Le Monde - 07.03.2020

(Grace) #1

14 |france SAMEDI 7 MARS 2020


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dijon ­ envoyée spéciale

L


a jeunesse est en marche. »
C’était en 2001, le slogan
de sa première campagne
municipale. C’était l’épo­
que où, pour battre l’inamovible
maire gaulliste Robert Poujade,
François Rebsamen faisait la tour­
née des maisons de retraite, avec
sur ses tracts la rose au poing. De­
venu maire de la métropole bour­
guignonne, il est resté socialiste
mais ne met plus les pieds dans un
Ehpad avant les élections. En re­
vanche, ses affiches électorales le
campent en maire de la « ville pour
tous ». En clair : pour toutes les gé­
nérations. Et pour cause, Dijon
compte désormais presque autant
de seniors que d’étudiants. « Avec
cette devise, j’ai réintégré les per­
sonnes âgées dans mon message »,
explique l’édile dans son vaste
bureau, à l’hôtel de ville, les yeux
levés vers la Toison d’or qui orne la
cheminée. Mais sans les cibler ni
les citer dans ses tracts ou ses dis­
cours. C’est toute la subtilité.
« Ce n’était pas gagné », soupire
M. Rebsamen. « Longtemps la gau­
che a dit : “Les vieux votent à
droite.” Et la droite a dit : “Les vieux
votent à droite.” Donc personne ne
s’est occupé d’eux », résume Serge
Guérin, sociologue auteur du livre
Les Quincados (Calmann­Levy,
2019). Dijon est devenu l’épicentre
d’une petite révolution presque
par hasard. Ancien membre du ca­
binet de François Rebsamen, Pier­
re­Olivier Lefebvre a créé en 2012
le Réseau francophone des villes
amies des aînés (RFVAA). L’asso­
ciation incite à mettre en pratique
le programme, arrêté en 2007, par
l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) pour « l’adaptation
des villes au vieillissement ». Affilié
à l’OMS, le RFVAA a réussi à enrôler

quelque 140 villes françaises. La
plus grande est Paris, la plus petite
Meaulnes­Vitray (Allier), 900 ha­
bitants. De toute obédience parti­
sane. Elles forment un vivier de
près de 12 millions d’habitants.
RFVAA offre une méthode aux
maires pour enrôler les seniors
dans les politiques de transports,
d’habitat, de culture... Les retraités
« attendent de leur ville de trouver
une place et pas seulement que les
élus s’occupent d’eux », expose
M. Lefebvre, délégué général de

RFVAA. « Le clientélisme à la papa,
c’est fini, renchérit M. Rebsamen.
Le temps est révolu où les élus in­
fantilisaient les personnes âgées en
leur offrant des boîtes de chocolats
avec l’espoir qu’ils voteraient pour
eux. » Le 20 février, une troupe de
fringants Dijonnais entre 62 et
74 ans semble avoir retrouvé une
seconde jeunesse. Ils forment le
noyau dur de « l’observatoire de
l’âge », structure municipale qui
compte 45 seniors tirés au sort ou
choisis dans les comités de quar­

tier. Ils se sont donné rendez­vous
à la maison des seniors et passent
en revue ce qu’ils ont obtenu de la
part de la mairie.
Parmi les actions dont ils sont le
plus fiers : un guide des jardins de
la ville qui indique s’ils sont acces­
sibles « avec canne, déambulateur,
fauteuil roulant », une campagne
auprès des commerçants pour
qu’ils prennent le pli d’offrir un
verre d’eau, un siège, ou qu’ils por­
tent les cabas de leurs clients che­
nus. Sous la halle Eiffel du marché,

des strapontins, posés à leur insti­
gation, offrent un répit aux cha­
lands âgés. Le petit groupe a con­
vaincu le maire d’installer dans les
rues des nouveaux « fauteuils » en
bois et non en pierre de Bourgo­
gne « parce que la pierre refroidit le
derrière », dit en rigolant l’un
d’eux, avec des accoudoirs pour
que les « vieux » puissent se rele­
ver. Quelque 600 Dijonnais ont
pris part à un vote pour choisir le
modèle sur une place de la ville
en 2014. « On a l’impression de ser­
vir à quelque chose », s’égaye Chan­
tal, 72 ans. « On a un certain pou­
voir », déclare Gilles, 62 ans, avec le
sourire. Régulièrement, le groupe
entame des « balades exploratoi­
res » dans Dijon pour repérer les
trottoirs abîmés, les fauteuils ou
les éclairages qui manquent.

« Rompre l’isolement »
Rennes est aussi un laboratoire de
cette nouvelle politique de l’âge.
« Chez nous, on ne fait pas le repas
des anciens avec le maire qui
chante, ni la tournée du Père Noël.
La réponse au vieillissement ne
consiste pas à faire la charité, elle
passe par l’adaptation de la ville »,
explique Nathalie Appéré, maire
(PS) de la ville. Elle énumère les
exemples d’une « attention per­
manente dans tous les champs de
l’action publique à ceux qui vieillis­
sent » : bacs à fleurs en hauteur
dans les jardins partagés, éviers
bas et douches adaptées dans une
partie des nouveaux logements
de la ville, charte pour un mobilier

urbain en adéquation, obligation
pour les promoteurs de prévoir
des logements pour les personnes
âgées qui soient proches des com­
merces... La maire de Rennes a
même fait l’acquisition de simula­
teurs de vieillesse composés de lu­
nettes qui limitent le champ de vi­
sion, de chaussures plombées qui
handicapent la marche. Une pa­
noplie qu’enfilent les agents de la
voirie, les conducteurs de bus, les
aménageurs privés pour se glisser
dans la peau d’un senior. « On veut
que les personnes qui font la ville
ne prennent pas la question des
aînés à la légère », insiste Véra
Briand, adjointe (PS) déléguée aux
personnes âgées et au handicap.
Cette nouvelle attention à la
vieillesse n’est pas l’apanage des
villes de gauche. A Saint­Etienne,
Gaël Perdriau, maire (Les Républi­
cains) a mis en place en 2016
un conseil consultatif des seniors,
composé d’habitants, de méde­
cins, de militants associatifs.
Chaque quartier de la ville a une
« commission bien­vieillir » d’une
douzaine d’habitants. L’une d’en­
tre elles a lancé l’idée de « chaises
pliantes conviviales » pour inciter
les personnes âgées à participer à
des ateliers ou des jeux en plein
air, l’été. Une façon « de rompre
l’isolement », souligne Siham La­
bich, adjointe (MoDem) chargée
des centres sociaux et des seniors.
Les chaises ont été conçues par la
Cité du design de la ville avec des
couleurs vives pour donner envie
de s’y asseoir.
Les maires « commencent à
prendre conscience de l’opportu­
nité pour leur territoire d’avoir une
population qui avance en âge de
façon massive, observe Nicolas
Menet, sociologue, auteur de
Construire la société de la longévité
(Eyrolles, 2019). Mais beaucoup
considèrent encore la personne
âgée comme une charge ». Pour
lutter contre les stéréotypes, le
RFVAA et la filière économie des
seniors ont adressé une lettre aux
candidats aux municipales avec
une liste « d’idées bienveillantes » à
réaliser. En 2021, le Réseau déli­
vrera aux villes un label sur des
critères stricts. Histoire d’encou­
rager les amitiés sincères entre les
maires et les aînés.
béatrice jérôme

Une nouvelle structure pour financer le culte musulman


L’association sera chargée de trouver des « financements clairs et transparents » pour notamment former « en France des imams français »


L’


initiative fait écho à l’ap­
pel à la lutte contre « le
séparatisme islamiste »
lancé Emmanuel Macron à Mul­
house, le 18 février. Les dirigeants
du Conseil français du culte mu­
sulman (CFCM), l’interlocuteur of­
ficiel de l’Etat, et Hakim El Karoui,
président de l’Association musul­
mane pour l’islam de France
(AMIF), une initiative privée qui
prétend structurer le deuxième
culte français en surveillant les
flux financiers, se sont accordés
pour créer une nouvelle structure,
une « association unifiée de finan­
cement du culte musulman trans­
parente et professionnelle ».
Dans une tribune publiée par
Le Monde, vendredi 6 mars, les si­

gnataires – Mohammed Mous­
saoui, le président du CFCM, ses vi­
ce­présidents Ibrahim Alci et
Chems­Eddine Hafiz, et l’essayiste
et consultant Hakim El Karoui –
inscrivent leur initiative dans
« une dynamique constructive en­
tre l’Etat et le culte musulman ».
Leur rapprochement constitue un
tournant significatif, tant le CFCM
et le projet d’AMIF étaient en
concurrence. Fondé en 2003 sous
la pression de l’Etat, le CFCM est un
attelage de plusieurs fédérations
musulmanes dont les rivalités pa­
ralysent bien souvent les projets.
L’AMIF, constituée mais encore co­
quille vide, prône une régulation
du culte par un organisme dégagé
des influences des Etats étrangers

comme des intérêts des opéra­
teurs, par exemple concernant le
pèlerinage et le halal. La nouvelle
association serait chargée de trou­
ver des financements « clairs et
transparents » pour permettre de
former « en France des imams fran­
çais » et pour lutter « contre l’extré­
misme et la violence commise au
nom de l’islam ». En revanche, elle
n’aurait pas vocation, dans l’im­
médiat, à financer la construction
de mosquées, laissée aux initiati­
ves locales.
Où trouvera­t­elle ses fonds?
Comme l’a indiqué Mohammed
Moussaoui dès son élection à la
présidence du CFCM, en janvier,
les partenaires demanderont à
l’Etat que les mosquées (et les

autres lieux de culte) puissent ex­
ploiter des immeubles de rap­
port, ce qui leur permettrait de
disposer d’une source stable et
propre de financement. Cela sup­
pose une décision du Parlement.

Le défi de la gouvernance
Des dons et des legs pourront ali­
menter les caisses de la nouvelle
structure. Pour l’avenir, les parte­
naires proposent de se pencher
sur les ressources qui pourraient
être assises sur le pèlerinage à
La Mecque et sur le marché du ha­
lal – un vieux projet dont la viabi­
lité reste à démontrer.
Tout l’art consiste à bâtir une
gouvernance acceptable par tous.
La structure serait en fait consti­

tuée d’une association loi de 1905,
dont les activités se limiteront à la
partie cultuelle, et une association
loi de 1901 pour les activités cultu­
relles ou pédagogiques. Seule la se­
conde pourra recevoir des finan­
cements publics. La première bé­
néficiera de facilités fiscales. Le
conseil d’administration qui cha­
peautera les deux associations
sera composé pour deux tiers de
« personnalités indépendantes
ayant signé des déclarations d’inté­
rêt signifiant qu’elles n’ont aucun
intérêt dans les secteurs économi­
ques susceptibles d’être régulés par
elles », et pour un tiers de représen­
tants du CFCM et de ses fédéra­
tions. Les décisions concernant
« la régulation économique » se­

« Le temps est
révolu où les élus
infantilisaient les
personnes âgées
avec l’espoir
qu’ils voteraient
pour eux »
FRANÇOIS REBSAMEN
maire (PS) de Dijon

ils devraient être, comme d’habitude,
les plus nombreux à mettre un bulletin
dans l’urne, aux municipales des 15 et
22 mars. Les plus de 65 ans étaient 81 % à vo­
ter au scrutin de 2014 contre 47 % des
18­24 ans. Huit seniors sur dix considèrent
le vote comme un devoir, selon l’enquête
« French Election Study » réalisée après la
présidentielle de 2017, pilotée par les Insti­
tuts d’études politiques de Paris, Bordeaux
et Grenoble. Selon cette étude, neuf seniors
sur dix ont un domicile stable contre un
jeune sur deux. Or, la stabilité du lieu de vie
favorise « la mobilisation politique », selon
Bernard Denni, professeur émérite de
sciences politique à Sciences Po Grenoble.
Le passage à la retraite va de pair avec des
engagements associatifs et une implication
citoyenne. L’électorat âgé est souvent catho­
lique, détenteur d’un patrimoine, attaché à
l’Europe. Pour ces trois raisons, il vote plu­
tôt à droite et peu pour l’extrême droite.
Autant ils sont nombreux à voter au début

de leur retraite, autant ils s’abstiennent de­
venus octogénaires. Selon, une étude de
l’Insee sur la présidentielle de 2012, une des
rares enquêtes électorales récentes sur le
sujet, la participation des 63­73 ans était de
84 %, de 62 % à partir de 83 ans et de 50 % à
partir de 88 ans. « Perte d’autonomie physi­
que, des capacités de jugement ou simple
perte d’intérêt pour la vie sociale et politi­
que? On ne sait pas évaluer le poids respectif
des causes de ce déclin de la participation
électorale », observe M. Denni.
Pour Philippe Viriot Durantal, professeur
de sociologie à l’université de Lorraine, il y a
« une certaine indifférence des politiques et
des chercheurs à l’égard de ce net recul de
participation. Des intellectuels ou des ac­
teurs publics ont même pu défendre le bien­
fondé d’une péremption du vote à partir d’un
âge pivot de 70 ou 80 ans », s’émeut­il. Le so­
ciologue y voit « la marque d’une culture
profondément âgiste qui traverse la société
contemporaine et notamment la France ».

L’abstention des très âgés qui comprend
une majorité de femmes « n’a pourtant rien
d’inéluctable », selon lui. En Suisse, des dé­
bats organisés lors de référendums d’initia­
tive populaire dans les maisons de retraite
« ont permis, d’éviter le décrochage de la vie
civique et politique des résidents », remarque
l’universitaire, président du Réseau d’étu­
des international sur l’âge, la citoyenneté et
l’intégration socio­économique (Reiactis),
fondé à l’université Paris­Descartes.
Permettre aux seniors de rester des élec­
teurs éclairés jusqu’à leur dernier souffle
n’est pas un enjeu anodin, analyse M. Viriot
Durantal. « Il en va de la conciliation entre
longévité et droits humains ; et du pouvoir
pour les personnes âgées de participer à une
société démocratique », Au sein du Reiactis,
lui et M. Denni viennent de créer un groupe
de travail associant des universitaires fran­
çais et des chercheurs étrangers pour éluci­
der le « décrochage civique » des très âgés.
b. j.

Un vote massif en début de retraite, le « repli » à partir de 80 ans


ront prises à la majorité simple.
Celles portant sur l’emploi des res­
sources à la majorité qualifiée des
deux tiers, c’est­à­dire qu’elles de­
vront avoir l’aval du CFCM.
L’initiative comporte également
un appel à l’Etat pour qu’il inter­
dise les financements provenant
de pays autres que ceux « dont le
lien sociologique avec la France est
avéré » et pour qu’il contribue à
« former tous les ministres du
culte », afin qu’il soit capable de se
dissocier et de combattre l’instru­
mentalisation de « la religion à des
fins politiques ». Elle demande en­
fin à l’Etat de protéger les musul­
mans « quand leur liberté de cons­
cience n’est pas respectée ».
cécile chambraud

Quand le troisième âge s’impose dans la ville


Dans des agglomérations marquées par le vieillissement, les maires adaptent leur politique

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