Les Echos - 06.03.2020

(sharon) #1

Les Echos Vendredi 6 et samedi 7 mars 2020 ENTREPRISES// 17


à suivre


Il faut pour le mesurer se
pencher sur la note explicative
publiée en même temps que
l’arrêt par la Cour de cassation.
Celle-ci y insiste sur le fait que la
haute juridiction se prononce
en l’état actuel de la réglementa-
tion. « Tandis qu’un régime
intermédiaire entre le salariat et
les indépendants existe dans cer-
tains Etats européens, comme au
Royaume-Uni [ ...] ainsi qu’en Ita-
lie [...] le droit français ne connaît
que deux s tatuts, c elui d’indépen-
dant et de t ravailleur salarié. » E t
c’est dans ce cadre que s’inscrit
l’arrêt Uber.

Vers des « workers »
en France?
Et si l’Hexagone aussi décidait
de créer ses propres « wor-
kers », comme on les appelle
outre-Manche? L’hypothèse
avait un temps été envisagée
mais n’avait pas franchi l’é tape
de l’écriture du volet consacré
aux plateformes dans la loi ave-
nir professionnel, première
tentative du gouvernement de
s’emparer du dossier. Si l’ exécu-
tif apparaît divisé sur cette
piste, la Cour de cassation l’a en
tout cas clairement mise sur le
haut de la pile.
Jeudi, Muriel Pénicaud a
expliqué vouloir « inventer des
règles qui permettent la liberté et
la protection [...] tout en donnant
un cadre clair pour les platefor-
mes ». Interrogé par la Semaine
sociale Lamy en décem-
bre 2018, à la suite d’un premier
arrêt sur les travailleurs de pla-
teforme, l’arrêt Take Eat Easy, le
doyen de la chambre sociale,
Jean-Guy Huglo, l’affirmait
déjà : « Il est possible de trouver
un système qui apporte une pro-
tection à ces travailleurs des pla-
teformes sans remettre en cause
une partie de la flexibilité de cette
forme d’emploi. »
Mais évoquant notamment
« l’aspect temps de travail » ou
encore « rémunération » , il rap-
pelait aussi au législateur
« l’obligation de respecter un cer-
tain nombre de principes » ,
citant les droits sociaux fonda-
mentaux mais aussi le droit
européen, qui définit la notion
de « travailleur » – sous le con-
trôle de la Cour de justice de
l’Union européenne.n

Leïla de Comarmond
@leiladeco

La ministre du Travail s’est-elle
trop avancée en annonçant
jeudi sur Europe 1 le lancement
d’une mission sur le statut des
travailleurs des plateformes
numériques de service et des
« propositions d’ici à l’été » après
l’arrêt explosif de la Cour de cas-
sation sur Uber? Certains au
sein de l’exécutif apparaissent
moins pressés. « La jurispru-
dence de la Cour de cassation est
tombée hier, maintenant il faut
prendre le temps de l’étudier » ,
estime un des intervenants sur
le dossier, prenant l’exemple
des journalistes pigistes régu-
liers ayant droit à une requalifi-
cation en CDI qui sont rares à la
demander. Mais c’est bien ce
vers quoi s’o riente le gouverne-
ment. La mission sera diligen-
tée conjointement avec Bercy,
précise le ministère du Travail.
Et elle ne doit pas être confon-
due avec celle sur la représenta-
tion des travailleurs de plate-
forme dont est chargé l’ancien
président de la chambre sociale
de la Cour de cassation, Jean-
Yves Frouin, précise la Rue de
Grenelle.
L’arrêt rendu par la Cour de
cassation requalifiant un
chauffeur Uber en salarié a rou-
vert un dossier que le gouverne-
ment avait dû provisoirement
refermer après s’être une fois
encore fait censurer par le Con-
seil constitutionnel en décem-
bre dernier, quand il avait voulu
accorder une protection juridi-
que aux chartes sociales éditées
par les plateformes. Il est un fait
que cet arrêt ouvre la voie à de
nombreuses requalifications
de travailleurs de plateforme
qui vont devoir s’adapter. Mais i l
ne fait pas que cela. Les magis-
trats ont aussi adressé un mes-
sage au gouvernement.

SERVICES


La ministre du
Travail a annoncé
l’installation
d’une mission
sur les travailleurs
des plateformes.

Uber : débat


autour d’un


nouveau statut


pagnies aériennes depuis 2016... Il y
a seulement quinze jours, l’IATA
tablait encore s ur un impact limité à
l’Asie et un manque à gagner de
27,8 milliards de dollars, dont
12,8 milliards pour les compagnies
chinoises. Mais la propagation galo-
pante du coronavirus, désormais
présent dans plus de 80 pays, a
obligé l’association à revoir sa copie.
L’IATA envisage désormais deux
scénarios principaux.
Le premier, à 63 milliards de dol-
lars, est celui d’une pandémie qui
resterait contenue, avec une baisse
du trafic limitée à 7 % en moyenne
en Europe (10 % en France) et une
reprise rapide de la demande avant
l’été. Dans ce cas de figure, la baisse
du chiffre d’affaires du transport
aérien serait limitée à 11 % sur
l’ensemble de l’année, le plus gros de
la facture étant pour les compa-
gnies chinoises (22 milliards de dol-
lars) et celles les plus présentes sur
le marché chinois.

L’ hypothèse catastrophe
Le second scénario à 113 milliards
de dollars est basé sur l’hypothèse
d’une pandémie mondiale n’épar-
gnant aucune destination, qui se

traduirait par une baisse de 19 %
du chiffre d’affaires du secteur et
dont l’impact serait encore plus fort
sur les compagnies européennes.
Selon les prévisions de l’IATA, les
principaux marchés européens
enregistreraient alors la plus forte
baisse de trafic – estimée à 24 % sur
l’année – et une perte de recettes
évaluée à 37,3 milliards de dollars.
De quoi envoyer au tapis plus
d’une compagnie.

Maillons faibles
Et pour l’heure, c’est plutôt vers ce
second scénario que semble évo-
luer la situation. Après les annonces
du groupe Lufthansa, qui va immo-
biliser 150 avions, soit environ 20 %
de sa flotte, l’épidémie a fait sa pre-

Bruno Trévidic
@BrunoTrevidic


La facture de l’épidémie de corona-
virus augmente plus vite que le
nombre de malades. Alors que la
liste des lignes suspendues et des
vols annulés ne cesse de s’allonger,
les estimations de l’impact de la
crise sur le transport aérien conti-
nuent d’enfler. Selon la dernière
estimation de l’Association du
transport aérien international
(IATA), dont les prévisions financiè-
res font référence, la perte de chiffre
d’affaires pour les compagnies
aériennes en 2020 pourrait se situer
entre 63 et 113 milliards de dollars
selon le scénario retenu, pour un
chiffre d’affaires de 838 milliards de
dollars en 2019. C’est presque autant
que les bénéfices cumulés des com-


Se lon les dernières prévi-
sions de l’IATA, les compa-
gnies européennes seront
les plus fortement impac-
tées par une pandémie
mondiale de coronavirus.
La faillite de la britannique
Flybe pourrait être la
première d’une longue série.


un vol alternatif, elle a invité les pas-
sagers qui avaient réservé chez elle
à « ne pas se rendre à l’aéroport ».

« Importantes difficultés
de financement »
Le groupe a fait « tout son possible »
mais s’est révélé « incapable de sur-
monter d’importantes difficultés de
financement » , a déploré le direc-
teur général, Mark Anderson,
qui c herchait depuis plusieurs jours
à obtenir un prêt de l ’Etat d e
100 millions de livres, mais n’y est
pas parvenu. « L' impact du corona-
virus sur l’activité de Flybe fait que le
consortium [Connect Airways, son
propriétaire] ne peut plus s ’engager à
poursuivre son soutien financier » , a
précisé un porte-parole de Virgin
Atlantic, l’un des investisseurs réu-
nis au sein de ce consortium, aux
côtés des fonds Stobart et Cyrus.
La mise en redressement judi-
ciaire de Flybe est un coup dur
pour le gouvernement conserva-
teur de Boris Johnson, qui a fait une
priorité du désenclavement du cen-
tre et du nord de l’Angleterre. Non
seulement elle emploie plus de
2.000 personnes et transporte envi-
ron 8 millions de passagers par an
vers 170 destinations européennes.

Alexandre Counis
@alexandrecounis
—Correspondant à Londres


Le coronavirus a fait une première
victime chez les c ompagnies
aériennes. La compagnie régionale
britannique Flybe, qui n’avait dû sa
survie qu’à un coup de pouce de ses
actionnaires et du gouvernement
en janvier, manquait déjà cruelle-
ment de liquidités. L’épidémie de
Covid-19, qui a fait brutalement
chuter le trafic aérien dans le
monde, lui a porté le coup de grâce,
la poussant jeudi à se déclarer en
faillite.
« Tous les avions sont cloués au sol
et l’activité au Royaume-Uni a cessé
avec effet immédiat »
, a indiqué jeudi
matin celle qui fut la plus grande
compagnie régionale européenne.
Se disant incapable de leur trouver


L’épidémie a précipité
la faillite, jeudi,
de la compagnie aérienne
régionale britannique, déjà
depuis plusieurs semaines
à court de liquidités. C’est
la première compagnie
à mettre la clé sous la porte
à cause du virus.


mière victime dans les compagnies
aériennes, avec l’arrêt b rutal de tous
les vols de la compagnie régionale
britannique Flybe (lire ci-dessous).
Cependant, Flybe n’était pas la
seule compagnie aérienne euro-
péenne en difficulté. Alitalia, et
dans une moindre mesure Norwe-
gian, sont également dans le rouge
et ne doivent leur survie qu’au sou-
tien de leurs bailleurs de fonds :
l’Etat italien pour l’un et la banque
néopublique norvégienne DNB
pour l’autre. Ailleurs dans l e
monde, c’est également le cas d’Air
India, Malaysia Airlines, South Afri-
can Airways, Kenya Airways, Thai
et Etihad, pour ne parler que des
plus connues, qui doivent toutes
leur survie à la générosité de leur
gouvernement.
Ce qui faisait dire récemment à
Benjamin Smith, le patron d’Air
France-KLM, que la crise du coro-
navirus pourrait bien accélérer la
consolidation du transport aérien.
Mais en l’état actuel des choses, Air
France-KLM ne serait pas le mieux
placé pour en profiter : en recul de
11,3 %, son cours de Bourse était
encore la plus forte baisse de la
Bourse de Paris, jeudi.n

Le coronavirus pourrait coûter plus


de 100 milliards aux compagnies aériennes


tish Airways, qui avait annoncé
déposer plainte auprès des instan-
ces européennes de la concurrence.

Contexte incertain
Cette fois-ci, c’est le syndicat Unite,
qui reproche au gouvernement non
pas son intervention, mais sa passi-
vité. Pour lui, « l’économie britanni-
que dépend fortement d’une compa-
gnie aérienne régionale viable ». Ne
pas intervenir p our sauver Flybe est
donc « irresponsable » , « tout parti-
culièrement alors que le pays est con-
fronté aux incertitudes du virus
Covid-19 et aux changements appor-
tés par le Brexit ». Il accuse le gou-
vernement de ne pas avoir « tiré les
leçons » des faillites retentissantes
du voyagiste Thomas Cook l’an der-
nier et de la compagnie aérienne
Monarch en 2017.
Le gouvernement britannique a
promis d’é tudier la possibilité de
rétablir des dessertes qui ne sont
pas assurées par d’autres compa-
gnies aériennes. Dans l’immédiat, il
a aussi demandé aux opérateurs de
bus et de trains d’accepter les billets
Flybe, et aux autres compagnies
aériennes de proposer des tarifs
réduits pour permettre aux passa-
gers de voyager.n

Flybe, première victime de l’épidémie


La compagnie régionale britannique Flybe représentait près de 40 % des vols intérieurs au Royaume-Uni. P hoto Press Eye Ltd/REX/Sipa



  • 19 %


LA BAISSE DU CHIFFRE
D’AFFAIRES DU SECTEUR
selon le second scénario
de l’IATA basé sur l’hypothèse
d’une pandémie mondiale
n’épargnant aucune destination.

Mais il s’agit du principal transpor-
teur sur des aéroports régionaux,
comme Aberdeen, Manchester,
Southampton ou encore Belfast


  • où elle assurait 81 % des vols. Elle
    représentait près de 40 % des vols
    intérieurs au Royaume-Uni.


La compagnie avait échappé plu-
sieurs fois à la faillite sur la dernière
année. Connect Airways l’avait déjà
sauvée de la banqueroute en la
rachetant il y a un an. Avant que le
gouvernement n’intervienne à son
chevet en janvier, en lui permettant
de reporter le paiement de la taxe
britannique sur les billets d’avion
tandis que Connect Airways pro-
mettait de réinvestir 30 millions de
livres. Un sauvetage v ertement criti-
qué par IAG, maison mère de Bri-

C’est un coup dur
pour le
gouvernement
de Boris Johnson,
qui a fait une priorité
du désenclavement
du centre et du nord
de l’Angleterre.

Doctolib met son service de
téléconsultation à disposition

SANTÉ Le leader français de la prise de rendez-vous médicaux,
Doctolib, a annoncé jeudi mettre « à disposition gratuitement »
son service de téléconsultation « pour tous les médecins » pen-
dant la durée de l’épidémie de coronavirus. La société indique
avoir reçu ces derniers jours « des centaines de demandes de
médecins pour commencer à utiliser la consultation vidéo » , mais
aussi des « syndicats de médecins libéraux pour en développer
l’usage en réponse à la progression du virus ». Elle offre donc « à
tous les médecins de France d’utiliser la consultation vidéo gratui-
tement » , y compris les 3.500 praticiens déjà abonnés à son ser-
vice. Doctolib revendique par ailleurs 115.000 professionnels et
2.500 établissements de santé clients.

Les prévisions d’Hugo Boss plombées
par la crise du coronavirus en Chine

MODE Le groupe de prêt-à-porter allemand Hugo Boss s’attend
à ce que l’épidémie de coronavirus ait un « impact significatif »
sur ses résultats 2020, alors que la « moitié » de ses points de
vente sont fermés en Chine, a annoncé l’entreprise jeudi. Le
groupe s’attend pour le moment à une croissance de son chiffre
d’affaires « entre 0 % et 2 % » pour 2020, qui sera notamment
plombé par un « repli d’un certain niveau » pour la région Asie-
Pacifique. En cause : la « fermeture de la moitié de ses près de 150
points de vente » depuis « fin janvier » en « Chine, à Hong-Kong et
à Macau ». Les points de vente n’ayant pas été fermés ont des
« horaires d’ouverture particulièrement restreints » , entraînant
« une baisse importante de leur fréquentation ».
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