cygnes dansé sur le parvis de Garnier, ainsi
qu’une nouvelle génération plus engagée, plus
ouverte sur l’extérieur, dont le danseur est l’une
des incarnations. « Avec les réseaux sociaux, on
ne peut plus ignorer le monde qui nous entoure,
la question sociale comme la question politique,
explique-t-il. La génération des gens de 20 ans
est encore plus consciente que la mienne et la
mobilisation autour des retraites par tous les
débats qu’elle a suscités entre nous a encore
accentué cette évolution. »
C’est lui, l’« étoile rouge », que l’émission « Quo-
tidien » a choisi de filmer pour illustrer le conflit à
l’Opéra, et ça n’est pas un hasard. Depuis qu’il a été
nommé étoile, à seulement 23 ans, Germain Louvet
ne laisse guère indifférent. Jeune, moderne, sa
notoriété a rapidement dépassé les frontières de
l’Hexagone. Sur son temps libre, il monnaye ses
talents pour des rôles ponctuels de soliste à
Milan, Londres, Rome, ainsi qu’en Allemagne ou
en Russie. Il trouve autant de plaisir dans le ballet
classique que dans les échappées contempo-
raines. Il participe aussi à quelques galas et se
prête à des shootings photos pour Vogue,
Numéro, L’Officiel ou Paris Match.
Son succès, Germain Louvet ne le doit pas uni-
quement à la scène. S’il intéresse autant, c’est
parce qu’il est aussi un garçon de son temps. Il
est présent sur les réseaux sociaux, Instagram
– car « on n’existe pas sans une image numérique
sociale » – et Twitter, qu’il consulte pour regar-
der comment un spectacle est reçu ou ce qui se
dit sur ses performances. Ses amis le décrivent
curieux. « Il doute, il remet les choses en question.
Il s’est ouvert sur plein de domaines ces dernières
années, que ce soit en art ou en politique », dit de
lui son « frère d’armes », le danseur étoile Hugo
Marchand. Il lit (Annie Ernaux), va au théâtre
(Histoire de la violence, d’Édouard Louis, par
Thomas Ostermeier), part à la découverte du
patrimoine cinématographique (Buñuel,
Antonioni, Fellini), écoute de la musique, du
classique, mais aussi Eddy de Pretto, Clara
Luciani ou Woodkid. « Il est ouvert et drôle, il est
très cultivé, abonde sa partenaire régulière et
amie l’étoile Léonore Baulac. C’est quelqu’un qui
sait sortir de la danse. »
CE 7 FÉVRIER, QUELQUES SECONDES AVANT LE DÉBUT DU
SPECTACLE, une voix enregistrée fait taire le bruissement de la salle.
« Mesdames et messieurs, pendant plus de quarante-cinq jours,
les rideaux de nos théâtres ne se sont pas levés. Il s’agit du plus long
mouvement social de l’histoire de l’Opéra. Pour préserver notre lien
avec vous et pour préserver l’intégrité économique de l’Opéra, nous
avons pris, collectivement, la décision d’assurer le spectacle de ce soir.
Mais nous restons mobilisés pour le retrait de ce projet de loi. » Une
partie du public applaudit, des sifflets s’élèvent, ceux des partisans
de la réforme des retraites. De l’autre côté du rideau, les danseurs
s’efforcent de se concentrer sur leurs échauffements, perturbés par
les huées reçues comme des gifles. Parmi eux, Germain Louvet,
étoile de 26 ans, beauté athlétique et insolente, s’apprête à incarner
Albrecht dans Giselle. En pointe dans l’opposition au texte gouver-
nemental, il a, ce soir-là, délaissé les banderoles pour revêtir à nou-
veau collant et chaussons. Dans l’après-midi, le personnel de l’Opéra
a décidé en assemblée générale de jouer sans avoir remporté le
combat : leur ministre de tutelle, Franck Riester, leur a donné l’assu-
rance qu’ils pourront continuer à partir à la retraite à 42 ans, mais
rien n’a été signé. « Du fait de la surdité du gouvernement, la grève
commençait à perdre de son sens pour certains, admet Louvet. En
annulant des spectacles, on n’embête pas grand monde à part nous-
mêmes et une partie du public bourgeois qui vote Macron. »
Le virtuose au port altier et aux traits purs, taillé pour les rôles de
prince, est loin d’être aussi lisse que ses emplois pourraient le
laisser paraître. Derrière le pourpoint brodé et les figures impec-
cablement réalisées se niche un garçon qui ne craint pas de dire
ce qu’il pense au sein d’une institution empesée. Il sait bien que
la bataille de la communication n’est pas aisée, que les danseurs
de l’Opéra font figure de privilégiés avec un régime spécial alors
que les danseurs des autres compagnies privées comme publiques
n’ont droit à rien. Il connaît les chiffres et combien a coûté la
grève. D’une voix posée, il refuse le « discours culpabilisateur du
gouvernement », qui a martelé le montant astronomique des
17 millions d’euros perdus pour cause de grève (75 représenta-
tions annulées). « Pour un danseur, ne pas danser est un crève-
cœur, assure-t-il. Si on obtient quelque chose, c’est grâce au mois
de grève. Le mouvement aurait été moins long si le gouvernement
avait mieux préparé le dossier. La responsabilité de la grève est
partagée par tous les acteurs. » Tombez le rideau.
Pendant de longues semaines, presque tous les jours, Germain
Louvet s’est retrouvé avec ses camarades danseurs dans des cafés
ou en assemblée générale pour débattre de la réforme et de
la politique gouvernementale. Une effervescence à la fois
inquiète et joyeuse, un flot de paroles et d’échanges plutôt inha-
bituel dans cette troupe d’élite rompue à l’effort et à la rigueur.
Le bras de fer a vu émerger des images fortes, comme un Lac des