Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1

22 // ENTREPRISES Lundi 9 mars 2020 Les Echos


Les galeries Pace, Acquavella
et Gagosian ont réussi, ensemble, à
décrocher une collection évaluée à
450 millions de dollars : celle du mil-
liardaire Don Marron, l’ancien
patron de PaineWebber, la banque
de courtage acquise par UBS en


  1. En un demi-siècle, le financier
    a rassemblé des toiles de maîtres
    modernes et contemporains :
    Matisse, Léger, Paul Klee, Picasso,
    Rothko, Cy Twombly, Ed Ruscha...
    Son amour de l’art l’a même conduit
    à présider pendant cinq ans
    le Museum of Modern Art.
    Après son décès, à quatre-vingt-
    cinq ans, en décembre dernier,
    Sotheby’s , Christie’s et Phillips se
    sont livrés à une surenchère pour
    obtenir cet ensemble d’œuvres,
    allant jusqu’à garantir pour 300 mil-
    lions de dollars à sa veuve. Mais,
    contre toute attente, Catie Marron a
    privilégié le trio de galeristes, ces
    derniers promettant à leur tour
    d’acquérir les pièces qui ne trouve-


raient pas preneur. Marc Glimcher,
le PDG de Pace, à l’initiative de cette
opération, a joué sur la corde sensi-
ble : les trois galeries ayant contri-
bué dès l’origine à façonner la collec-
tion de Don Marron, elles étaient
soucieuses de « célébrer » celle-ci, à
travers des expositions dans leurs
espaces et une publication très
documentée, plutôt q ue de la
« démanteler ».

Plus de discrétion
Et le trio a fait la preuve de son effica-
cité, ayant déjà vendu, selon la presse
anglo-saxonne, pour 300 millions
de dollars d’art, dont deux portraits
de Picasso (cédés au magnat des
casinos Steve Wynn) pour plus de
100 millions de dollars, un Rothko
pour 70 millions, un Cy Twombly
pour 30 millions, etc.
Chez Christie’s comme Sotheby’s,
on se montre beau joueur, chaque
maison affirmant aux « Echos » que
l’émulation était « saine ». En cou-

lisse, la fébrilité est probable : ainsi
Sotheby’s a profité de la présence à
New York du gratin des collection-
neurs américains à l’o ccasion de la
foire Armory Show pour souligner
que ses ventes privées avaient quasi
atteint le milliard de dollars en 2019,
soit 17 % de ses ventes totales. Chez
Christie’s , c’est 15 %, avec 811 millions
de dollars d ’œuvres écoulées de gré à
gré l’an dernier (+24 % en un an) et
chez Phillips 19 %, avec 172 millions
(+34 %), selon le Global Art Report
d’Arts Economics. Si les enchères
permettent parfois d’obtenir des
prix mirobolants, les ventes privées
séduisent par leur discrétion : elles
évitent aux vendeurs de « griller »
leurs œuvres sur le marché, comme
c’est le cas en vente publique si cel-
les-ci ne trouvent pas d’enchérisseur.
Le « cas Marron » pourrait bien
faire école dans un pays où plusieurs
galeristes puissants dépassent le
milliard de dollars de chiffre d’affai-
res annuel. —M. R.

Kehinde Wiley (le portraitiste
d’Obama) à un acheteur canadien
et p our 1 10.000 dollars une peinture
du Sénégalais Omar Ba à une c ollec-
tionneuse de Seattle.
Le Français Julien Lombrail,
dont la galerie Carpenters e st i nstal-
lée des deux côtés de l’Atlantique,
apprécie pour sa part d’être « la
seule galerie d e design à exposer dans
une foire d’art contemporain ».
« Cela élargit notre clientèle et nous
légitime », explique-t-il. Quant à
André Magnin, il participe à
l’Armory, car il est spécialisé dans
les artistes africains, auxquels « les
musées et le marché américains
s’intéressent de plus en plus ».

Les Etats-Unis s’adjugent
44 % du marché
Si certains galeristes importants
(Thaddaeus Ropac, Lisson...) ont
boudé cette édition, le mégagale-
riste Gagosian est de retour, un bon
signal. « L’Armory Show a été fondé
par des marchands, alors nous com-
prenons que les professionnels
veuillent tester d’autres foires. Et le
renouvellement apporte de l’énergie »,
se console Nicole Berry.
La foire cherche à monter en
gamme, avec ses e xpositions
conçues par des commissaires de
musées et ses prix réputés, dont
deux d’initiative hexagonale, décer-
nés respectivement par Pommery et
par Aware, association qui met en
lumière des femmes artistes aidées
par l’ambassade de France. L’an pro-
chain, elle va migrer au Javits
Convention Center, fraîchement

agrandi. Avec sept foires off, des ven-
tes a ctives chez Christie’s e t Sotheby’s
(avec respectivement 2 4,2 et
31,8 millions de dollars récoltés en
une journée, 97 % et 86 % des lots
écoulés en valeur), des événements
multiples chez les marchands de
Chelsea comme au sein des specta-
culaires f ondations p rivées,
l’Armory Show vient rappeler que
New York est durablement le pre-
mier marché de l’art, surtout pour
les pièces les plus chères.
Selon le Global Art Market
Report 2020, galeries et maisons de
vente américaines ont cédé pour
28,3 milliards de dollars d’art l’an
dernier, avec une part du gâteau
mondial stabilisée à un haut
niveau : 44 %.n

Martine Robert
@martiRD


Le long de l’Hudson, sur les jetées
Pier 90 et 94, la plus ancienne foire
d’art contemporain de New York a
fait le plein. L’Armory Show, du nom
de la mythique exposition interna-
tionale d’art moderne de 1913, a inau-
guré mercredi sa 26e édition par un
prévernissage VIP bondé. Et c’est à
peine si l’état d’urgence, proclamé
samedi dans l’Etat, pour cause de
coronavirus, a dissuadé les visiteurs
jusqu’à la clôture dimanche. Ni l’épi-
démie ni la concurrence des foires
européennes Frieze et Tefaf, qui
devraient se tenir à Big Apple en mai



  • sauf annulation –, n’ont refroidi
    l’enthousiasme.
    L’Armory Show, très américaine
    par son public comme par ses expo-
    sants, dispose d’un socle d’habitués
    très solide. « La majorité des 55.000 à
    65 .000 visiteurs vient des Etats-Unis.
    Mais la diversité des prix des œuvres,
    de quelques centaines de dollars à plus
    de 1 million, attire des profils variés »,
    relève sa directrice Nicole Berry.
    Moins provocatrice qu’Art Basel
    Miami, la foire a la réputation d’être
    « efficace » pour ses 180 galeristes
    qui acceptent de payer des stands
    très chers pour être au cœur de
    Manhattan. Dès l’ouverture,
    Roberts Projects vendait une pièce
    de Betye Saar, artiste exposée
    récemment au MoMA, pour
    1,2 million de dollars.


MARCHÉ DE L’ART


Les galeries new-yorkaises en guerre


contre les maisons de vente


Dans le segment le plus cher et
convoité du marché de l’art, le climat
se tend à New York entre les princi-
pales maisons de vente et les galeries
stars de Manhattan.
Depuis quelque temps, les pre-
mières piétinent allègrement les pla-
tes-bandes des secondes en dévelop-
pant les ventes de gré à gré, qui sont
devenues plus lucratives que les
enchères, aux coûts marketing fara-
mineux. En conséquence, des mar-
chands se sont alliés pour attaquer à
leur tour les maisons de vente sur
leur terrain de prédilection : les col-
lections prestigieuses.


Alors que Christie’s
et Sotheby’s misent sur
les ventes de gré à gré, plus
lucratives que les enchères,
trois grandes galeries
de New York se sont alliées
pour leur rafler
une collection estimée
à 450 millions de dollars.


Le dernier Art Basel and UBS Glo-
bal Art Market Report de l’écono-
miste Clare McAndrew, qui vient
d’être rendu public, montre, une
nouvelle fois, à quel point le mar-
ché de l’art suit les soubresauts de
l’économie mondiale. Après deux
années s uccessives de c roissance,
les tensions commerciales entre
les Etats-Unis et la Chine, les trou-
bles politiques à Hong Kong et les
aléas du Brexit ont contribué à
une baisse de 5 % de ce marché
mondial, qui a cependant encore
atteint 64,1 milliards de dollars
en 2019.
Si les Etats-Unis, toujours
dominants, ont limité la casse,
avec un recul de 5 %, à 28,3 mil-
liards de dollars. L’Angleterre, qui
pèse 20 % du marché mondial,
à 12,7 milliards, a chuté de 9 %.
Dans la City, les e nchères
ont même reculé de 20 %,
à 4,3 milliards de dollars. Enfin, le
marché chinois a perdu 10 %,
à 11,7 milliards de dollars : les
enchères, en diminution de 9 %
en Chine continentale, se sont
effondrées de 25 % à Hong Kong.
La France, 4e acteur du marché
de l’art, tire son épingle du jeu : les
ventes y ont augmenté de 7 %,
pour atteindre 4,2 milliards de
dollars, sa part de marché mon-
dial passant de 6 % à 7 %. Les

Le rapport sur le marché
de l’art mondial réalisé
par l’économiste Clare
McAndrew illustre à quel
point l’investissement
dans l’art est corrélé
au climat géopolitique.
Les Etats-Unis,
l’Angleterre et la Chine
en ont fait les frais,
au bénéfice de la France.

enchères ont crû de 16 % à plus de
1,6 milliard de dollars. Avant la
date limite du Brexit, nombre de
marchands et maisons de vente
ont déplacé leurs stocks de Lon-
dres vers Paris à titre préventif,
selon C lare McAndrew. Les s péci-
ficités du marché français, moins
spéculatif, plus a tomisé et diversi-
fié, ont aussi joué en sa faveur.

Moins de chefs-d’œuvre
mis aux enchères
Autre symptôme de la dimension
investissement de l’art : les mil-
liardaires ont été plus prudents et
discrets en 2019. Moins de
chefs-d’œuvre sont passés sous le
marteau, avec une baisse de 35 %
du nombre de p ièces vendues aux
enchères de plus de 10 millions de
dollars. En période d’incertitude,
les collectionneurs privilégient la
sécurité des ventes privées.
Ce qui a bénéficié aux galeris-
tes et antiquaires, lesquels ont
enregistré une hausse de 2 % de
leurs ventes, à 36,8 milliards de
dollars. Leur part de marché glo-
bale a ainsi augmenté de 4 % pour
atteindre 58 %, contre 42 % pour
les maisons de vente. Cette posi-
tion devrait se renforcer en 2020
avec des alliances comme celle de
Pace, Gagosian et Acquavella
pour disperser la collection
Donald Marron. A l’inverse, les
ventes aux enchères, plus ris-
quées, ont plongé de 17 %, à
24,2 milliards de dollars. Seules
les cessions de gré à gré opérées
par ces mêmes maisons, en toute
discrétion, ont augmenté. De
24 % chez Christie’s , de 34 %
chez Phillips, elles se stabilisent à
haut niveau chez Sotheby’s, où
elles avaient déjà bondi de 70 %
entre 2016 et 2018. —M. R.

La France tire son


épingle du jeu en 2019


L’Armory Show affirme la vitalité


du marché de l’art américain


Des atouts qui n’ont pas échappé
aux galeristes français fidèles à la
manifestation. « Je viens depuis
vingt ans et j’y vois passer tous les
directeurs de musées des Etats-Unis »,
se félicite Nathalie Obadia. Elle a
choisi de montrer cette année une
seule artiste, qui a été exposée dans
six musées américains, Rina Baner-
jee. Judicieux : les musées de la
Brown University (Rhode Island) et
de Colombus (Ohio) ont été séduits.
A l’inverse, Daniel Templon a
opté pour la présentation d’une
dizaine d’artistes, dont les Fran-
çais Gérard Garouste et Philippe
Cognée. « Nous avons une longue
histoire avec les Etats-Unis et leurs
artistes », rappelle le galeriste, qui,
lui, a vendu notamment pour
220.000 dollars un tableau de

lUne foule nombreuse était au rendez-vous, ce week-end,


de la plus ancienne foire d’art contemporain de New York,


qui compte plusieurs galeristes français parmi ses fidèles.


lLe marché de l’art mondial a atteint 64,1 milliards


de dollars en 2019.


L’artiste française ORLAN passe devant une toile signée Summer Wheat, présentée à l’Armory Show
par la galerie Shulamit Nazarian. Photo Teddy Wolff/Armory Show

« La majorité
des 55.000
à 65.000 visiteurs
vient des Etats-
Unis. Mais la
diversité des prix
des œuvres, de
quelques centaines
de dollars à plus
d’un million, attire
des profils variés. »
NICOLE BERRY
Directrice de l’Armory Show
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