molosse « qui aurait pu devenir un chien de cité »
mais dont elle assure avoir fait « un chien d’appar-
tement, tout gentil ». « Le problème, poursuit-elle,
c’est que mes fils qui sont franco-arabes ne savent
pas ce qu’est un jeune Français dit “de souche”.
Pour eux, ce sont comme des Schtroumpfs. Ils les
désignent comme les “bouffons” ou les “boloss”,
mais je leur dis que, s’ils ne travaillent pas bien à
l’école, ils seront les chauffeurs de VTC de ces
“boloss” qui, eux, rigoleront bien. »
Les volets écaillés des HBM comme la fermeture
des commerces traditionnels et de certains ser-
vices publics le long des boulevards des
Maréchaux renvoient les locataires historiques à
une époque révolue, et sans doute un peu
embellie, des HLM triomphants. Ex-enseignante,
profession dont elle a gardé une forme d’autorité
naturelle et une voix qui porte, Marie-Françoise
Marteau, 72 ans et plus d’un demi-siècle passé
comme locataire de la Régie immobilière de la
Ville de Paris, habite du côté de la porte de
Picpus, dans le 12e arrondissement. De son cin-
quième étage, elle contemple la cour où une
pelouse – interdite – a depuis longtemps rem-
placé les grands bacs à sable où jouaient les
enfants, désormais indésirables dans cet espace.
« Dans les années 1970, tous les locataires étaient
plus ou moins fonctionnaires et leurs gamins se
retrouvaient dans les mêmes écoles. On partait
ensemble aux sports d’hiver. Il existait une vraie
vie de communauté », se souvient-elle.
Aujourd’hui, elle se désole de voir ses petits-
enfants s’en remettre aux établissements sco-
laires privés du quartier. « Comme les gamins de
la gardienne et ceux de nos voisins de palier afri-
cains, installés ici depuis dix ans », précise-t-elle.
« Avec trente élèves par classe, ce n’est pas la
panacée, mais le niveau des établissements
publics alentour est tombé tellement bas... » Son
appartement qui, legs d’un lustre passé, dispose
toujours d’une entrée de service, où les tableaux
impressionnistes se mélangent aux objets afri-
cains, est cosy, mais sonore. « La nuit, j’entends
les jeunes livrés à eux-mêmes qui crient dans le
square mais aussi la télé de la vieille dame d’à
côté », confie-t-elle en souriant. Elle râle contre
« la police qui ne vient jamais malgré les bandes
qui posent de vrais problèmes », mais elle refuse
de forcer le trait. « Si j’étais plus jeune, je me sen-
tirais sans doute moins vulnérable. Et puis, regar-
dons le bon côté des choses. À Paris, un loyer de
700 euros pour un quatre-pièces avec vue déga-
gée, c’est inenvisageable ailleurs. »
Il existe d’ailleurs des résidents qui se sentent bien
dans les HBM. Fatiah, 30 ans, venue chercher ses
jumelles au jardin d’enfants de la rue Félix-Terrier
(20e arrondissement) à la façade très Art déco,
s’étonne presque du regard porté sur le quartier.
« Je mène une petite vie tranquille et je suis recon-
naissante aux petites vieilles très cool de mon
immeuble qui supportent le bruit que font parfois
mes trois enfants. Aux autres, je n’en veux pas. Ils
ont vécu toute leur vie dans une France chrétienne,
exclusivement blanche. Leurs réactions, quelque
part, c’est normal », dit-elle d’une voix posée. Il y
a aussi Maria, la gardienne à poigne, qui bat
« Sale Blanc, c’est honteux de dire ça, mais ce
racisme-là n’empêche quand même pas de trouver
du boulot. Le racisme antinoir ou antimusulman, en
revanche... Ici, je ne suis pas sûr que grand monde
ait envie de se réveiller un matin black ou beur »,
objecte Nathalie Grenier, 40 ans, qui occupe avec
ses deux fils un logement dans le secteur Python-
Duvernois (20e arrondissement). Classé comme le
plus pauvre de Paris, ce quartier fait actuellement
l’objet d’une vaste opération de rénovation. Veuve,
née catholique et convertie à l’islam de très longue
date, cette femme à la parole vive porte sur son
environnement un regard plus caustique que
désenchanté. « Au collège et à l’école de mes fils, il
n’y a pas le moindre Européen. Ou donc sont-ils
passés? La directrice m’a expliqué qu’ils obtenaient
des dérogations ou domiciliaient leurs enfants chez
mamie afin de pouvoir les inscrire dans un établis-
sement mieux coté », feint de s’étonner cette ani-
matrice d’école maternelle qui porte le foulard et
tient en laisse un jeune american staffordshire. Un
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