Libération - 06.03.2020

(vip2019) #1

Libération Vendredi 6 Mars 2020 u 21


courses en Israël. Selon lui,
l’instabilité des gouverne-
ments (trois élections depuis
un an) a retardé ces projets.
Reste que, selon nos infor-
mations, les organisateurs du
Tour d’Italie, approchés pour
créer un Tour d’Israël, n’ont
pas donné suite, estimant
l’expérience du Giro 2018 mi-
tigée. En revanche, Amaury
Sport Organisation, déten-
teur du Tour de France, étu-
dierait l’hypothèse.
En attendant, le fondateur du
projet, Ran Margaliot, a pris
ses distances en 2019 pour
«revenir à la base» et créer la
Gino Bartali Youth Leader-
ship School, du nom de l’an-
cien champion italien qui
sauva des Juifs pendant la
guerre. Il souhaite représen-
ter «la diversité d’Israël [...]
espér [ant] un jour accueillir
des Palestiniens» dans sa
nouvelle organisation. Cet
été, il suivra de près les aven-
tures d’Israel Start-Up Nation
et tout particulièrement la
prestation de Guy Niv, 26 ans,
qui s’apprête à écrire l’his-
toire : un premier Israélien
sur le Tour de France.•

tant, Adams n’a pas reçu de
réponse. «Mais je suis quel-
qu’un de tenace, poursuit-il. Il
va falloir faire tomber des
barrières psychologiques.»
Derrière ce discours d’ouver-
ture, le milliardaire nous li-
vre sa vision sur le conflit
opposant Palestiniens et Isra-
éliens : «Je souhaite une réso-
lution pacifique et diplomati-
que. Mais, depuis le sommet
de Camp David II en 2000,
Yasser Arafat et ses succes-
seurs ont repoussé les mains
tendues.» Il paraphrase
l’homme politique Abba
Eban, ministre travailliste
israélien dans les an-
nées 60-70 : «Les Palestiniens
ne manquent jamais une op-
portunité de manquer une op-
portunité.» Et de concéder fi-
nalement que la solution à
deux Etats est la bonne...
mais suivant les préconisa-
tions du récent plan conclu
entre les seuls Donald Trump
et Benyamin Nétanyahou.
La politique, à l’origine des
grands projets cyclistes de
Sylvan Adams, pourrait-elle
en être le frein? L’entrepre-
neur voudrait organiser des

plages de Tel-Aviv, les ca-
nyons entre Beer Sheva, la
station balnéaire d’Eilat au
bord de la mer Rouge... Le
Premier ministre, Benyamin
Nétanyahou, tourne dans un
clip avec Sylvan Adams et ses
coureurs, où il enfourche une
bicyclette. De son côté, l’or-
ganisateur du Giro, la société
italienne RCS, subit les re-
proches des équipes sponso-
risées par des Etats arabes,
Bahreïn et Emirats arabes
unis, qui hésitent à se rendre
en Israël, et les critiques de
plusieurs mouvements pro-
palestiniens. RCS réplique
que son choix de délocaliser
le départ ne vaut pas soutien
au régime en place et lance
un appel à la paix : com-
mencé à Jérusalem, achevé à
Rome, le Tour d’Italie est pré-
senté comme œcuménique.
Le pape est d’ailleurs invité à
suivre une étape mais il
ignore la proposition.

«INNOVATION»
Prochaine étape : le Tour
de France. En 2019, Sylvan
Adams entre en pourparlers
avec l’oligarque russe Igor
Makarov, propriétaire de la
formation Katusha, afin de
lui racheter sa licence de pre-
mière division. Un cosponsor
italien, la société viticole Vini
Fantini, s’affiche sur le
maillot. Mais le nom princi-
pal est celui de Start-Up Na-
tion. Une concurrence aux
desseins d’Emmanuel Ma-
cron? En réalité, un groupe-
ment d’investisseurs israé-
liens souhaitant promouvoir
«l’innovation» nationale.
Toutefois, Adams indique
que sa fortune personnelle
couvre l’essentiel des 14 mil-
lions d’euros de budget, four-
chette basse dans le peloton
(contre 17 millions pour
AG2R-La Mondiale et le dou-
ble pour le Team Ineos).
Première saison parmi le go-
tha et premières victoires. Le
Français Hugo Hofstetter
remporte cette semaine la
classique belge du Samyn.
Mais, surtout, l’équipe mène
à bien ses missions de diplo-
matie par le sport, prenant
part la semaine passée au
Tour des Emirats arabes unis,
un pays avec lequel Israël
n’entretient pas de relations
officielles. «Notre objectif est
de construire des ponts, de
l’amitié, du respect», rappelle
Adams, qui dit avoir déve-
loppé des rapports person-
nels avec un autre mécène
d’équipe cycliste, Nasser ben
Hamed al-Khalifa, du Team
Bahrain-McLaren, accessoi-
rement fils du souverain ré-
gnant, et par ailleurs accusé
par des ONG d’avoir participé
à la torture de plusieurs op-
posants politiques en 2011.
«Je lui ai proposé d’envoyer les
jeunes coureurs bahreïnis à
Tel-Aviv pour les former sur
notre vélodrome.» Pour l’ins-

avant de pouvoir se consacrer
pleinement au cyclisme.
L’histoire débute en 2015,
quand un coureur du nom de
Ran Margaliot, passé par
l’écurie du Danois Bjarne
Riis, inaugure sa propre
équipe en troisième division
mondiale, la Cycling Aca-
demy Team. «J’ai toujours
rêvé d’être le premier Israé-
lien à courir le Tour de France
mais, quand j’ai compris que
ce ne serait pas possible, j’ai
voulu donner à d’autres la
chance d’accomplir mon rêve,
raconte ce pionnier. Nous
nous sommes donné l’été 2020
comme horizon.» A terme,
l’équipe est censée «promou-
voir Israël » mais sans
patriotisme trop marqué,
composée de coureurs «de
toutes religions et de tous
groupes ethniques». Pour-
tant, deux ans plus tard, mal-
gré le sponsoring de Ron Ba-
ron, patron américain d’une
société de gestion de fonds,
la Cycling Academy Team est
à court d’argent et menace de
s’arrêter. Ran Margaliot de-
mande le soutien de Moshe
Lion, le maire de Jérusalem,
et lui vend un programme
cycliste global, comprenant
son équipe et l’accueil du
Tour d’Italie dans la ville
trois fois sainte. Le rêve est
relancé.
C’est le moment où Sylvan
Adams rejoint la partie. Ce
fils de rescapés de la Shoah,
originaires de Roumanie et
réfugiés au Canada, est né à
Québec en 1958. Il en garde
un français fluide. Le pater-
nel, Marcel, fait fortune dans
l’immobilier. Selon Forbes, la
famille est à la tête d’un em-
pire de 1,6 milliard de dollars.
Passionné de vélo, le fils est
titré six fois champion du Ca-
nada dans la catégorie vété-
ran. Quand, en 2016, il décide
de faire son alyah et de s’ins-
taller en Israël, il en profite
pour devenir le principal
contributeur du projet cy-
cliste de Margaliot, au côté
de la mairie de Jérusalem.
«Il s’agit d’un investisse-
ment philanthropique, je ne
compte pas revoir mon ar-
gent», assure Adams. Outre la
venue de Madonna et Messi,
le mécène finance la cons-
truction d’un vélodrome à
Tel-Aviv (18 millions d’euros),
«première infrastructure de
ce type au Moyen-Orient», se
félicite-t-il.
Adams devient aussi porte-
voix du projet. Quand le Tour
d’Italie s’élance de Jérusalem
en 2018, il déclare : «On va
contourner les médias tradi-
tionnels en s’adressant direc-
tement aux fans de sport qui
n’en ont rien à faire du conflit
[israélo-palestinien] et veu-
lent juste admirer nos beaux
paysages.» Les images télévi-
sées assurent la publicité
touristique du pays, les quar-
tiers Ouest de Jérusalem, les

Vashem [à la mémoire des
victimes de la Shoah, ndlr] ou
le mur des Lamentations»,
décrit le directeur sportif
français Lionel Marie. «Un
moment fort, qui permet de
ne pas oublier ce pan de l’his-
toire», appuie Alexis Renard,
un Français engagé comme
coureur.

«ABNÉGATION»
Clément Carisey, employé
l’an dernier mais non con-
servé, se remémore un stage
de cohésion dans un kib-
boutz au milieu du désert :
«Nous avons pu nous impré-
gner de l’atmosphère de cette
communauté autonome.»
Même satisfaction chez le
sprinteur français Rudy Bar-
bier, qui indique avoir
changé ses «a priori» sur Is-
raël et son image d’un «pays
en guerre contre le monde en-
tier» : «Ce n’est pas ce que j’ai
vu à Tel-Aviv , estime le Pi-
card. Il y a d’ailleurs plus de
soldats dans les rues de Pa-
ris.» Lionel Marie salue aussi
«l’abnégation» des coureurs
locaux, qui doivent faire
trois ans de service militaire

normal, sûr, ouvert et tolé-
rant»,
à rebours d’un traite-
ment selon lui «pas toujours
équilibré dans les médias».

Cas rarissime pour une
équipe de vélo, les coureurs
sont accueillis par les ambas-
sadeurs d’Israël dans les dif-
férents pays où ils viennent
concourir. Illustration en ce
début de saison en Colombie
ou au Rwanda. En retour,
Adams considère ses cou-
reurs comme des «ambassa-
deurs»
de leur pays d’adop-
tion. Parmi ses recrues pour
la saison 2020 figurent le
grimpeur irlandais Dan Mar-
tin, vainqueur de Liège-Bas-
togne-Liège, le sprinter alle-
mand André Greipel, onze
étapes du Tour au compteur,
et le rouleur allemand Nils
Politt, deuxième de Paris-
Roubaix l’an passé. Au total,
les 30 coureurs, dont 4 Israé-
liens, représentent 16 natio-
nalités.
Les cyclistes racontent avec
enthousiasme comment ils
ont endossé leurs nouvelles
responsabilités. «Lors de nos
stages de préparation en hi-
ver, on visite le mémorial Yad


Le milliardaire israélo-
canadien Sylvan Adams
(à d.), avec son équipe,
le 11 décembre à Tel-Aviv.
PHOTO JACK GUEZ. AFP

DES COURSES MENACÉES
L’épidémie de coronavirus risque de chambouler la
saison cycliste 2020. Les Strade Bianche, qui de-
vaient se terminer à Sienne samedi, ont été annu-
lées, l’organisateur souhaitant néanmoins reporter la
course à une date ultérieure. En Italie, Tirreno-Adria-
tico ainsi que la classique Milan-San Remo sont éga-
lement menacées, alors que plusieurs équipes ont
adopté le principe de précaution et annoncé se reti-
rer d’autres épreuves prévues en mars. Ainsi, les for-
mations Ineos, Astana ou encore Mitchelton ne s’ali-
gneront pas sur Paris-Nice, qui doit toujours
s’élancer dimanche de Plaisir (Yvelines).

En
partenariat
avec

© Radio France/Ch. Abramowitz

LES
MATINS
DU SAMEDI
7H -9H

Caroline
Broue
Avec la
chronique de
Jacky Durand
"Les
mitonnages"

L’esprit
d’ouver-
ture.

Demain

matin,

le monde

aura

changé.
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