Le Monde - 15.03.2020 - 16.03.2020

(Grace) #1

10 |coronavirus DIMANCHE 15 ­ LUNDI 16 MARS 2020


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Le CHU de Créteil attend une « vague importante »


L’hôpital Henri­Mondor, qui comprend un centre de dépistage ambulatoire, est rodé à la gestion de crise


REPORTAGE


L


e docteur Eric Lecarpen­
tier, chef du service du
SAMU à l’hôpital Henri­
Mondor de Créteil (Val­
de­Marne), jette un regard coupa­
ble sur son bureau en désordre. Il
se justifie en plaisantant : « En
temps de crise, il est essentiel de
prioriser. » Puis poursuit, plus sé­
rieux : « Mais il faut surtout
s’adapter. »
Depuis la mi­janvier, ses équi­
pes sont sur le pont pour faire
face à l’épidémie due au corona­
virus SARS­CoV­2, survenue à la
fin de l’année 2019 dans la ville
de Wuhan, en Chine. « Cela fait
quinze jours, trois semaines, que
l’on organise une montée en puis­
sance du dispositif », explique­t­il,
jeudi 12 mars. Si ses effectifs sont
rodés à la gestion de crise – ils
étaient préparés pour la grippe
H1N1 en 2009­2010 ou pour
Ebola en 2014­2015 –, le Covid­
les livre cependant à une situa­
tion sanitaire inédite sur le terri­
toire national « par sa durée et
son ampleur ».
Dans le centre d’appels du 15,
installé dans l’un des étages du
centre hospitalier universitaire
(CHU), un bourdonnement inces­
sant témoigne de l’afflux de
coups de fil. La procédure mise en
place dès l’apparition des premiè­
res contaminations dans l’Hexa­
gone a connu des évolutions.
« Dans un contexte comme ce­
lui­ci, il ne faut pas être dans la
simple réponse, mais dans l’antici­
pation », fait valoir le docteur Le­
carpentier. Le questionnaire de
santé, qui détermine les cas po­
tentiels et les personnes devant
se faire dépister, a été adapté face
à la multiplication des infections,
notamment autochtones. Le Co­
vid­19 se traduisant par un syn­
drome grippal de forme bénigne
dans 80 % des cas, l’accent est mis
sur les populations à risques (per­
sonnes âgées ou atteintes d’au­
tres pathologies, ce que l’on ap­
pelle la comorbidité) et les per­
sonnels soignants. Ce sont donc
eux qui sont invités à se rendre
dans le centre de dépistage ambu­
latoire installé depuis le 4 mars
sur le parvis de l’hôpital.
Devant la tente de toile blanche
abritée dans un hangar, le mas­
que de protection est de mise. Un
homme y assure calmement la
sécurité et le bon déroulé du pro­
cessus. « Jusqu’à présent, c’était as­

sez calme, mais la tension monte
depuis quelques jours », confie le
docteur Raphaël Lepeule, alors
qu’une dame hausse le ton à quel­
ques mètres de la porte. « On sort
de la phase préparatoire, qui a déjà
été éprouvante, et on bascule sur
l’opérationnel. Le dispositif est af­
finé au jour le jour », explique l’in­
fectiologue. Les échantillons na­
so­pharynx prélevés dans chaque
narine des patients à l’aide d’un
écouvillon (un grand Coton­Tige)
sont ensuite acheminés dans le
sous­sol de l’hôpital, au sein de la­
boratoires ultrasécurisés où sont
réalisés, en quelques heures, les
tests. Sur les près de 450 tests ef­
fectués depuis la mise en place du
centre, 79 étaient positifs.

Protection des personnels
Depuis la fin de la semaine der­
nière, les patients nécessitant une
prise en charge médicale sont
hospitalisés sur place. Parmi eux,
les cas les moins critiques sont
placés dans le service d’immuno­
logie clinique et de maladies in­
fectieuses et tropicales dirigé par
le professeur Jean­Daniel Lelièvre.
Ce jeudi, les quatorze chambres
individuelles, équipées de sas,
sont pleines : elles accueillent
douze cas confirmés de Covid­
et deux cas suspects. « Il s’agit de
personnes plutôt âgées », détaille
le docteur William Vindrios. L’ac­
cent est mis sur la protection des
personnels : les passages sont li­
mités et les précautions sanitai­
res de rigueur. « Les dispositifs mis
en place sont chronophages, mais
ne causent pas de crainte parti­
culière au sein des équipes, expli­
que le praticien hospitalier. L’hô­
pital est habitué à la gestion des
maladies infectieuses. »
Les malades dont l’état est jugé
critique sont, eux, pris en charge
trois étages plus bas, dans une
unité spécifique et dirigée par le
professeur Armand Mekontso­
Dessap, chef du service de méde­
cine intensive et réanimation. Le
12 mars, cette unité accueillait
sept patients sur la dizaine de
chambres disponibles. « On est en
train d’augmenter nos capacités,
mais il faut des conditions très spé­
cifiques d’isolement », souligne­
t­il. L’ambition est, à terme, de
pouvoir disposer d’une vingtaine,
voire d’une trentaine de lits. La ca­
pacité à prendre en charge les cas
les plus graves du Covid­19 est l’un
des points­clés du dispositif sou­
haité par les autorités : mercredi

soir, le ministère de la santé affir­
mait que la France disposait
de 5 000 lits équipés en réanima­
tion. « On a cette capacité impor­
tante, et on peut en avoir
d’autres », faisait valoir le direc­
teur général de la santé, le profes­
seur Jérôme Salomon.
« Le caractère émergent de la
pathologie fait que l’on n’a pas
beaucoup de recul, rappelle le
professeur Mekontso­Dessap.
Mais, selon les modélisations, les
personnes en condition critique

nécessitent une assistance respi­
ratoire sur deux semaines. » Etape
ultime du parcours de soins, les
services de réanimation font face
à des enjeux organisationnels
importants : « La dimension épi­
démique fait que l’on va être natu­
rellement confronté à un afflux de
patients. Et on est conscient, au
regard de la situation en Italie,
que la hauteur de la vague sera
importante. »

Rôle-clé de la recherche
« On est préparé en amont, mais il
reste une inconnue angoissante,
c’est la capacité du système de
santé à faire face à l’épuisement
des personnels », résume le pro­
fesseur Lelièvre. « La vraie inquié­
tude aujourd’hui, c’est de savoir si
l’on va connaître un scénario à
l’italienne ou à la sud­coréenne »,
affirme le professeur Jean­Mi­
chel Pawlotsky, chef du service
bactériologie et virologie. L’Ita­
lie, de loin le pays d’Europe le
plus touché par la pandémie de
Covid­19, a dépassé 1 000 morts
pour plus de 15 000 cas enregis­

trés. La Corée du Sud, elle, fait fi­
gure de modèle : après avoir en­
registré une flambée de contami­
nations, le pays est parvenu à
réduire de façon significative le
nombre de nouveaux cas tout en
gardant, selon les chiffres offi­
ciels, un taux de létalité relative­
ment bas.
« La pandémie est un phéno­
mène naturel face auquel nous
sommes aujourd’hui mieux ar­
més », fait valoir le professeur
Pawlotsky, qui était interne lors
de la pandémie de sida dans les
années 1980. Pourtant, face à un
virus proche du SRAS (syndrome
respiratoire aigu sévère), qui a
sévi en 2002­2003, il affirme que
nous aurions pu être mieux pré­
parés. « On a manqué de vigilance
en Europe. Paradoxalement, des
virus plus graves que le SARS­
CoV­2 ont des conséquences beau­
coup moins dramatiques car on y
apporte des solutions plus drasti­
ques », souligne­t­il. Car au­delà
de la prise en charge des malades
se joue en coulisse une autre par­
tition : celle de la recherche.

A l’hôpital Henri­Mondor, des
équipes spécifiques s’affairent à
analyser le virus, mais aussi à sui­
vre l’évolution des systèmes im­
munitaires des personnes conta­
minées pour, à terme, détermi­
ner un traitement adapté. « On a
du mal à financer ce travail en
temps calme », déplore le profes­
seur Pawlotsky. Et de résumer :
« Ces crises sanitaires n’ont d’inté­
rêt que si elles nous permettent
d’apprendre. » « On a besoin de fi­
nancements pérennes », abonde
le professeur Lelièvre.
Dans un hôpital public éprouvé,
marqué par la récente mobilisa­
tion de ses personnels pour dé­
noncer leurs conditions de tra­
vail, on espère aussi que l’épidé­
mie de Covid­19 permettra de
prendre la mesure de l’engage­
ment des effectifs. « Et peut­être
de recalibrer nos besoins », sou­
haite le docteur Lepeule. « La soli­
darité et le dévouement sont de
mise aujourd’hui, mais le retour
de bâton risque d’être rude »,
concède le professeur Lelièvre.
aude lasjaunias

Le gouvernement soutient les associations d’aide aux sans­abri


En plus de la prolongation de la trêve hivernale, le ministre du logement, Julien Denormandie, a annoncé, vendredi, d’autres mesures


C’


est un immense soula­
gement pour les asso­
ciations en charge des
dispositifs d’accueil des sans­
abri. Sur les 150 000 places ac­
tuelles, les quelque 14 000 places
temporairement ouvertes en no­
vembre pour accueillir les sans­
abri en période de grand froid se­
ront conservées jusqu’au 31 mai.
« Le gouvernement ne pouvait pas
faire autrement, compte tenu
des risques sanitaires d’une re­
mise à la rue de plusieurs milliers
de personnes », estime Florent
Gueguen, directeur général de la
Fédération des acteurs de la soli­
darité (FAS), regroupant 800 as­
sociations. « Désormais, la prio­
rité, c’est l’accès aux soins des per­
sonnes malades dans les structu­
res », souligne­t­il.
Au début du mois, les associa­
tions avaient alerté les autorités
publiques sur les risques du
Covid­19 pour les sans­abri. Man­
que d’accès aux mesures d’hy­
giène, problèmes de santé liés à
l’errance... Autant d’éléments qui

renforcent la vulnérabilité de
cette partie de la population.
« Cette situation renvoie en miroir
les carences du système d’héber­
gement, regrette Florent Gue­
guen. Il existe un risque que le co­
ronavirus soit un déclencheur de
mortalité. »
Reste à résoudre les questions
de confinement et de prise en
charge des résidents contaminés.
Vendredi, lors de la visite de Ju­
lien Denormandie, ministre en
charge de la ville et du logement,
dans les locaux de la Croix­
Rouge, Sami Chayata, le délégué
national adjoint contre les exclu­
sions de l’association, a demandé
que « le public en errance soit re­
connu comme un public vulnéra­
ble au même niveau que les per­
sonnes âgées ». Lors de ce dépla­
cement, M. Denormandie a évo­
qué la mise en place de « centres
de desserrement » qui accueille­
raient les sans­abri atteints du
Covid­19 dont l’état ne nécessite
pas d’hospitalisation. Pour l’heu­
re, un centre par département est

prévu. Une mise en œuvre qui
passe par l’identification de lo­
caux sur le territoire. Une pre­
mière étape confiée aux préfets,
selon le ministre du logement. Il
doit désormais discuter de la
mise en place de ces centres, ainsi
que des futures mesures, avec les
associations, lors d’une réunion
prévue dans l’après­midi. « Nous
allons nous assurer de l’effectivité
de la création de ces centres », a­
t­il affirmé.

Santé des salariés et bénévoles
Vendredi, le SAMU social de Paris
faisait état de dix­neuf cas dans
une structure « lits halte soins
santé » (LHSS) située à Paris, ac­
cueillant une soixantaine de
sans­abri, déjà fragilisés par
d’autres problèmes de santé. « Ce
n’est pas un hôpital. Même si on a
des moyens médicaux sur place, ils
ne sont pas suffisants, déplore
Christine Laconde, sa directrice
générale. Les équipes sont très
courageuses. On s’organise com­
me on peut. » Une infirmière hy­

giéniste, mise à disposition par
l’Agence régionale de santé d’Ile­
de­France, ainsi que des salariés
travaillant dans d’autres structu­
res, sont venus en renfort. Selon
la préfecture, un autre cas aurait
été recensé dans un centre
d’Ile­de­France.
Si le centre LHSS n’accueille plus
de nouveaux sans­abri, la direc­
tion a fermé certaines parties
communes pour éviter la propa­
gation du virus. « Mais la salle de
restauration collective est encore
ouverte », selon Christine La­
conde. Pour l’instant, six person­
nes sont hospitalisées, mais le
confinement des treize autres est
délicat dans une structure ne dis­
posant que de trois chambres in­
dividuelles. Lucide sur la situa­
tion, Christine Laconde s’attend à
ce que d’autres cas se déclarent. Si
les sans­abri touchés par le virus
ont été mis à l’écart des autres ré­
sidents, « ils ont été en contact à
un moment. Dans les structures
d’accueil, il suffit d’un cas et les
contaminations suivent. C’est très

rapide ». Pour le moment, un seul
de leurs salariés a été testé positif
au Covid­19.
Car dans les structures, c’est
aussi la sécurité des salariés et bé­
névoles qui est en jeu. Pour Jean­
Jacques Eledjam, président de la
Croix­Rouge, « nous devons proté­
ger le plus possible nos salariés et
nos bénévoles ». Une priorité com­
mune à toutes les associations.
Mais le manque de matériels de
protection, comme les masques

« Dans les
structures
d’accueil, il suffit
d’un cas et les
contaminations
suivent.
C’est très rapide »
CHRISTINE LACONDE
directrice générale du SAMU
social de Paris

Le centre d’appels à l’hôpital Henri­Mondor de Créteil (Val­de­Marne), le 6 mars. ADRIENNE SURPRENANT POUR « LE MONDE »

« Il reste
une inconnue,
c’est la capacité
du système de
santé à faire face
à l’épuisement
des personnels »
JEAN-DANIEL LELIÈVRE
chef de service
à Henri-Mondor

chirurgicaux, rend la tâche déli­
cate. « C’est un des enjeux que nous
devons régler en ce moment, af­
firme Julien Denormandie. Le su­
jet, aujourd’hui, c’est de s’assurer
que les opérateurs qui vont gérer
les sites de desserrement soient
bien protégés. »
Du côté d’Emmaüs Solidarité, le
directeur général, Bruno Morel, se
mobilise depuis un mois sur le su­
jet : « Il ne faut pas dramatiser, mais
il faut être sérieux. Nous avons dési­
gné un référent “épidémie virale” et
mis en place un intranet dédié aux
questions sur le Covid­19. » Dans
tous leurs centres d’hébergement,
la communication sur les gestes
barrières a été faite dès le début de
l’épidémie et affichée en plusieurs
langues. L’objectif? Anticiper au
mieux les futures difficultés en­
traînées par l’épidémie de corona­
virus. « Nous souhaitons continuer
nos actions et réduire nos services
au minimum, tout en assurant la
sécurité des équipes », espère
Bruno Morel.
sixtine lerouge
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