GEO Histoire - 04.2019 - 05.2019

(Tina Meador) #1
Tel est pris qui croyait pren-
dre. Cette formule peut résumer
l’incroyable imbroglio fait de
chassés-croisés militaires, de fu-
rieuses batailles, de massacres
atroces et d’incessantes négocia-
tions que fut, de 58 à 51 avant
notre ère, la conquête de la Gaule
par les Romains. Ceux-ci arrivent
d’abord en amis et alliés, puis
s’installent en occupants, avant
de voir se retourner contre eux
leurs protégés. César se heurte
alors à Vercingétorix.
Le chef arverne fédère autour
de lui une armée innombrable. Ce
que les Gaulois, forts de leur union
et de leur légendaire bravoure n’ont
pas prévu, c’est le politicien hors
pair, le stratège génial, l’homme
d’envergure exceptionnelle qu’ils
ont en face d’eux. Issu d’une des
plus illustres familles du patriciat
romain, admirablement éduqué,
parlant et écrivant le grec comme
le latin, athlète accompli, orateur
brillant, familier des alliances po-
litiques, infi niment séduisant et
populaire, Jules César accède au
consulat en 59 av. J.-C.. Cela signi-
fi e qu’il est un des plus puissants
magistrats de la République, exer-
çant l’imperium, le pouvoir su-
prême civil et militaire. A 42 ans,
il semble au sommet de sa gloire.
Or cet homme à qui tout réussit
regrette de n’être que ce qu’il est à
un âge où son modèle, Alexandre
le Grand, avait déjà conquis le
monde. Le consulat ne dure qu’un
an, traditionnellement suivi d’un
proconsulat (gouvernement mili-
taire d’une ou de plusieurs provin-
ces). Cet ambitieux obtient l’Illy-
rie (la côte est de l’Adriatique) et
la Gaule cisalpine (la plaine du

Pô), à laquelle s’ajoute bientôt la
Narbonnaise (qui regroupe les ac-
tuelles régions Provence-Alpes-
Côte d’Azur et Languedoc-Rous-
sillon). César voit dans ce nou-
veau poste l’occasion d’acquérir
la seule gloire qui lui manque, la
plus grande, celle des armes.
Tout bascule en 58 av. J.-C. Les
Helvètes, refoulés par les peuples
germaniques sur l’étroit plateau
suisse, ont le projet de migrer à
travers toute la Gaule : ils veulent
descendre le long de la vallée du
Rhône, contourner le Massif cen-
tral et traverser le sud du pays

pour s’installer en Saintonge, au
bord de l’océan Atlantique. César
gagne Genève pour rencontrer les
ambassadeurs helvètes. Il leur re-
fuse tout net le passage par la Nar-
bonnaise : ce serait livrer la pro-
vince aux exactions d’une horde
de 400 000 barbares, sans parler
de la brèche ainsi ouverte où ne
manqueront pas de s’engouff rer
les Germains, avec qui Rome
maintient un fragile statu quo. Les
Helvètes s’inclinent. Ils prendront
un autre chemin...
On aurait pu s’en tenir là. Et la
guerre des Gaules aurait pu n’avoir
jamais lieu si les Eduens, occu-
pant une partie de l’actuelle Bour-
gogne, et les Séquanes, installés
en Franche-Comté, vieux alliés

de Rome, n’avaient appelé César
au secours pour se débarrasser des
Helvètes qui traversent leurs terres
en les dévastant. A croire que le
proconsul n’attendait que ce si-
gnal : il prend aussitôt la tête de
ses légions, qui défont les Helvètes
et les renvoient défi nitivement
dans leurs montagnes. Cette vic-
toire d’une armée inférieure en
nombre sur des hommes qui
passent pour les meilleurs guer-
riers de la Gaule (avec les Belges)
a un retentissement énorme. For-
tement impressionnés, les peuples
de la Gaule demandent à nouveau
à Rome de les protéger, cette fois
des Germains. Ceux-ci, en eff et,
ont la prétention de dominer le
pays du Rhin à la Loire.
Pour l’heure, les Gaulois ne
voient pas ce qu’ils auraient à
crain dre de ces quelques légions
romaines. Ils ont tort. César a lu
les historiens, interrogé les natifs
du pays, étudié leur religion, exa-
miné tous ces peuples, ce qui les
unit et les oppose. Il raisonne en
géopoliticien, d’autant plus ob-
sédé par les frontières que son am-
bition n’en a pas. Il rêve déjà d’of-
frir à une Rome surpeuplée les
richesses naturelles de ces im-
menses espaces au climat doux.
Il doit d’abord en chasser les
Germains. A la fi n de l’année £58
av. J.-C., dans la plaine d’Alsace,
les Romains défont ces derniers,
qui repassent le Rhin en catastro-
phe, abandonnant 80 000 morts,
comme le raconte César dans ses
Commentaires sur la guerre des
Gaules. L’année suivante, le pro-
consul écrase les tribus belges, en-
core à demi-sauvages mais extrê-
mement unies et valeureuses,
comme il le reconnaît lui-même.
En 56 av. J.-C., toute la Gaule est
passée sous domination romaine.
César est enfi n considéré comme
un grand chef militaire, l’égal
de Pompée, son rival à Rome. Il
se garde bien pourtant d’y

SA STRATÉGIE


Géniale


mais impitoyable


T


94 GEO HISTOIRE

L’IMPERATOR

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