix. Parallèlement, les comices
tributes réunissent aussi patriciens et plébéiens,
mais sont constitués en fonction des circonscrip-
tions territoriales, les anciennes tribus, et favorisent
les gros propriétaires terriens. Outre le vote des lois,
ils élisent les magistrats subalternes. Il existe un
troisième type d’assemblée, appelé concile plé-
béien, auquel ne participent pas les patriciens.
Celui-ci, pour sa part, élit les édiles et les tribuns
de la plèbe, et se prononce sur les plébiscites. Mais
«le peuple était uniquement appelé à voter sur ce
qu’on voulait bien lui proposer», nuance Mary
Beard. Une façon de dire que ce pouvoir électif...
était très encadré. Enfin, il y a aussi le Sénat, qui
est chargé de contrôler l’action des consuls et des
magistrats, et de gouverner la cité. Les sénateurs,
composés de patriciens et d’anciens magistrats (ils
seront jusqu’à 600 à siéger), nommés à vie, veillent
aux affaires de l’Etat, au respect des lois et des tra-
ditions. Ils contrôlent également les finances et
supervisent les opérations militaires.
Quelle est l’influence réelle du peuple face à ce
puissant Sénat et peut-on parler de démocratie,
au sens où nous l’entendons depuis la Révolution
française? Polybe, déjà, posait la question. Le
débat reste ouvert. Mais, pour Mary Beard, «se
demander dans quelle mesure le système poli-
tique de la République romaine était “démocra-
tique” n’a guère de sens : les Romains luttaientpour leur liberté et au nom de la liberté, et non
pour la démocratie». Comment expliquer que ces
institutions idéales, qui font pourtant figure de
modèle de gouvernance républicaine, vont débou-
cher, au Ier siècle av. J.-C., sur une guerre civile
entre Marius et Sylla? Comment est-on parvenu
à la dictature de ce dernier? Puis à la formation
du premier triumvirat (Pompée, Crassus et Jules
César), qui finira par la prise de pouvoir de Jules
César, nommé dictateur à vie par le Sénat, en 44
av. J.-C., avant d’être assassiné par ses opposants
qui lui reprochaient de vouloir rétablir la monar-EN CAS DE CRISE, LE SÉNAT POUVAIT S’EN
LES INSTITUTIONS
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