AU COURS DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE, le
monde du luxe s’est trouvé un nouveau terrain de
jeu : les salles des musées. Les marques de mode
ont investi les cimaises, exposant au public leurs
archives, les présentant dans des scénographies
souvent grandioses. Ainsi de Louis Vuitton au
Grand Palais en 2016 ou de la rétrospective Dior
au Musée des arts décoratifs (MAD) à Paris,
en 2017. L’exposition qui s’est ouverte le 26 février
au Palais de la Porte Dorée, consacrée au chaus-
seur Christian Louboutin, s’inscrit dans cette ten-
dance. Le public parisien y découvre l’univers de
celui dont le nom est synonyme de semelle rouge
et d’un glamour qui s’immisce dans plusieurs
univers. C’est justement ces différents mondes
que le visiteur traverse dans les salles de l’expo-
sition, passant devant des vitraux, un théâtre en
bois sculpté venant du Bhoutan, ou des mises en
scène d’inspiration diverses et personnelles du
créateur de 57 ans, dont il se dit qu’il aurait des-
siné 40 000 paires de souliers.
Le site de l’exposition, le Palais de la Porte
Dorée, qui regroupe le Musée national de l’his-
toire de l’immigration et l’aquarium tropical,
n’est pas anodin. Christian Louboutin a grandi
dans le 12e arrondissement, à quelques pas de ce
qui fut le Musée des arts africains et océaniens,
dans un bâtiment imposant construit lors de
l’Exposition coloniale de 1931. Enfant, il s’y rend
souvent. « Le lieu me fascinait par ses propor-
tions, ses grandes colonnes et les objets
incroyables qu’il recelait. Des dents de phaco-
chère, notamment, m’impressionnaient. » Le petit
garçon, grand lecteur des albums de Tintin,
court le plus souvent possible dans ce musée
qui lui évoque celui de L’Oreille cassée. Un détail
le frappe : un panneau disposé à l’entrée d’une
salle interdisant aux femmes portant des talons
hauts de rentrer, le parquet étant très fragile.
« J’avais toujours le dessin en tête, il me mar-
quait », dit-il, faisant aujourd’hui le lien avec ce
qui deviendrait son métier.
L’enfance passe, et Christian Louboutin délaisse un
peu le musée, au profit des boîtes de nuit, Le
Texte Clément GHYS
MAKING OF
LOUBOUTIN,
une pointure
au Palais.
Palace en tête, ou de ses bureaux, toujours instal-
lés rue Jean-Jacques Rousseau (Paris 1er). Mais il
n’oublie pas le 12e. « Le musée est très important
pour moi, j’y emmène des gens », dit celui qui a été
donateur pour la restauration du mobilier des
salons du Palais – La Cinémathèque, dans le
même arrondissement, avait bénéficié d’un mécé-
nat important de sa part pour l’exposition-
rétrospective « Youssef Chahine ».
Au fil des échanges avec la direction du musée,
les équipes découvrent que le chausseur est un
témoin de son histoire, et qu’il connaît très bien
les lieux. Si bien qu’Hélène Orain, directrice du
Palais, lui propose de faire quelque chose. « Je ne
suis pas archéologue, ni historien. Alors je me suis
dit que c’était l’endroit idéal pour montrer mon
travail », explique-t-il – il a déjà fait l’objet de
deux expositions, une pour les 20 ans de sa
marque au Design Museum londonien, et une
autre sur le fétichisme, avec David Lynch, qui
avait été montée au Garage moscovite.
Grâce à Olivier Gabet, directeur du Musée des arts
décoratifs, l’exposition, dont il est le commissaire,
est donc une immersion dans l’univers d’un créa-
teur connu dans le monde entier, dont le nom est
cité dans les paroles de tubes de Maître Gims ou
de Jennifer Lopez. De quoi assurer a priori une fré-
quentation élevée pour le musée parisien, en
pente ascendante depuis le succès de plusieurs
expositions, notamment « Paris-Londres. Music
Migrations » en 2019. L’année dernière, le Palais a
accueilli plus de 525 000 visiteurs. Soit une pro-
gression de 59 % depuis 2016. De très bons
chiffres, que l’exposition devrait soutenir. Car si
Louboutin dit être heureux d’aller « vers un autre
public que celui de la mode », les personnalités du
luxe exposées au musée attirent inexorablement
le grand public. Pour preuve, les plus de
700 000 visiteurs à l’exposition Dior au MAD
en 2007. Signe que, entre luxe et musée, l’échange
peut être gagnant-gagnant.
« CHRISTIAN LOUBOUTIN L’EXHIBITION[NISTE] »,
AU PALAIS DE LA PORTE DORÉE, 293, AVENUE DAUMESNIL,
PARIS 12e, JUSQU’AU 26 JUILLET. PALAIS-PORTEDOREE.FR
LES MUSÉES ACCUEILLENT DE
PLUS EN PLUS D’EXPOSITIONS
LIÉES À L’UNIVERS DU LUXE.
COMME AU PALAIS DE LA PORTE
DORÉE, À PARIS, OÙ SE TIENT UNE
RÉTROSPECTIVE DU CHAUSSEUR
CHRISTIAN LOUBOUTIN, LÀ MÊME
OÙ EST NÉE SA VOCATION.
Un soulier
de verre imaginé
par Christian
Louboutin.
LE GOÛT
Macassar Productions
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