Les Echos - 09.03.2020

(Steven Felgate) #1

30 // FINANCE & MARCHES Lundi 9 mars 2020 Les Echos


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réponse aux sanctions imposées
par Donald Trump contre Rosneft
et le gazoduc russe Nord Stream 2.
Les cours devraient rester dura-
blement déprimés. Car, dans le
même temps, la demande s’écroule
en raison des conséquences de l’épi-
démie de coronavirus. Selon Wood
Mackenzie, la consommation de
pétrole de la planète serait en chute
de 2,7 millions de barils par jour au
premier trimestre (dont 2,3 mil-
lions en Chine), soit le recul le plus
sévère depuis la crise financière fi n


  1. Les stocks s’accumulent en
    Chine : ils ont atteint le niveau sans
    précédent de 782 millions de barils,
    relèvent les analystes de Kepler.
    Et la situation pourrait encore
    s’aggraver. Certains experts (dont


ceux de Goldman Sachs) prévoient
désormais un recul de la consom-
mation mondiale sur l’ensemble de
l’année 2020. « Personne ne connaît
l’intensité de l’impact du virus sur la
demande, ni combien de temps
durera l’épidémie, même si l’activité
chinoise montre enfin des signes de
reprise progressive », soulignent les
analystes d’Energy Aspects.
Face à cet effondrement, l’offre
mondiale, elle, continue sa pro-
gression dans les pays qui ne sont
pas liés aux quotas de l’Opep : aux
Etats-Unis (devenus le premier pro-
ducteur mondial), mais aussi en
Norvège, ou au Brésil... Le rééquili-
brage de l’offre et de la demande
n’est donc pas en vue avant un bon
moment.n

Vincent Collen
@VincentCollen


L’axe Moscou-Riyad sera-t-il l’une
des victimes c ollatérales du corona-
virus? Pour la première fois depuis
la naissance de leur alliance en
2016, l’Opep et la Russie ne sont pas
parvenues à s’entendre pour s tabili-
ser les cours du pétrole, en chute
libre depuis le début de l’épidémie.
Les treize Etats exportateurs du
cartel et leurs dix alliés menés par
Moscou sont sortis de leur réunion
à Vienne sur un échec vendredi. « A
partir du 1er avril, compte tenu de la
décision prise aujourd’hui, personne
n’a d’obligation de baisser la produc-
tion », a déclaré le ministre russe de
l’Energie, Alexandre Novak.
Ni l’Opep ni ses alliés ne seront
contraints par un quelconque
quota à compter de cette date, à
moins d’un improbable retourne-
ment d’ici là. « Le marché fait main-
tenant face au spectre d’une produc-
tion incontrôlée », commente Ann-
Louise Hittle, analyste chez Wood
Mackenzie. Le pacte qui avait per-
mis de faire remonter les cours
après l’effondrement de 2014-2015
menace de voler en éclats.
« L’alliance n’est pas officiellement
morte, mais elle est en soins inten-
sifs », juge David Fyfe, économiste
en chef du cabinet Argus. L’échec
des négociations est « une vraie sur-
prise », selon lui.


L’Arabie casse les prix
Les vingt-trois pays réunis à Vienne
représentent ensemble plus de la
moitié de la production mondiale
de brut. La perspective de la fin des
quotas accélère la chute des cours
enclenchée fin janvier par la crise
sanitaire. Le Brent de la mer du
Nord s’est effondré de plus de 9 %
vendredi, terminant la séance sous
la barre des 46 dollars et touchant
son niveau le plus bas depuis la fin
de 2016. Les Bourses des pays du
Golfe ont ouvert en très forte baisse
dimanche (de plus de 7 % pour


Riyad) et l’action du pétrolier saou-
dien Aramco est tombée pour la
première fois sous son cours
d’introduction.
Dès ce week-end, l’A rabie saou-
dite a commencé à casser ses prix,
laissant augurer d’une bataille san-
glante pour les parts de marché en
réponse au « niet » de Moscou. Il
s’agit là d’un virage stratégique
majeur. Depuis 2016, l’Opep et la
Russie avaient renoncé à une guerre
des prix qui n’était pas parvenue à
affaiblir les producteurs de pétrole
de schiste américain. Au-delà du
marché du pétrole, l’échec de ven-
dredi fragilise l’alliance politique
entre Moscou et Riyad. Ce rappro-
chement scellé il y a plus de trois ans
a aidé Vladimir Poutine à étendre

son influence diplomatique et mili-
taire au Moyen-Orient. En échange,
l’Arabie saoudite pouvait compter
sur le soutien de la Russie, deuxième
producteur mondial de pétrole, face
au boom du pétrole de schiste amé-
ricain, lequel pèse durablement sur
les cours et affaiblit l’Opep.
Le changement de pied du
Kremlin vient rappeler que les inté-
rêts de Moscou et de l’Opep ne sont
pas toujours alignés. La Russie est
moins dépendante du pétrole que
les pays du Golfe : elle équilibre ses
finances publiques dès que le Brent
dépasse les 42 dollars, alors que
l’Arabie saoudite est en déficit
quand le baril passe sous la barre
des 83 dollars. En conséquence,
Moscou rechigne à réduire la pro-

lLa Russie a rejeté la réduction de production de pétrole proposée par l’Opep pour contrer l’impact du coronavirus


sur la demande mondiale. Le Brent a chuté de plus de 9 % vendredi, retombant à son niveau de la fin 2016.


lL’axe Moscou-Riyad, en place depuis près de quatre ans, menace de voler en éclats.


lUne guerre des prix s’annonce, menaçant aussi les producteurs de pétrole de schiste aux Etats-Unis.


L’alliance Riyad-Moscou menacée,


le pétrole s’effondre


MATIÈRES
PREMIÈRES


précédente – à Wall Street, le Dow
Jones, le S&P 500 et le Nasdaq sont
même dans le vert –, chaque séance
a été marquée par des mouvements
extrêmement violents. Entre crain-
tes de récession et espoir d’un
rebond de la croissance en V, le sen-
timent des investisseurs fluctue.
Toute la semaine, les marchés ont
été ballottés au gré des nouvelles du
Covid-19. Lundi a été marqué par un
rebond spectaculaire (+5 % à Wall
Street), dans l’espoir d’une action
des banques centrales, mais la
baisse des taux surprise de la Fed
mardi, loin de rassurer les investis-

seurs, a finalement eu l’effet
d’une douche froide (–3 %).
Les opérateurs boursiers ont
repris espoir mercredi (+4,5 %),
après la décision du Congrès améri-
cain de débloquer plus de 8 mil-
liards de dollars pour combattre
l’épidémie. Mais l’état d’urgence en
Californie, l’augmentation du nom-
bre de cas aux Etats-Unis et en
Europe, et l’absence d’une véritable
réponse coordonnée des grands
pays ont alimenté la fébrilité des
marchés à partir de jeudi (–3,5 %).

Sentiment de panique
Vendredi, les marchés financiers
ont véritablement cédé à l’affole-
ment. L es Bourses européennes o nt
terminé la séance sur des pertes
sévères, autour de 3,5 % pour Milan
et Madrid, Francfort terminant sur
une chute de 3,26 %, Londres de
3,62 %, tandis que Paris s’est enfon-
cée de 4,14 %, un plongeon inédit
depuis le référendum sur le Brexit
en juin 2016. Se reprenant in extre-
mis moins d’une heure avant la clô-
ture de la séance, Wall Street a fina-
lement clôturé à – 0,98 % s ur le Dow

Jones, – 1,71 % sur le S&P 500 et


  • 1,87 % sur le Nasdaq.
    Alors que l’épidémie vient de
    dépasser le stade des 100.000 cas, le
    sentiment de panique a provoqué
    un effondrement des taux de réfé-
    rence des Etats jugés les plus sûrs,
    comme les Etats-Unis et l’Allema-
    gne. Le rendement des Treasuries à
    10 ans (qui évolue en sens inverse du
    prix) a battu des records de fai-
    blesse, s’enfonçant jusqu’à 0,657 %
    avant de terminer la journée à
    0,762 %. Celui du Bund à 10 ans est
    tombé à – 0,71 %, à un cheveu du
    plancher de – 0,714 % d’août dernier.
    En essaimant en Europe et aux
    Etats-Unis, il y a un peu plus de deux
    semaines, le Covid-19 a provoqué
    un véritable choc psychologique.
    « Ce qui s’est passé vendredi en
    Bourse commence à ressembler à
    une capitulation », commente Sté-
    phane Lévy, stratégiste chez Cha-
    hine Capital. Les indicateurs de
    stress passent dans le rouge les uns
    après les autres. Alors que les inves-
    tisseurs désertent le marché du cré-
    dit, le coût de l’assurance contre le
    risque de défaut des entreprises les


plus fragiles (notées en catégorie
spéculative) f lambe. L’indice iTraxx
a atteint vendredi après-midi son
plus haut niveau depuis l’été 2016.
Enfin, signe que les opérateurs
redoutent des tensions sur la liqui-
dité, alors même que la BCE et la
Fed en abreuvent les institutions
financières, les taux sont brutale-
ment remontés sur les marchés
interbancaires en euro et en dollar.
Aux Etats-Unis, le spread Libor-

OIS, un indicateur de la bonne s anté
du secteur financier, est grimpé à
son plus haut niveau depuis deux
ans. Cet écart de taux mesure la
prime de risque exigée par u ne ban-
que pour prêter des liquidités à une
autre banque, c e qui permet notam-
ment d’évaluer la probabilité de
défaut de la contrepartie bancaire.

(


Lire « Crible »
Page 38

La folle semaine des marchés financiers secoués par le coronavirus


Sophie Rolland
@Sorolland


La propagation du coronavirus met
les marchés financiers à rude
épreuve. La nervosité des opéra-
teurs est encore montée d’un cran
cette semaine. La volatilité du mar-
ché américain a retrouvé des
niveaux qu’elle n’avait plus connus
depuis la crise des dettes souverai-
nes de 2011. L’indice VIX, parfois
surnommé l’« indice de la peur »,
est remonté en séance jusqu’à
54 points et a clôturé au-dessus de
30, sept séances d’affilée.
Si, au final, les pertes hebdoma-
daires des Bourses mondiales sont
bien plus modérées que la semaine


Les places financières
mondiales ont alterné
rebonds spectaculaires
et corrections violentes
la semaine dernière.
La panique commence
à gagner les investisseurs,
et les indicateurs de stress
passent dans le rouge les
uns après les autres.


« Ce qui s’est passé
vendredi en
Bourse commence
à ressembler à une
capitulation. »
STÉPHANE LÉVY
Stratégiste
chez Chahine Capital

duction. Les grands groupes pétro-
liers du pays comme Rosneft ont
toujours demandé un relâchement
de quotas qui représentent pour

eux un manque à gagner. Pour Pou-
tine, l’effondrement des cours est
non seulement un moyen d’atta-
quer les producteurs américains
(qui risquent de souffrir avec des
prix aussi bas), mais aussi une

La consommation
de pétrole de
la planète chuterait
de 2,7 millions
de barils par jour
au premier trimestre.
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