Le Monde - 15.03.2020 - 16.03.2020

(Grace) #1
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Géopolitique


du bourgogne


Panique chez les vignerons. En janvier,


l’INAO envisageait de supprimer


64 communes de l’AOC bourgogne.


Dont Chablis. Un projet vite


abandonné face au tollé. Reste une


question non tranchée : la définition de


l’aire viticole du beaujolais. Explications


Ophélie Neiman

L’

histoire était cousue de fil blanc. Trop grosse
pour être vraie. Ainsi, l’Institut national de l’ori­
gine et de la qualité (INAO) proposait de suppri­
mer 64 communes de l’appellation bourgogne.
Dans trois secteurs notamment, dont le plus
connu est Chablis. De nombreux médias se sont
enflammés et ont relayé ce scoop : chablis allait­il être rayé des
vins de Bourgogne?
L’affaire a fait long feu. Moins de deux mois après cette
proposition de redessiner la carte de l’appellation bourgogne,
à peine dix jours après que les journaux se furent emparés de
cette atteinte au bon sens, c’était fini. Le 6 février, Christian
Paly, le président de la branche vin de l’INAO, annonçait devant
450 vignerons et élus bourguignons, montés manifester de­
vant le siège, qu’aucune commune de Bourgogne ne perdrait
son appellation.
La proposition est suspendue, fin de l’histoire? Pas du
tout. Du groupe de manifestants, ce jour­là, émergeait une
pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Ni Bourjolais ni Beaur­
gogne ». Le véritable nœud du problème était résumé par ce
slogan. Redessiner la Bourgogne viticole implique aussi de dé­
terminer la place exacte du Beaujolais sur son territoire. Ou
plutôt la solubilité de celui­ci dans celle­là.
Pour le comprendre, je vais devoir être un chouia tech­
nique, mais je vous fais confiance pour ne pas en être effrayés.
Depuis sa création en 1937, l’AOC bourgogne a une aire géogra­
phique déterminée, mais la délimitation parcellaire est tou­
jours restée floue dans le Chablisien et le Beaujolais. Car, oui, les
deux peuvent, dans certaines conditions, déclarer leur vin sous
l’AOC bourgogne. Pour Chablis, la proposition faite à son en­
contre cet hiver ne comportait pas de grands risques : le vigno­
ble commercialise peu de vins « appellation bourgogne ». L’ap­
pellation chablis (du petit­chablis aux grands crus) est beau­
coup plus vendeuse sur les marchés. Il s’agit davantage d’une
question identitaire. Du côté des autres vignobles concernés,
en revanche, le Châtillonnais, à la frontière de l’Aube champen­
oise, et le Dijonnais sont plus discrets, et donc plus exposés face
à un projet d’exclusion.
Mais, de toute façon, Christian Paly reconnaît que lui­
même ne croyait pas une seconde que le projet de nouvelle dé­
limitation passerait. « La proposition a été rédigée par des ex­
perts indépendants, confia­t­il après coup. Ils ont fait une appli­
cation très puriste des critères d’appellation, qui conduisait à
exclure des territoires qui font évidemment partie de la Bour­
gogne viticole. Nous savions que le comité national ne voterait
jamais en l’état cette proposition. Mais nous ne pouvions pas
l’annoncer officiellement avant d’acter la décision. » L’INAO est
frileux, voilà plus de douze ans qu’il s’arrache les cheveux
pour redéfinir cette fameuse aire géographique.
Mais si la proposition d’exclure Chablis, le Châtillonais
et le Dijonnais est suspendue, la situation du Beaujolais, qui fait
le « dos rond », n’est pas encore tranchée. Les crus du Beaujolais,
de morgon à brouilly, ont toujours eu la possibilité de se replier
en appellation bourgogne. Depuis deux ans, ils doivent toute­
fois indiquer « bourgogne gamay » sur l’étiquette. Cela permet
de le distinguer des pinots noirs typiques de la région mère. En
revanche, on y plante aussi du chardonnay et du pinot noir. Et,
depuis le 20 novembre 2018, un arrêté autorise l’ensemble des
communes viticoles du Beaujolais à produire l’appellation cré­
mant de Bourgogne. Bref, par tradition et de plus en plus, le
Beaujolais a une jambe dans la Bourgogne viticole. Dans les
faits, les vignobles se touchent, les négociants piochent des
deux côtés, et les organismes de contrôle sont communs.
Mais la situation économique est, elle, bien différente.
La Bourgogne ne produit pas assez pour répondre à la de­
mande, tandis que le Beaujolais traverse une crise structurelle
depuis dix ans. Qui pourrait l’inciter à diluer son identité pour
se rapprocher de sa voisine. « Nous, les Bourguignons, pouvons
accepter cela pour les aider, reconnaît volontiers Guillaume Vil­
lette, directeur du syndicat des vins de Bourgogne (CAVB). Mais
acheter du bourgogne qui vient du Beaujolais, avec des cépages
et des terroirs différents, ça peut décevoir. Quelle est l’intégrité de
l’AOC dans ce cas? »
Entre l’inquiétude bourguignonne et la précarité beau­
jolaise, la ligne de crête est étroite. L’INAO doit pourtant clari­
fier la situation. Avec la certitude de crisper un des deux camps,
peut­être les deux. Et d’influer sur le destin de communes plus
sûrement que les élections municipales en cours.

D O M A I N E
M. B R I DAY, R U L LY,
2 0 1 8 , B L A N C
Au nord de la côte
chalonnaise, le
domaine produit ce vin
fringant, aux parfums
d’abricot et de poire,
à l’élevage très doux et
à la structure délicate.
25,80 €

D O M A I N E
A & B L A B RY,
H AU T E S - C Ô T E S -
D E - B E AU N E ,
2 0 1 8 , RO U G E
La légère altitude du
vignoble (350 mètres)
et son exposition sud
confèrent fraîcheur
et fruité à ce pinot noir,
suave, franc. On
se ressert avec joie.
22,20 €

L A S O U F R A N D I È R E


  • B R E T B RO T H E R S ,
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    Z E N , P O U I L LY-
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    puissant, renversant,
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    quand même?
    Tout le monde en veut.
    Env. 30 €


Sélection


VINS


CARMEN MITROTTA POUR « LE MONDE »

Emmanuelle Coulon, 28 ans, est établie en tant que consultante
en digital marketing à Hongkong, où elle réside depuis plus d’un
an. Cette croqueuse de chocolat avait d’abord posé ses valises à
Singapour début 2016. « Encore sonnée par l’humidité étouffante,
je dévisage cette ville où il me reste tout à construire, explique-t-
elle sur son blog. Un nouveau départ professionnel, un nouveau
cercle d’amis, un nouveau mode de vie. » Et surtout de nombreux
kopi luwak (café récolté dans les excréments d’une civette asiati-
que) partagés avec ses semblables, des expatriés qui ont choisi de
« tout plaquer pour recommencer au bout du monde ».
De ces échanges est né le bien-nommé podcast « En éclai-
reur » (En-eclaireur.com) qui, à raison de deux rendez-vous mensuels
et de cafés toujours plus nombreux, se fait le relais des récits de ces
« aventuriers modernes, des insiders », comme les présente Emma-
nuelle. Son objectif? Etre le porte-voix de ces expériences inspirantes
et permettre ainsi à d’autres de mettre à leur tour les voiles. Au
1 er janvier 2020, 2,5 millions de Français vivaient à l’étranger, selon les
dernières données fournies par le ministère des affaires étrangères.


« C’est la ville où tu peux être qui tu veux, c’est la ville des
possibles », explique Fanny au micro d’Emmanuelle. Arrivée à
Hongkong en 2011, cette développeuse Web a monté sa propre
boîte pour soutenir le mouvement « zéro déchet » dans une ville a
priori hermétique à la cause écologique. Culot et prise de risque
sont les clés de voûte de son parcours. « Les six premiers mois ont
été plutôt difficiles, reconnaît-elle tout en soulignant combien il
est aisé de dégoter un logement ou de monter son business. Mais
venez et mettez-vous la barre très haut! »
C’est ce qu’a fait Stéphanie, expatriée dans l’âme depuis
l’adolescence, qui a tout lâché pour vivre en Laponie suédoise en-
tourée de chiens de traîneau. « Quand on fait un bond si radical en-
tre la vie de bureau et un espace sauvage, ça fait un peu flipper au
départ, on se demande si on a fait une erreur. Là, je savais à 100 %
qu’il fallait y aller. » Florence en Arabie saoudite, Margaux à Bali,

Anne à Lisbonne, mais aussi Pierre à Singapour et Chiara, qui s’est,
elle, installée à Paris, donnent des ailes à ceux qui rêvent d’ailleurs.
Un rêve qui, ces dernières semaines, pour Matthieu à
Shanghaï, Jeanne à Hongkong et Charlotte à Singapour, est mal-
mené par le coronavirus. Dans son dernier épisode, un « hors sé-
rie » réalisé fin février par téléphone, Emmanuelle a recueilli leurs
témoignages « là où la crise est la plus grave ».
« C’est extrêmement structuré. Tout le monde porte un mas-
que », assure Jeanne, qui regrette la paranoïa qui est entrée « à juste
titre! » à Hongkong et dénonce les pénuries dans une ville au point
mort. « Est-ce que la vie va repartir normalement? », s’interroge
Charlotte, inscrite à une chaîne Whatsapp gouvernementale pour
rester informée de l’évolution de l’épidémie. Tous trois attestent du
confinement, des contraintes pour faire ses courses ou se faire livrer,
du télétravail quasi généralisé, des privations aussi et « des scènes
d’apocalypse ». « On vit vraiment semaine après semaine, difficile de
se projeter pour l’instant », reconnaît Matthieu, tandis que Jeanne
souligne combien « l’année du rat n’est pas une bonne année! ».

L E P O D C A S T D E L A S E M A I N E

« En éclaireur », la voix des expats


Marlène Duretz
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