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Cerveau, mémoire, Sommeil... DossIEr 41
lieu, ainsi que l’établissement de la théorie de
la carte cognitive, a valu au neurobiologiste
John O’Keefe l’attribution du prix Nobel de
médecine 2014. Cependant, même si cette
théorie était unanimement acceptée, elle ne
reposait que sur des corrélations et il n’y avait
jusqu’alors pas de preuve directe d’un lien
de causalité entre la décharge des cellules de
lieu et la représentation mentale de l’espace.
L’activité de ces cellules pourrait également
expliquer le rôle bénéfique du sommeil dans
la mémoire. En 1989, le chercheur Gyuri Buz-
saki a proposé que ce rôle bénéfique pourrait
reposer sur les réactivations neuronales surve-
nant pendant le sommeil. En effet, pendant le
sommeil, les cellules de lieu rejouent l’activité
enregistrée pendant l’éveil, comme si la souris
parcourait à nouveau mentalement l’environ-
nement afin d’en renforcer son apprentissage.
A nouveau, cette théorie, bien qu’étayée par
un nombre important de résultats concordants,
n’avait pas pu être démontrée directement.
L’équipe de Karim Benchenane, au Labora-
toire Plasticité du Cerveau à l’ESPCI (École
supérieure de physique et de chimie indus-
trielles de la ville de Paris), a utilisé une inter-
face cerveau-machine pour associer pendant
le sommeil les réactivations spontanées d’une
cellule de lieu unique à une stimulation dans
les fibres dopaminergiques du circuit de la
récompense, appelé faisceau médian pro-
sencéphalique. Au réveil, la souris se diri-
geait directement vers le champ de lieu de
la cellule de lieu associée aux stimulations,
comme pour y rechercher une récompense,
alors qu’aucune récompense n’y avait jamais
été présentée. La souris avait donc consolidé
un nouveau souvenir pendant son sommeil,
celui de l’association de ce lieu à une sensa-
tion de plaisir.
Dans cette expérience, l’activité de la cellule
de lieu était décorrélée de la position de la
souris puisque celle-ci était endormie dans sa
cage. L’association entre l’activité du neurone
et de la stimulation récompensante entraîne
au réveil de la souris une association lieu-
récompense. Cette étude apporte donc une
preuve du lien causal entre l’activité d’une
cellule de lieu et la représentation mentale de
l’espace. Enfin, elle montre que les réactiva-
tions des cellules de lieu pendant le sommeil
portent bien la même information spatiale que
pendant l’éveil, confirmant ainsi le rôle des
réactivations neuronales dans la consolidation
de la mémoire.
Cette étude démontre enfin qu’il est possible
de créer une mémoire complexe, ou explicite,
durant le sommeil, allant bien au delà des
précédentes études montrant que des condi-
tionnements simples pouvaient être réalisés
pendant le sommeil. Ces recherches pour-
raient permettre le développement de nou-
velles thérapies du stress post-traumatique en
utilisant le sommeil pour effacer l’association
pathologique.
Peut-on manipuler notre cerveau?
Peut-on agir sur notre cerveau, à distance ou bien directement, pour influencer notre comportement, pallier
à certains handicaps psychomoteurs, faciliter les apprentissages... nous rendre plus dociles? Peut-on soi-
même agir sur son cerveau pour en améliorer les performances? On sait que l’on peut déjà commander à
une machine par les ondes cérébrales : à quand la communication avec un autre cerveau?
De la méditation à la stimulation transcrânienne en passant par l’hypnose et le neurofeedback, de nom-
breuses techniques existent déjà et la réalité est en train de prendre le pas sur le fantasme. Dans des buts
louables et d’autres éthiquement moins avouables...
Professeur de Psychologie cognitive à l’Université Pierre Mendès France et ancien directeur du Laboratoire de psychologie
et neurocognition (LPNC), l’auteur, Christian Marendaz, travaille actuellement sur la stimulation magnétique transcrânienne
répétée (rTMS) dans le cadre thérapeutique des troubles psychiatriques pharmaco-ré sistants.
« Peut-on manipuler notre cerveau? », par Christian Marendaz
Editions Le Pommier - 2015 - 128 pages - 7,90 €
40 Dossier Cerveau, mémoire, Sommeil...
Quand la neuroimagerie permet de mesurer
l’effet d’un médicament sur le cerveau
Peut-on créer de nouveaux souvenirs en dormant?
Un enjeu crucial pour la recherche de nouveaux traitements des maladies neurodé-
génératives est de développer des biomarqueurs permettant de mesurer leur effet
sur le cerveau...
L’hippocampe est une structure cérébrale cruciale pour la mémoire et la navigation
spatiale, chez l’homme comme chez l’animal. En effet, des lésions de l’hippocampe
entraînent une amnésie antérograde, c’est à dire l’incapacité de former de nouveaux
souvenirs.
En particulier, l’imagerie par résonance ma-
gnétique (IRM) permet d’étudier l’atrophie
de différentes structures cérébrales, reflétant
notamment la perte neuronale et synaptique
liées aux maladies neurodégénératives. Le
défi est de concevoir des méthodes de traite-
ment d’images IRM permettant de quantifier
cette diminution de volume de façon extrê-
mement précise.
Des chercheurs viennent de démontrer qu’il
est possible de mesurer l’effet d’un médi-
cament sur le ralentissement de l’atrophie
cérébrale, grâce à un logiciel de traitement
d’images qu’ils ont développé. Cette étude
est un essai clinique portant sur la molécule
donepezil qui est utilisée pour traiter les
symptômes de la maladie d’Alzheimer. Il
s’agit d’un projet collaboratif national ayant
notamment impliqué l’équipe ARAMIS,
commune entre le CNRS, l’Inria, l’Inserm
et l’Université Pierre et Marie Curie au sein
de à l’Institut du Cerveau et de la Moelle épi-
nière (ICM), le Centre de Neuroimagerie de
Recherche de l’ICM, l’Institut de la Mémoire
et de la Maladie d’Alzheimer et les compa-
gnies pharmaceutiques EISAI et Pfizer.
L’étude visait à déterminer si ce trai-
tement pouvait ralentir le processus
d’atrophie de l’hippocampe chez les
patients atteints de maladie d’Alzhei-
mer au stade précoce. L’hippocampe,
qui est une structure du lobe temporal
du cerveau qui joue un rôle majeur
dans la mémoire, est également une
des premières régions du cerveau
altérées par la maladie d’Alzheimer.
Au sein de l’équipe ARAMIS, Marie
Chupin a développé un logiciel per-
mettant de mesurer automatiquement
le volume de l’hippocampe à partir
de données d’imagerie par résonance
magnétique (IRM).
Dans le cadre de l’étude, 216 patients
atteints de maladie d’Alzheimer au
stade précoce ont été recrutés. La
moitié d’entre eux a reçu le donepezil et
l’autre moitié un placebo. Grâce au logiciel
de volumétrie automatique, les chercheurs
ont pu montrer que la vitesse de perte de
volume de l’hippocampe était réduite de
45% chez les patients traités par le donepe-
zil par rapport à ceux ayant reçu un placebo.
Cette technique ouvre donc des perspectives
prometteuses pour l’évaluation de nouvelles
approches thérapeutiques dans les maladies
neurodégénératives.
De plus, ces études de lésions ont pu mon-
trer qu’il existait deux types de mémoire :
la mémoire dite déclarative ou explicite, qui
peut être communiquée par des mots, et la
mémoire procédurale, qui concerne notam-
ment des apprentissages moteurs, ou encore
les conditionnements simples. Chez le ron-
geur, la mémoire spatiale, dont les facultés
sont altérées par des lésions de l’hippocampe,
est alors considérée comme une mémoire de
type explicite, notamment lorsqu’elle est utili-
sée dans la mise en place d’un comportement
dirigé vers un but.
De manière intéressante, l’activité de certains
neurones de l’hippocampe est corrélée à la
position de l’animal dans un environnement :
on parle de cellules de lieu. Ce corrélât est
si fort que l’on peut déduire la position de
l’animal uniquement par l’analyse de l’acti-
vité de ces cellules de lieu, ce qui suggère que
l’animal pourrait se servir de ces neurones
particuliers comme carte mentale lors de la
navigation. La découverte de ces cellules de