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DIMANCHE 15 LUNDI 16 MARS 2020 économie & entreprise| 17
Argentine : l’ire des grands producteurs de soja
Face à la crise économique qui frappe le pays, le gouvernement a relevé les taxes sur les exportations d’« or vert »
buenos aires correspondante
C’
est le premier conflit
d’ampleur avec le
secteur agricole, le
plus dynamique de
l’économie argentine, auquel doit
faire face Alberto Fernandez. Le
président de centre gauche, au
pouvoir depuis décembre 2019, a
dû affronter, du lundi 9 au jeudi
12 mars, une grève lancée par les
grandes fédérations patronales
d’agriculteurs.
La mise à l’arrêt de la commer
cialisation de graines, de céréales
et de bétail a été « très suivie », se
lon les quatre organisations qui
soutenaient le mouvement. Ce
luici fait suite à la décision du
gouvernement de mettre en place
un nouveau système de retencio
nes, les taxes sur les exportations,
qui prévoit notamment de faire
passer de 30 % à 33 % le taux d’im
position des ventes à l’étranger
des producteurs de plus de 1 000
tonnes de soja par an. Dans le
même temps, les taxes sur les ex
portations de ceux produisant
moins de 1 000 tonnes (soit près
de 75 % des producteurs) seront
réduites ou plafonnées à 30 %.
Surnommé « l’or vert », le soja
- le plus souvent transgénique,
conçu par Monsanto – et ses déri
vés, produit phare de l’agriculture
argentine, représente plus du
quart des exportations du pays.
L’Argentine est le premier expor
tateur mondial de farine et
d’huile de soja. Le nouveau gou
vernement avait déjà relevé, en
décembre 2019, les taxes sur les
exportations de soja, les passant
de 24,7 % à 30 %, quelle que soit la
taille de l’exploitation.
Alors que l’Argentine a terminé
2019 par une récession – avec une
contraction de 2,1 % du produit in
térieur brut – et que le gouverne
ment se trouve en pleines négo
ciations pour restructurer la dette
avec le Fonds monétaire interna
tional et les créanciers privés de
Buenos Aires, cette nouvelle me
sure vise à mieux redistribuer les
richesses au sein du secteur agri
cole, mais aussi à générer des re
cettes fiscales.
« Intolérance »
« Cette décision va avoir des
conséquences négatives (...), dé
nonce Jorge Chemes, président
des Confédérations rurales argen
tines, l’une des organisations qui
appelaient à la grève. Cela fait des
années que le secteur agricole est
surtaxé. La rentabilité a beaucoup
baissé, et cette situation devient
insoutenable pour de nombreux
petits et moyens producteurs, qui
doivent vendre leurs terrains et
abandonner leur activité. »
Le président argentin, pour sa
part, a déploré « l’intolérance de
ceux qui ne comprennent pas et
lancent parfois des grèves étran
ges ». Son prédécesseur, le libéral
Mauricio Macri (20152019), était
farouchement hostile aux impôts
sur les exportations, qu’il avait
supprimés (ou réduits, dans le cas
du soja) dès son arrivée au pou
voir, avant de les réinstaurer en
septembre 2018, peu après le dé
clenchement d’une grave crise
économique.
« Je voudrais que nous compre
nions que, pour sortir de cette si
tuation, il est urgent que nous fas
sions tous des concessions, et les
premiers qui doivent en faire sont
ceux qui se trouvent dans la
meilleure situation », a déclaré Al
berto Fernández, mercredi
11 mars, sur la chaîne de télévi
sion C5N. Resté très ferme sur
son nouveau système d’imposi
tion, le chef de l’Etat a indiqué :
« Si ces secteurs ne font pas de con
cessions, eh bien, j’exercerai mon
pouvoir. »
Le même jour, une manifesta
tion de petits producteurs de
fruits et légumes opposés au
mouvement de grève des organi
sations agricoles se déroulait sur
la place de Mai, à Buenos Aires, de
vant le palais présidentiel. « Les
taxes sur les exportations sont un
pas de plus vers la redistribution et
nous les soutenons », a déclaré au
quotidien Pagina 12 un représen
tant de l’Union des travailleurs de
la terre.
Le conflit actuel n’est pas sans
rappeler celui qui avait opposé le
secteur agricole au gouverne
ment argentin, en 2008. A l’épo
que, Cristina Kirchner (présidente
de 2007 à 2015 et aujourd’hui vice
présidente d’Alberto Fernández)
avait décidé, déjà, d’augmenter
fortement les taxes sur les expor
tations agricoles. La résistance
des producteurs avait débouché
sur un long mouvement de grève,
émaillé notamment de blocages
routiers paralysant l’activité éco
nomique. Dans la foulée, le gou
vernement avait fait marche ar
rière sur ces taxes, et Alberto Fer
nandez, alors chef de cabinet de
Cette mesure
vise à mieux
redistribuer
les richesses
au sein du
secteur agricole
Cristina Kirchner, avait démis
sionné, en juillet 2008.
« J’ai tiré les leçons [de cette si
tuation]. Cela ne se reproduira
pas », a lancé M. Fernandez lors de
son entretien télévisé, mercredi
11 mars. Jorge Chemes, de son
côté, précise que les organisations
agricoles restent « ouvertes au
dialogue » et exclut pour l’heure
tout blocage de routes, mais anti
cipe de nouvelles actions dans les
semaines à venir si le gouverne
ment ne recule pas.
aude villiersmoriamé
Grain de folie, razzia sur le riz.
Depuis fin février, les Français
entassent dans leur cabas con
serves, pâtes, produits surgelés
et riz. Des achats de précaution
suscités par la crainte de la pro
pagation du coronavirus. Des
emplettes enfiévrées partagées
par de nombreux pays gagnés
par la crise sanitaire.
Pour autant, malgré le Covid19,
le riz n’est pas en pénurie. Selon
l’Organisation des Nations
unies pour l’alimentation et
l’agriculture, la FAO, le stock
mondial de sacs de riz est bien
rondelet à 182 millions de ton
nes. Même si la consommation
de la planète, estimée en hausse
de 1 %, à 514 millions de tonnes,
devrait être supérieure à la pro
duction 2019, frôlant pourtant,
avec ses 512 millions de tonnes,
un record historique.
Une jeune pousse fragile
Incollable sur le riz, et pour
cause, Bertrand Mazel, président
du syndicat des riziculteurs de
France, nous guide dans l’atlas
mondial des croqueurs de cette
graminée. « Chaque Français en
consomme en moyenne 5 kg par
an, soit dix fois moins qu’un Indo
nésien », assuretil. Et, en Europe,
ce ne sont pas les rois du risotto
ou de la paella qui arrivent en
tête, mais les Portugais... avec
15 kg, en moyenne, par an et par
habitant. Toutefois, en termes
d’étendues de rizières, l’Italie,
suivie à bonne distance par
l’Espagne, truste le haut du ta
bleau. Sachant que l’Europe
produit 3 millions de tonnes
de riz et en consomme 4.
Une céréale made in Europe,
mais aussi made in France, fra
gile comme une jeune pousse
verte dans la rizière exposée aux
vents tourbillonnants des ac
cords commerciaux internatio
naux. Les agriculteurs ont les
yeux rivés sur la Bourse de
Vercelli (Piémont), en Italie, qui
fait la pluie et le beau temps sur
le prix de la graminée euro
péenne. « Notre seuil de rentabi
lité est à 300 euros la tonne », af
firme Bertrand Mazel. En des
sous de cette ligne de flottaison,
la filière perd pied et les rizières
européennes risquent de s’assé
cher définitivement.
Déjà, la fermeture partielle du
robinet des aides européennes,
en 2015, a provoqué une vague
d’abandons en France. Les surfa
ces sont passées de 20 000 à
15 000 hectares. Puis l’ouverture
des frontières du Vieux Conti
nent à une vague de 350 000
tonnes de riz du Cambodge à
prix cassé a fait plonger la place
de Vercelli. « Nous avons obtenu
une clause de sauvegarde à
Bruxelles qui a fait remonter les
cours », raconte Bertrand Mazel.
Sauf que, par un tour de passe
passe dont les importateurs ont
le secret, la barrière a été fran
chie allègrement, la variété japo
nica ayant remplacé l’indica sur
laquelle pesait la limitation.
Mais au fait, les Français sa
ventils d’où vient le riz qu’ils
achètent? Non, car il n’y a
aucune obligation d’étiquetage
de l’origine en Europe. En
France, le riz de Camargue béné
ficie d’une indication géographi
que protégée (IGP). Encore
fautil qu’industriels (Soufflet,
Arterris, Panzani, Mars...) et
grande distribution jouent le jeu
de la valorisation de cette ori
gine. Sinon, le riz de Camargue
risque d’être rayé de la carte.
Ou devenir une rareté. Une
rizière de diamant...
MATIÈRES PREMIÈRES
PAR LAURENCE GIRARD
Pas de pénurie
pour le riz
LES CHIFFRES
33 %
C’est le taux d’imposition qui
va être instauré sur les ventes
à l’étranger des producteurs de
plus de 1 000 tonnes de soja par
an (contre 30 % actuellement).
26 %
C’est la part des exportations de
soja et de ses produits dérivés sur
l’ensemble des exportations ar-
gentines en 2019, selon l’institut
national des statistiques, l’Indec.
2,1 %
C’est la contraction du produit
intérieur brut enregistrée
en 2019 par l’Argentine.