Le_nouvel__conomiste_du_Vendredi_19_Juillet_2019_

(Kiana) #1

Mais qu’arrive-t-il à la légendaire
locomotive allemande? Habituée à
tirer le “Vieux continent”, l’écono-
mie de notre voisin est devenue l’un
des derniers wagons du train euro-
péen. Son taux de croissance pour
2019 est prévu à un maigre 0,5 %, à
quelques encablures de la récession,
alors que la moyenne dans la zone
euro devrait atteindre 1,5 %. Les
derniers indicateurs du printemps
confi rment l’atonie de l’activité
avec un nouveau recul de 3 % des
commandes dans le secteur indus-
triel. Un passage à vide qui n’est
pas un accident conjoncturel, mais
plutôt le signe précurseur de la fi n
d’un modèle. Un modèle tout entier
orienté vers l’insertion de l’indus-


trie dans la globalisation du début
du XXIeee siècle. Ce choix du “tout à siècle. Ce choix du “tout à
l’export” a été pris en toute lucidité
au tournant des années 2000 sur un
fond de tradition mercantiliste, non
sans une part de cynisme vis-à-vis
de ses partenaires européens qui
auraient aimé voir l’Allemagne jouer
plus collectif. Gagnant pendant une
quinzaine d’années, cette option se
retourne aujourd’hui contre ses ini-
tiateurs tel un boomerang à mesure
que se dessine le nouveau visage de
la mondialisation. Incontournable
hier, le “made in Germany” devient
moins indispensable au cœur des
échanges internationaux. Cette insi-
dieuse autant qu’inéluctable muta-
tion appelle des révisions déchi-
rantes du système allemand. C’est
tout un appareil industriel qu’il faut
en effet reconfi gurer pour l’adapter
à la nouvelle donne. Une tâche com-
plexe à mener, et surtout diffi cile à
admettre dans les têtes car il s’agit
ni plus ni moins pour l’Allemagne
de se réinventer en abandonnant
une part de son identité industrielle,
celle-là même qui a fondé sa pros-
périté. Un défi culturel tout autant
qu’économique, qui pour l’heure
tétanise nos voisins plus qu’il ne
les pousse à innover. Un passage à
vide profondément déstabilisateur
pour l’ensemble de l’Europe qui
perd son modèle. “L’Allemagne était
ces dernières années l’exemple d’ex-
cellence à copier, notamment pour
sa compétitivité. Une démarche ins-
crite jusque dans les traités. Or moins
remarquable et moins performante,
l’Allemagne devient du même coup
moins enviable”moins enviable”moins enviable”
, souligne Alexandre , souligne Alexandre
Delaigue, professeur d’économie.
Mais ne nous réjouissons pas de
façon quelque peu malsaine du mal-
heur allemand actuel, tant il est vrai
qu’en perdant un leadership, l’Eu-
rope perd aussi une boussole.


L’excellence allemande


mise au défi


Avec près de la moitié de son PIB
réalisé par son commerce extérieur,
l’économie allemande s’est placée
au tournant des années 2000 aux
premières loges de la globalisation.
Une stratégie porteuse reposant sur
un mélange d’excellence et d’une
spécialisation de pointe dans les


secteurs porteurs : les biens d’équi-
pement, que ce soient la machine-
outil ou les équipements de l’indus-
trie lourde (sidérurgie, chimie), et
l’automobile. Les pays émergents,
et singulièrement la Chine, qui enta-
maient leur cycle d’investissement
se sont massivement équipés de pro-
duits “made in Germany”. Quant
à l’automobile allemande, elle a
été dans le secteur des produits de
consommation le produit phare.
“L’industrie automobile allemande a
gagné des parts de marché dans le seg-
ment haut de gamme car de la Chine
en Asie en passant par l’Amérique
latine, posséder une voiture allemande
est le signe indispensable des 10 %
les plus riches de la population”les plus riches de la population”les plus riches de la population” , ana-, ana-
lyse l’économiste Xavier Timbeau à
l’OFCE. Mais cette belle mécanique
est en train de se renverser. Une
menace de plus en plus crédible se
fait jour : la prochaine vague d’in-
dustrialisation ne se fera pas avec
des produits allemands. “Avec leur
agenda 2025, les Chinois affi chent
clairement leur volonté de monter en
gamme leur production et de se subs-
tituer à l’Allemagne dans le secteur
des technologies avancées” explique
Alexandre Delaigue. Pour les
Allemands, le challenge s’appelle la
Chine. “Les Allemands ont fabriqué
une sorte de Frankenstein en indus-
trialisant la Chine, un Frankenstein
qui leur échappe et qui pourrait même
dévorer son créateur”dévorer son créateur”dévorer son créateur” s’alarme Denis s’alarme Denis
Ferrand, économiste à Rexecode.
Le traumatisant laminage de l’in-
dustrie photovoltaïque allemande
par les panneaux voltaïques chinois,
produits en partie grâce à la techno-
logie allemande mais vendus à des
prix de dumping, a traumatisé une
bonne partie des 5 000 entreprises
allemandes installées en Chine...
Qui plus est, ces dernières sont les
victimes collatérales toutes dési-
gnées des tensions commerciales
de plus en plus exacerbées qui se
font jour entre la Chine et les États-

de plus en plus exacerbées qui se
font jour entre la Chine et les États-

de plus en plus exacerbées qui se

Unis. Une guerre commerciale dans
laquelle l’Allemagne, qui a le plus
besoin de régulation pour troquer
son savoir-faire contre les débouchés
commerciaux, a le plus à perdre.
À cela s’ajoute l’effet perturbateur

commerciaux, a le plus à perdre.
À cela s’ajoute l’effet perturbateur

commerciaux, a le plus à perdre.

d’une transition diffi cile dans le
secteur de l’automobile. Dans un
contexte où les consommateurs
hésitent à acheter des modèles à
essence et où les constructeurs ont

très peu d’offres alternatives à pro-
poser, le marché n’est guère porteur.
Le problème est qu’on ne voit pas le
bout de cette transition. D’où une
part de la déprime allemande dans
un pays où l’automobile, qui pèse
jusqu’à 14 % du Pib en comptant le
réseau des fournisseurs, est un sec-
teur clé de l’économie.

Révisions déchirantes
entre urgence et attentisme

Entre urgence et attentisme, la
mutation du modèle allemand sera
diffi cile et pleine de dangers. Les
hésitations des grands constructeurs
automobiles sont une illustration
de ces diffi cultés. “Il ne s’agit pas
uniquement de faire de la recherche-
développement mais de reconfi gurer
tout un appareil industriel. Passer du
moteur à explosion à un moteur élec-

trique, c’est un changement de métier.
Quant à la fabrication des batteries,
ce n’est pas, loin s’en faut, une spé-
cialité allemande”, observe Xavier
Timbeau. Le modèle de l’usine du
futur n’est pas celui de l’ancien
monde : l’usine à batterie entière-
ment automatisée et pratiquement
sans ouvrier est loin du schéma de
l’usine allemande rhénane qui réu-
nit dans un même atelier ingénieurs
et ouvriers qualifi és. “Imaginer
une usine sans ouvrier, ce n’est pas la
vision des boards allemands. Quand

on a bâti son image de marque sur la
performance de ses moteurs et de ses
ouvriers qualifi és, y renoncer est diffi -
cile. Paradoxalement, une telle révolu-
tion est sans doute plus facile à faire
chez Fiat ou Renault que chez BMW”
reprend Xavier Timbeau. Ce défi
concerne tout autant les autres sec-
teurs clés de l’industrie allemande :
métallurgie, machines-outils, chimie
etc. Et il a incité, au début de l’an-
née, le ministre de l’Économie

etc. Et il a incité, au début de l’an-
née, le ministre de l’Économie

etc. Et il a incité, au début de l’an-

Peter Altmaier à présenter une
“stratégie industrielle 2030”. Une
démarche inédite en Allemagne où
l’initiative des choix stratégiques
est laissée en général aux entre-
prises. Une démarche d’autant plus
singulière qu’elle a été assortie
d’une main tendue aux Français.
Un geste jugé cependant trop tar-
dif par Denis Ferrand. “La stratégie
allemande des vingt dernières années
s’est construite en laissant un désert
industriel autour d’elle en Europe”industriel autour d’elle en Europe”industriel autour d’elle en Europe” , ,
déplore l’économiste. Reste cepen-
dant que les industriels allemands


  • contrairement à leurs collègues
    du secteur bancaire – disposent
    eux d’un sérieux trésor de guerre,
    à l’instar de l’ensemble du pays.
    Rien que l’an dernier, l’excédent
    courant allemand a dépassé les 300
    milliards d’euros, soit l’équivalent
    de 7 à 8 % du PIB. Il y aurait là de
    quoi assurément inciter l’économie
    allemande à se réorienter vers son
    marché intérieur. “Ce renversement
    vers la consommation n’a rien d’évi-
    dent. Non seulement la population
    tend à diminuer, mais elle vieillit. Or
    une population âgée est structurelle-
    ment moins portée à acheter”ment moins portée à acheter”ment moins portée à acheter”
    , analyse , analyse
    Alexandre Delaigue. Une alterna-
    tive pourrait être une relance de
    l’investissement public, mais cette
    voie semble bouchée. “Réaliser des
    investissements publics passe par
    de l’endettement. Or il y a une hos-
    tilité quasi idéologique à la dette en
    Allemagne, l’objectif étant sa suppres-
    sion d’ici quelques décennies”sion d’ici quelques décennies”sion d’ici quelques décennies”
    , note , note
    Alexandre Delaigue. Pour l’heure, le
    ratio dette/Pib est déjà repassé sous
    la barre des 60 % conformément au
    critère de Maastricht (contre près
    de 100 % pour le ratio français). Les
    réticences sont d’ordre culturel dans
    un pays où l’investissement public
    est perçu commet antinomique de
    qualité et d’effi cacité, à l’instar des
    déboires de l’aéroport de Berlin qui
    multiplie les retards et les surcoûts.


Quelle que soit la piste envisagée, la
reconversion n’a donc, on le voit, rien
d’évident. Mais n’enterrons pas trop
vite nos voisins. “Les industriels alle-
mands détestent rien tant que l’incer-
titude. Le système garde toutefois une
forte capacité à jouer collectif et à for-
ger du consensus”, rappelle Isabelle
Bourgeois, experte sur les questions
allemandes. Le fameux diesel alle-
mand, plus long au démarrage mais
constant dans la durée, est peut-être
condamné à ne plus rouler, mais il
garde ses vertus pour gouverner!

PHILIPPE PLASSART

Le signe de la fi n d’un modèle


Touchée mais pas encore couléeTouchée mais pas encore coulée


L’Allemagne à la peine


A la une


Une menace de plus


en plus crédible se fait


jour : la prochaine vague


d’industrialisation ne se


fera pas avec des produits


allemands


Entre urgence


et attentisme,


la mutation du


modèle allemand


sera diffi cile et


pleine de dangers.


Les hésitations des


grands constructeurs


automobiles sont une


illustration de ces


diffi cultés.


31 avenue du Général Michel Bizot
75012 Paris
Henri J. Nijdam,
directeur de la publication et de la rédaction
[email protected]
Gaël Tchakaloff,
directrice déléguée, éditorialiste
[email protected]
E-mail : [email protected]
Abonnements : [email protected]

Rédaction : Rédaction en chef :
Patrick Arnoux, Jean-Michel Lamy,
Édouard Laugier, Philippe Plassart,
Pierre-Louis Rozynès
Rédaction, chroniqueurs & éditorialistes :
http://www.lenouveleconomiste.fr
Secrétariat de rédaction :
Aurélie Percheron
Edition & diffusion Web & Print :
Clément Guéraud, 01 76 21 40 84
Laurence Guy, 01 58 30 83 64
Publicité : Direction commerciale :
Jonathan Grain 01 75 444 111
Équipe commerciale :
http://www.lenouveleconomiste.fr
Formalités & Annonces légales, juridiques
et judiciaires : Juripresse -
Antoine Wieczorek 01 75 444 116
Gestion : Isabel Martins 01 75 444 104
Société Nouvelle du Nouvel Économiste S.A. au capital de
37 000 euros. Président : Bruno Ledoux ; directeur général :
Alexandre Almajeanu. Principal actionnaire : BLHM, MB
Participations. SA Financière Nouvel Eco
SA au capital de 4.098.590 euros. Prési-
dent-, directeur général: Henri J. Nijdam.
Print France Offset 79, route de Roissy,
93290 Tremblay-en-France. Dépôt légal :
janvier 1993. Numéro de commission
paritaire : 0722 C 85258. ISSN : 0395-
6458.

Affaires publiques, Entreprises,
Économie sociale

Affaires publiques, Entreprises,
Économie sociale

Affaires publiques, Entreprises,

Journal d’analyse et d’opinion
paraissant le vendredi
Free download pdf