4 |coronavirus DIMANCHE 15 LUNDI 16 MARS 2020
0123
Discrète bataille des
masques entre la France,
l’Allemagne et l’Italie
La Commission presse Paris et Berlin
de partager leurs stocks avec d’autres pays
rome, bruxelles, berlin
correspondants
M
ontrer l’exemple. Em
pêcher que d’autres
Etats soient tentés, eux
aussi, de garder pour eux leurs
masques, gants et autres combi
naisons médicales. Neuf jours
après que la France et l’Allemagne,
selon des modalités différentes,
ont décidé de conserver les maté
riels médicaux de protection dont
elles disposaient sur leur terri
toire, alors que la situation ita
lienne commençait à devenir pré
occupante, la Commission euro
péenne a fini par réussir, vendredi
13 mars, à les faire revenir à des
considérations plus altruistes.
Face à la progression dramati
que de l’épidémie de coronavirus
en Italie, Bruxelles ne pouvait pas
rester inactive. D’abord, parce que
le décret de réquisition de Paris et
l’ordonnance d’interdiction d’ex
portation de Berlin, tous deux pu
bliés le 4 mars, contrevenaient à
l’un des principes fondamentaux
régissant le marché intérieur de
l’Union européenne (UE) : le droit
à la libre circulation des marchan
dises. Ensuite, parce que les deux
pays possèdent une quantité im
portante de matériels médicaux
de protection : tandis que la
France a constitué des stocks stra
tégiques, l’Allemagne en fabrique
en grande quantité et a sur son
territoire le centre de distribution
d’un producteur américain.
Indifférence
« Les deux cas de figure étaient dif
férents. La France voulait lutter
contre la spéculation et garder les
masques pour son personnel médi
cal, les chercheurs en laboratoire et
les malades. L’Allemagne, elle, gar
dait ses masques chez elle mais
n’empêchait pas quiconque le sou
haitait de s’approvisionner pour
constituer des stocks », explique
une source européenne. Deux si
tuations distinctes, donc, mais pas
de différence essentielle du point
de vue de Bruxelles : pour la Com
mission, le décret de réquisition
français comme l’interdiction
d’exportation allemande étaient
tout aussi inacceptables.
Accusée d’indifférence à l’égard
du drame que vivait l’Italie, la pré
sidente de la Commission euro
péenne, Ursula von der Leyen, a
compris qu’elle avait personnelle
ment intérêt à se saisir du dossier.
De son côté, le commissaire au
marché intérieur, Thierry Breton,
a pris contact avec les industriels
pour faire un état des lieux des
stocks et des capacités de produc
tion. Le sujet a été évoqué, le
6 mars, lors de la réunion extraor
dinaire des ministres européens
de la santé, à Bruxelles. Mais c’est
la tribune libre de l’ambassadeur
italien auprès de l’UE, Maurizio
Massari, publiée sur le site Poli
tico, mardi 10 mars, qui a accéléré
les choses. Le diplomate y racon
tait que son pays avait demandé
des masques à ses partenaires,
mais sans succès. « Seule la Chine
a répondu. Ce n’est pas bon signe
en ce qui concerne la solidarité
européenne », écrivaitil.
La Chine – d’où la pandémie est
partie – a tout fait, de son côté,
pour que son geste ait le plus de
retentissement possible. Ainsi,
dans la soirée de jeudi, un Airbus
A350 en provenance de Shanghaï
a atterri sur l’aéroport romain de
Fiumicino. A son bord, neuf palet
tes contenant du matériel respira
toire, des électrocardiogrammes
et plusieurs dizaines de milliers
de masques, et d’autres matériels
mis à disposition par la Croix
rouge chinoise, mais aussi neuf
médecins spécialistes chinois,
tous ayant tous œuvré dans la
lutte contre la propagation du vi
rus dans l’empire du Milieu. A l’ar
rivée de l’avion, le chef de la diplo
matie italienne, Luigi Di Maio, a
chaleureusement salué les autori
tés chinoises : « C’est ce que nous
appelons de la solidarité et je suis
certain que d’autres arrivées se
produiront », atil remercié, ajou
tant : « Nous ne sommes pas seuls,
il y a des personnes dans le monde
qui veulent aider l’Italie. » Com
ment mieux souligner que les
partenaires le plus proches de
l’Italie, eux, ont manqué à l’appel?
Bruxelles a donc demandé à la
France et à l’Allemagne de revoir
leur copie et d’y stipuler claire
ment que les matériels de protec
tion présents sur leur sol pou
vaient être mobilisés pour les ap
pels d’offres conjoints de l’UE et
les besoins de tel ou tel pays. « Il
est possible de prévoir des restric
tions d’exportations, mais il faut
que ceux qui sont en contact avec
les malades ou le virus, partout en
Europe, soient prioritaires », expli
que un fonctionnaire.
Compte tenu de l’explosion des
besoins en France et en Allema
gne, les décisions de leurs gouver
nements n’auraient sans doute
pas bouleversé la donne. Outre
Rhin, par exemple, une entreprise
comme Gehe Pharma Handel, qui
fournit quotidiennement plus de
6 500 pharmacies dans le pays, a
vu ses demandes en masques de
protection respiratoire multi
pliées par dix depuis février.
« Aujourd’hui, nous ne sommes
que très partiellement en capacité
de livrer les masques qui nous ont
été commandés », explique la di
rection de l’entreprise. Et ce, alors
que l’Allemagne – avec plus de
3 600 cas détectés dont 8 mortels
- a été pour l’instant beaucoup
plus épargnée que la France ou
l’Italie.
Berlin s’y sera repris à deux fois
avant de fournir un texte qui con
vienne aux autorités européen
nes. Jeudi, le gouvernement alle
mand a proposé une mouture qui
n’a pas été jugée à la hauteur,
même si elle prévoyait la possibi
lité d’exporter du matériel de pro
tection sous certaines conditions.
Vendredi soir, Berlin était encore
en train de travailler à la modifi
cation de son ordonnance. Selon
le journal La Repubblica, samedi,
l’Allemagne aurait autorisé l’en
voi d’un million de masques et
autre matériel de protection dans
la péninsule.
Trois autres pays ont cependant
notifié à la Commission leur in
tention d’interdire l’exportation
de matériel de protection médi
cale : la République tchèque, la
Bulgarie et... l’Italie. D’autres,
comme la Pologne, l’envisagent
également. Face à ce début de
réaction en chaîne en contradic
tion avec les promesses de solida
rité formulées par Emmanuel Ma
cron et Angela Merkel, la Com
mission a donc décidé de réagir.
Vendredi, Mme von der Leyen a
ainsi regretté que des « Etats
membres empêchent les équipe
ments de protection médicale d’ar
river jusqu’aux patients et méde
cins qui en ont besoin, en ces temps
où la solidarité est nécessaire ».
jérôme gautheret,
virginie malingre
et thomas wieder
Au RoyaumeUni, Boris Johnson reporte
d’un an les élections municipales
Le scrutin prévu en mai risquait de se tenir en pleine épidémie, ont expliqué les autorités,
tandis que la reine Elizabeth, bientôt 94 ans, a annulé une série d’engagements
londres correspondante
L
e gouvernement Johnson
résiste encore à la ferme
ture des écoles mais Dow
ning Street a fait savoir, vendredi
13 mars, que les élections locales
du 7 mai seraient reportées à l’an
née prochaine en raison du coro
navirus. Le scrutin concernait le
renouvellement de 118 conseils
locaux, de l’Assemblée de Londres
(une sorte de conseil municipal)
et de sept maires d’aggloméra
tions dans le pays, dont Londres.
Sadiq Khan, le maire travailliste
de la capitale britannique depuis
2016, devrait donc rester à son
poste un an de plus.
M. Khan avait officiellement
lancé sa campagne début mars,
comptant mener bataille contre
la crise du logement londonien
en promettant, s’il était réélu
pour un deuxième mandat, de
militer pour un contrôle des
loyers. Favori dans les sondages, il
s’apprêtait à affronter deux ad
versaires de poids : le conserva
teur Shaun Bailey, qui comptait
l’attaquer sur son piètre bilan en
matière de lutte contre les crimes
au couteau. Et Rory Stewart, ex
ministre conservateur du gouver
nement May, écarté du parti pour
s’être opposé, à l’automne 2019, à
la stratégie jusqu’auboutiste de
Boris Johnson pour un Brexit
sans accord.
« Je vais continuer à travailler
avec le gouvernement et les ex
perts pour aider Londres à sur
monter le coronavirus dans les se
maines et les mois qui viennent. Je
ferai toujours tout ce qui est en
mon pouvoir pour défendre Lon
dres », a réagi M. Khan sur Twitter
vendredi. « Londres a besoin de
changement mais il est normal
que le gouvernement mette la
priorité sur la santé publique et dé
cale les élections. Je vais passer
l’année qui vient à travailler vingt
quatre heures sur vingtquatre
pour que Sadiq Khan ne fasse
qu’un mandat », a pour sa part
tweeté Shaun Bailey.
Aucune polémique
La décision de Downing Street ne
suscitait quasiment aucune polé
mique vendredi soir : le gouver
nement a expliqué redouter que
le scrutin tombe en plein pic de
l’épidémie. Pour le conseiller
scientifique en chef de M. John
son, Sir Patrick Vallance, ce pic
pourrait advenir « d’ici dix à qua
torze semaines », c’estàdire au
cœur du printemps.
Jeudi déjà, la commission élec
torale, un organe indépendant,
avait recommandé au gouverne
ment de reconsidérer le scrutin :
les candidats n’auraient pas été
en mesure de mener une campa
gne dans de bonnes conditions,
et les populations risquaient de
ne pas être très réceptives à leurs
arguments. « Nous nous félicitons
de la décision du gouvernement
britannique de décaler les élec
tions de mai, a réagi la commis
sion dans un communiqué pu
blié vendredi. Cela va permettre
aux autorités de concentrer leur
effort sur les services publics es
sentiels, et de minimiser les ris
ques pour les votants, les mili
tants et les candidats. »
Londres comptabilisait 136 cas
confirmés de contamination
vendredi, pour un total de 798 cas
dans l’ensemble du Royaume
Uni (et 11 décès, dont un premier
en Ecosse). La capitale tourne en
core, mais de plus en plus au ra
lenti. Les métros sont moins bon
dés aux heures de pointe – un
conducteur du Tube a d’ailleurs
été testé positif pour la première
fois vendredi –, le trafic routier
est légèrement moins dense, et
des campus ont annoncé le pas
sage aux cours en ligne.
Le marathon de Londres, prévu
fin avril, a lui aussi été décalé (au
4 octobre 2020) et Buckingham
Palace a fait savoir que la reine,
94 ans le 21 avril, annulait une sé
rie d’engagements prévus pour
les jours à venir. Par ailleurs, à
partir de lundi 16 mars, les visi
teurs ne seront plus autorités à
entrer dans Westminster, mais le
Parlement, institution centrale de
la démocratie britannique, reste
en activité – jusqu’à nouvel ordre.
Ne faudraitil pas au contraire
tout fermer sans attendre, le Par
lement, les écoles, les commerces
non essentiels, audelà de ces de
mimesures? La polémique n’a
cessé d’enfler ces dernières heu
res, le RoyaumeUni continuant à
se distinguer d’une liste de plus
en plus longue de pays européens
adoptant des mesures radicales
de distanciation sociale. M. Val
lance a expliqué vendredi la stra
tégie du gouvernement.
Elle consiste à parier sur l’acqui
sition d’une « immunité collec
tive », à mesure que la population
britannique est contaminée (et
développe en majorité une forme
légère du coronavirus). Une stra
tégie « dangereuse », estime Devi
Sridhar, professeure de santé pu
blique à l’université d’Edim
bourgh, citée par The Guardian.
Vendredi soir, Downing Street
semblait reculer face aux criti
ques : le gouvernement devrait
interdire les rassemblements à
partir de la semaine prochaine.
cécile ducourtieux
L’Espagne en état d’alerte
après avoir tardé à faire face
Le premier ministre, Pedro Sanchez, a prévenu que le seuil des 10 000
personnes contaminées devrait être atteint dans les prochains jours
madrid correspondante
L’
état d’urgence devait
être décrété en Espa
gne, ce samedi 14 mars,
lors d’un conseil des
ministres extraordinaire. « Des
décisions exceptionnelles seront
prises (...) afin de mobiliser toutes
les ressources de l’ensemble de
l’Etat, économiques et sanitaires,
aussi bien publiques que privées,
civiles que militaires, afin de mieux
protéger la santé de tous nos
citoyens », a annoncé le chef du
gouvernement, le socialiste Pedro
Sanchez, lors d’une allocution
solennelle, vendredi.
Il pourrait notamment limiter
la liberté de circulation et ordon
ner des réquisitions de matériel,
ou suspendre les élections régio
nales prévues le 5 avril au Pays
basque et en Galice, dont la tenue
est de plus en plus contestée.
L’Espagne est devenu le
deuxième pays européen le plus
frappé par le Covid19, passant
devant la France. Vendredi soir, le
dernier bilan du ministère
espagnol de la santé faisait état de
4 231 personnes infectées et de
121 morts, dont près de la moitié
dans la seule région de Madrid. La
veille, ils étaient respectivement
3 004 et 84. M. Sanchez a prévenu
que le seuil des 10 000 contami
nés devrait être atteint « la se
maine prochaine ». Et, pour y
mettre un frein, le temps des
mesures graduelles est fini.
Le gouvernement entend met
tre en œuvre un plan de 18 mil
liards d’euros, présenté le 12 mars,
pour faire face à l’urgence. Il s’agit
de soutenir les entreprises et
plusieurs régions autonomes (la
gestion de la santé publique est
décentralisée).
Mercredi 11 mars, dans la région
de Madrid et à la Rioja, les crèches
ont été fermées, tandis que toutes
les classes, jusqu’à l’université, ont
été suspendues, de même que les
visites aux maisons de retraite.
Cette mesure a été adoptée
vendredi par le Pays basque, la
Catalogne et la Galice.
Puis, sous pression du gouver
nement espagnol, toutes les
autres régions ont annoncé à leur
tour la fermeture des centres édu
catifs à partir de lundi 16 mars.
Certaines, non sans rechigner : « Il
est aussi risqué que les enfants
jouent dans un parc que dans la
cour de récréation », se plaignait
jeudi matin le président socialiste
de la région de CastilleLa Manche,
Emiliano GarciaPage.
Ailleurs, la prise de conscience a
parfois été brutale. En Catalogne,
où 509 personnes ont été dia
gnostiquées, la ville d’Igualada
s’est ainsi réveillée vendredi ma
tin entourée d’un cordon policier.
Dans cette commune confinée de
40 000 habitants, 58 cas ont été
détectés dont 36 membres du
personnel médical, ce qui a pro
voqué l’isolement de 200 profes
sionnels de santé. Le maire a lancé
un appel à l’aide, demandant l’en
voi de médecins en renfort.
Vendredi soir, le président de la
Catalogne, l’indépendantiste
Quim Torra, a par ailleurs de
mandé l’aide du gouvernement
espagnol pour procéder au confi
nement de toute la région et fer
mer routes, ports et aéroports :
« L’évolution des contaminations
nous oblige à être plus drasti
ques », atil déclaré. Une telle de
mande d’assistance a également
été formulée par les îles Baléares.
« SOS au gouvernement »
Avec 35 cas, la région méditerra
néenne de Murcie n’a pas attendu
pour confiner toutes les zones
touristiques côtières, afin de
limiter les risques liés à l’afflux de
Madrilènes y possédant des rési
dences secondaires.
Car c’est dans la capitale que se
concentre l’essentiel des malades :
près de 2 000, vendredi soir. Mal
gré un système de santé solide, la
région se prépare au pire et entend
se doter au plus vite de mille lits en
unités de soins intensifs.
Pour cela, elle s’est assurée de la
coopération des hôpitaux privés
et a approuvé la médicalisation
des maisons de retraite, des gym
nases et des hôtels. Cependant,
elle a aussi « besoin de matériel »,
en particulier de masques et d’ap
pareils respiratoires : « Nous lan
çons un SOS au gouvernement », a
déclaré le responsable de la santé
madrilène, Enrique Ruiz Escudero.
La Communauté autonome de
Madrid, où résident 6,7 millions
d’habitants, a en outre décidé de
fermer dès samedi tous les com
merces, y compris restaurants,
bars, discothèques et hôtels, à
l’exception des magasins d’ali
mentation et des pharmacies. Les
régions de Valence, de Catalogne
et de Galice ont pris des mesures
similaires. Madrid a aussi or
donné la fermeture de tous les
parcs et terrains de jeux pour en
fants, après avoir constaté le mer
credi que la suspension des clas
ses avait provoqué leur engorge
ment... et que les terrasses des
bars ne désemplissaient pas.
Signe de la désinvolture de cer
tains Espagnols, à Séville et à Ali
cante, des discothèques ont
même organisé des « coronavirus
party », avec pour slogan « Conta
minetoi avec nous ».
Après des semaines où la prio
rité du gouvernement espagnol
semblait être de ne pas vouloir
provoquer de panique, allant
jusqu’à participer le 8 mars à la
manifestation pour les droits des
femmes, qui a rassemblé
120 000 personnes dans la capi
tale, des internautes se mobili
sent sous le hashtag #yomeque
doencasa (« je reste à la maison »).
Sportifs, acteurs, humoristes,
politiques, mais aussi médecins
et infirmiers anonymes de plu
sieurs hôpitaux de Madrid, dé
bordés par l’afflux de malades,
ont ainsi enregistré des vidéos
pour que tous prennent cons
cience de l’enjeu afin de freiner
l’épidémie, de protéger la vie des
personnes vulnérables et le
fonctionnement des services de
santé. Le maire de Madrid, José
Luis Martinez Almeida, a insisté :
« Ce ne sont pas des vacances, c’est
une crise. »
sandrine morel
Signe de la
désinvolture
de certains
Espagnols,
des discothèques
ont organisé des
« coronavirus
Party »
La Chine a tout
fait pour que
sa livraison
de matériel
médical à Rome
ait le plus de
retentissement
possible
Londres comptait
136 cas confirmés
de contamination
vendredi, pour un
total de 798 cas
dans l’ensemble
du Royaume-Uni