GEO Histoire - 04.2019 - 05.2019

(Tina Meador) #1
César avait une grande page
blanche devant lui pour écrire ce
qu’il voulait... A Bibracte, en dé-
cembre 52 av. J.-C., alors qu’il vient
de triompher à Alésia et se pré-
pare pour une dernière campagne
de «nettoyage», l’imperator (com-
mandant) achève de dicter les sept
livres de ses Commentaires sur la
guerre des Gaules (ou Guerre des
Gaules). Pourquoi? Parce qu’à
Rome une émeute a dévasté la cu-
rie (où se réunit le Sénat) et réduit
en cendres tous ses rapports – ces
comptes rendus que la République
exige de ceux qu’elle envoie à la
tête des armées et des provinces.
Sous prétexte de réparer cette
perte, le proconsul retrace en un
peu plus de deux mois ses sept an-
nées d’une guerre éreintante, avec
la liberté que lui donne la destruc-
tion de ses rapports offi ciels. Il pa-
rachève ainsi une «expérience de
renommée dirigée, peut-être la
plus grande et la plus durable de
l’histoire européenne», écrit Mi-
chel Rambaud dans L’Art de la dé-
formation historique dans les
Commentaires de César (éd. Belles
Lettres, 1952, réédité en 2011).
La Guerre des Gaules est un ou-
vrage de propagande, qui appar-
tient à un moment littéraire où
«l’histoire n’a pas encore trouvé à
Rome sa forme classique», précise
l’historien. Du Livre I au Livre•VII,
de la victoire sur les Helvètes à la
défaite de Vercingétorix, les évé-
nements racontés par César s’en-
chaînent avec une logique sans
faille, toute à son avantage, et avec
la vraisemblance que donne à son
récit l’utilisation de trois sortes de
documents : les rapports de ses

sente, selon César, un danger mor-
tel pour la Province. Ce qui fait peu
de cas de la géographie en présen-
tant comme négligeable la dis-
tance entre l’actuelle Saintonge,
où les Helvètes ont l’intention de
s’établir, et Toulouse, la ville la
plus à l’ouest de la Gaule romaine.
César justifi e son action par les
plaintes des peuples alliés des Ro-
mains, qui redoutent le passage
des Helvètes.
César brouille ainsi la géogra-
phie, anticipe ou dramatise les
faits, convainc son lecteur – et ar-
rache l’approbation du Sénat. Ses
légions s’élancent, écrasent les
Helvètes à Bibracte et les renvoient
dans leurs montagnes. Même
chose, peu après, avec les Suèves
(ancêtres des Souabes), un peu-
ple germain pourtant ami des Ro-

lieutenants, ce qu’il a gardé de ses
lettres au Sénat, enfi n une masse
de notes tactiques, géographi-
ques, ethnographiques. Dès les
premières phrases, le lecteur est
conquis : «La Gaule tout entière est
divisée en trois parties. Les Belges
en habitent une, les Aquitains une
autre, ceux qui s’appellent Celtes
dans leur propre langue, et Gau-
lois dans la nôtre, la troisième. Ces
nations diff èrent entre elles par
le langage, les institutions et les
lois.» C’est le langage d’un militaire
revu et corrigé par un artiste qui
s’adresse non au peuple – l’impri-
merie n’existe pas – mais à l’élite
politique et littéraire de son temps,
amis et ennemis confondus, una-
nimes à célébrer le talent de l’écri-

vain, son elegantia. Le récit se dé-
veloppe avec une sobriété clas-
sique où perce parfois le ton de
plaidoyer des rapports initiaux,
comme le montrent les historiens,
de Michel Rambaud à Yann Le
Bohec (César, chef de guerre, éd.
Rocher, 2001 ; Tallandier, 2015).
Il s’agit de prouver au Sénat la
nécessité d’une action hors des li-
mites de la Gaule romaine dont il
vient d’obtenir le gouvernement
en 58 av. J.-C. : il faut arrêter la mi-
gration des Helvètes. Leur instal-
lation à l’autre bout de la Gaule, au
bord de l’océan Atlantique, repré-

SES MÉMOIRES


Ils furent écrits


tout à sa gloire


C


98 GEO HISTOIRE

L’IMPERATOR

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