Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1

10 |planète MERCREDI 4 MARS 2020


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Alerte sur la croissance mondiale


Pour 2020, l’OCDE prévoit une hausse du PIB de 2,4 % au lieu de 2,9 %, son niveau le plus bas depuis la crise de 2008


L

e décrochage risque d’être
brutal. L’épidémie de Co­
vid­19 pourrait faire chu­
ter la croissance mon­
diale à 2,4 % en 2020, son niveau le
plus bas depuis les crises financiè­
res de 2008­2009, contre 2,9 %
en 2019, a averti, lundi 2 mars, l’Or­
ganisation de coopération et de
développement économiques
(OCDE). Elle appelle les pays à
coordonner leurs actions et à sou­
tenir l’activité. Si le coronavirus se
propageait en Asie­Pacifique, en
Europe et aux Etats­Unis, la
hausse du produit intérieur brut
(PIB) mondial pourrait même
tomber jusqu’à 1,5 % en 2020.
L’OCDE note que, « par rapport à
la situation qui prévalait lors d’épi­
sodes comparables, comme celui
du SRAS [syndrome respiratoire
aigu sévère] en 2003, les interdé­
pendances dans l’économie mon­
diale sont désormais bien plus
grandes qu’elles ne l’étaient, et la
Chine joue aujourd’hui un rôle
bien plus important ».
Les mesures de quarantaine ont
provoqué dans la deuxième puis­
sance économique mondiale des
ruptures de chaînes d’approvi­

sionnement et elles ont freiné la
consommation intérieure de
biens et de services. L’OCDE table
sur une croissance chinoise à
4,9 % en 2020, contre 6,1 %
en 2019, et elle envisage une ré­
cession au premier trimestre. En
dépit d’un ralentissement de la
progression de l’épidémie dans le
pays, la reprise est bien plus lente
que prévu.
La publication, samedi 29 fé­
vrier, de l’indice PMI officiel me­
surant la production manufactu­
rière en Chine donne une idée de

l’ampleur du choc économique. Il
a chuté à 35,7 au mois de février,
contre 50 en janvier, bien en deçà
des attentes. « En dévoilant des
chiffres plus mauvais que prévu, le
gouvernement prépare aussi les
esprits au plan de relance qui ris­
que d’alourdir la dette », estime
Alicia Garcia Herrero, chef écono­
miste de Natixis pour la région
Asie­Pacifique.
Le risque d’un ralentissement
de l’économie mondiale s’est ac­
cru avec la propagation de l’épidé­
mie en Asie et en Europe, notam­

ment en Corée du Sud et en Italie,
où le seuil des 50 morts a été fran­
chi. « L’hypothèse d’un rebond ra­
pide en forme de V s’éloigne. La re­
prise mondiale sera progressive et
ne se consolidera pas avant le se­
cond semestre 2020 », prédit
Hervé Goulletquer, directeur ad­
joint de la recherche à La Banque
postale Asset Management.

Sauver la zone euro
L’Europe, qui était jusque­là affec­
tée par une baisse de la demande
en Chine et fragilisée par des ris­
ques de ruptures d’approvision­
nement, pourrait à son tour voir
sa demande chuter si les mesures
de confinement et les fermetures
d’usine devaient se multiplier.
L’OCDE prévoit que la croissance
dans la zone euro « demeure en
deçà de la normale et avoisine 1 %
par en moyenne sur 2020­2021 ».
« L’Union européenne [UE] est
prête à utiliser tous les outils à sa
disposition pour protéger la crois­
sance » des effets du Covid­19, a af­
firmé, lundi à Bruxelles, le com­
missaire à l’économie, l’Italien Pa­
olo Gentiloni. Difficile de ne pas
penser à la déclaration du

26 juillet 2012 de son concitoyen
Mario Draghi, quand il était prési­
dent de la Banque centrale euro­
péenne. Ce jour­là, il avait su ras­
surer les marchés, en promettant
que l’institution monétaire ferait
« tout ce qui est nécessaire » pour
sauver la zone euro, qui se trou­
vait alors menacée par la crise de
la dette souveraine.
Faut­il en déduire que, pour Pao­
lo Gentiloni, l’heure est aussi
grave qu’il y a huit ans, lorsque la
Grèce avait failli emporter dans sa
chute l’union monétaire? « J’es­
père que nous n’en sommes pas
là », a précisé l’ex­président du
conseil italien. Tout en jugeant
raisonnables les dernières prévi­
sions de l’OCDE, il a expliqué

qu’« il [était] encore trop tôt pour
évaluer les conséquences écono­
miques » du Covid­19. Avant de
poursuivre : « Cela ne veut pas dire
qu’il faille les minimiser. Il est
temps d’agir. »
Mercredi 4 mars, les ministres
des finances de la zone euro tien­
dront une conférence téléphoni­
que pour analyser la situation,
évoquer ce qui est fait au niveau
des Etats membres et discuter des
mesures d’urgence à prendre. Ils
commenceront aussi à préparer
l’Eurogroupe du 16 mars, a précisé
Paolo Gentiloni, qui appelle à une
« réponse budgétaire coordon­
née » face au ralentissement éco­
nomique qui s’annonce.
« C’est le moment de la solidarité,
de l’action », a­t­il insisté. Les pays
qui engageraient des dépenses
liées à la lutte contre l’épidémie
pourraient ainsi bénéficier des
flexibilités offertes par le pacte de
stabilité, a indiqué la Commission
lundi, qui n’a pas encore reçu de
demandes en ce sens. L’Italie, qui
a annoncé un plan de soutien à
l’économie de 3,6 milliards
d’euros pour faire face aux consé­
quences du virus, et dont la dette
représente 135 % de son PIB, n’a
pas caché qu’elle comptait sur
cette bienveillance.
L’OCDE suggère plusieurs mesu­
res ciblées pour venir en aide à
ceux qui subissent une perte de
revenus causée par l’épidémie,
comme les travailleurs placés en
congé sans solde, qui pourraient
bénéficier de l’assurance­chô­
mage. Elle propose aussi d’aider
les entreprises à surmonter leurs
problèmes de trésorerie en repor­
tant le paiement des impôts ou le
remboursement de leurs dettes,
et en injectant des liquidités dans
le système financier pour éviter
les faillites. « On a la chance
d’avoir testé ces mesures il y a dix
ans pendant la crise financière,
donc on peut aller plus vite
aujourd’hui », insiste Laurence
Boone, la chef économiste de
l’OCDE. La crise de 2008 demeure
dans tous les esprits.
julien bouissou
et virginie malingre
(bruxelles, bureau européen)

L’EUROPE POURRAIT VOIR 


SA DEMANDE CHUTER 


SI LES MESURES 


DE CONFINEMENT ET LES 


FERMETURES D’USINE 


DEVAIENT SE MULTIPLIER


2,

3

2019 2020 2021 2019 2020 2021 2019 2020 2021

2

4

4,

1

1,

Monde

en novembre 2019 en mars 2020

Economies
avancées du G

Economies
émergentes du G

Prévisions de croissance du PIB, en %

Infographie : Le Monde Source : OCDE

Les banques centrales, rempart temporaire, mais insuffisant


Les investisseurs pensent que ces institutions ne laisseront pas une crise financière aggraver la situation économique mondiale


londres et new york ­
correspondants

E


lles étaient intervenues
massivement après le
11 septembre 2001. Elles
ont placé sous perfusion le sys­
tème financier mondial après la
faillite de Lehman Brothers en
septembre 2008. De nouveau, les
banques centrales sont appelées à
la rescousse, alors que l’économie
mondiale est menacée de syn­
cope en raison de l’épidémie due
au coronavirus. Lundi 2 mars, les
marchés financiers américains
ont fortement rebondi, après une
semaine de glissade – l’indice
Dow Jones a gagné 5 % après avoir
perdu 13 % la semaine précédente,
tandis que Paris ouvrait, mardi,
en forte hausse de 1,4 %. Explica­
tion, les opérateurs sont désor­
mais persuadés que les banques
centrales vont agir.
Le signal avait été lancé dès
vendredi 28 février par la Réserve
fédérale américaine (Fed), suivie
lundi de la Banque du Japon et la
Banque d’Angleterre, qui ont pu­

blié des communiqués les disant
prêtes à intervenir. La Banque
centrale européenne (BCE), pré­
sidée par Christine Lagarde, a été
bonne dernière à réagir, dans la
soirée : « Nous sommes prêts à
prendre des mesures appropriées
et ciblées, selon la nécessité, et
proportionnelles aux risques
sous­jacents. » La banque centrale
d’Australie a aussi baissé ses taux
mardi d’un quart de point, à 0,5 %.
Ces déclarations ont donné le
sentiment que les banquiers cen­
traux ne laisseraient pas une crise
financière aggraver la situation
économique et humaine sur le
terrain. L’annonce d’une réunion
téléphonique avec les ministres
des finances du G7, prévue mardi
matin, laisse entendre qu’une
synchronisation avec les gouver­
nements permettrait de trouver
des stimuli budgétaires et moné­
taires adéquats. Bruno Le Maire,
le ministre français de l’écono­
mie, a évoqué une « coordina­
tion ». L’ancien directeur général
de la Banque des règlements
internationaux (BRI), le Français

Hervé Hannoun, dénonce sur
Twitter une nouvelle capitulation
face aux marchés : « Alors que
les peuples attendent une réponse
au virus, l’annonce d’une réunion
du G7 vise surtout à regonfler
les indices boursiers par la spécu­
lation sur un énième stimulus mo­
nétaire, qui ne ferait qu’accroître
les inégalités. »

Fournir des liquidités
Les banques centrales ont effecti­
vement un impact psychologique
majeur sur les marchés. Mais la
simple arme des taux d’intérêt est
quasi inutile. L’argent est déjà peu
cher – les taux directeurs de la Fed
sont compris entre 1,5 % et 1,75 %
tandis que ceux de la BCE sont né­
gatifs de 0,5 point. La marge de
manœuvre est sans commune
mesure avec celle qui prévalait
lors de la grande crise financière
quand les taux américains étaient
de 5 %. A New York, les opérateurs
parient néanmoins sur une
baisse du loyer de l’argent dès
le mois de mars. En Europe, la si­
tuation est plus compliquée, la

Bundesbank étant contre une
diminution des taux. La réu­
nion du 12 mars sera particulière­
ment observée.
Mais ce n’est pas sur ce point
que les banques centrales sont
réellement attendues. Leur rôle
est d’empêcher avant tout l’as­
phyxie des établissements fi­
nanciers, en fournissant les liqui­
dités nécessaires. Pour l’instant,
seule la Banque du Japon est
passée à l’acte, annonçant qu’elle
leur accorderait 500 milliards
de yens (4,2 milliards d’euros) de
capitaux à court terme et qu’elle
interviendrait sur les marchés.
Son gouverneur Haruhiko Ku­
roda s’est engagé à octroyer
« d’amples liquidités ».
Les autres pays n’en sont qu’aux
promesses. « Nous utiliserons nos
outils et agirons comme néces­
saire pour soutenir l’économie », a
assuré le président de la Fed
Jerome Powell. La Banque d’Angle­
terre affirme de son côté « tra­
vailler avec le Trésor britannique
et la Financial Conduct Authority
[le régulateur financier] – ainsi

qu’avec nos partenaires inter­
nationaux – pour nous assurer que
les mesures nécessaires sont prises
pour protéger la stabilité finan­
cière et monétaire ».
Certes, mais le vrai souci n’est
pas là : il s’agit de pallier les diffi­
cultés des entreprises industriel­
les ou de services, qu’elles soient
privées de fournisseurs chinois
(Apple, Microsoft...), de clients
comme les activités touristiques,
ou d’ouvriers si les usines sont
fermées. Il convient de les aider
à passer le cap. L’action des ban­
ques centrales ne peut être
qu’indirecte (financer les établis­
sements qui prêteront aux entre­
prises). Et encore, ce mécanisme
fonctionne pour les économies
soutenues par les banques
comme la zone euro, pas celles
financées par les marchés
comme les Etats­Unis.
Sur ce point, les gouvernements
sont invités à agir. Pour organiser
le sauvetage des entreprises – ce
que fit l’administration Obama
pour sauver General Motors en


  1. Pour soutenir la consom­


mation de salariés en chômage
technique, ce qui implique d’utili­
ser de manière ciblée l’arme bud­
gétaire – Hongkong le fait avec
des aides directes aux citoyens et
aux entreprises tandis que l’Italie
a annoncé avoir augmenté ses
dépenses de 0,2 % de son produit
intérieur brut. C’est ce qu’a expli­
qué Luis De Guindos, le vice­pré­
sident de la BCE : « La principale
ligne de réponse doit être budgé­
taire. Quand vous avez un pro­
blème, il ne faut pas toujours
regarder vers les banques cen­
trales. Nous ne sommes pas tou­
tes­puissantes. »
Il n’empêche, dubitatifs sur
l’action des gouvernements, les
analystes en appellent aux
banquiers centraux. « Bien sûr, s’il
n’y a pas en parallèle un soutien
des gouvernements et des régu­
lateurs, l’action des banques cen­
trales sera insuffisante, mais ce
n’est pas une raison pour ne pas
le faire », estime Frederik Ducro­
zet, du groupe bancaire Pictet.
éric albert
et arnaud leparmentier

la france n’est pas épargnée par les
répercussions de l’épidémie mondiale
de Covid­19. Le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire, a réaffirmé, lundi
2 mars, sur France 2, s’attendre à un im­
pact sur la croissance 2020 « beaucoup
plus significatif » que ce qu’il prévoyait
initialement, à savoir 0,1 point de PIB en
moins par rapport à une prévision de
1,3 % avant l’apparition du coronavirus.
Cette première estimation avait été réa­
lisée « sur la base d’une épidémie limitée
à la Chine », avait précisé le locataire de
Bercy, vendredi 28 février. Il s’est toute­
fois refusé, pour le moment, à toute
nouvelle estimation plus précise.
L’OCDE s’est montrée plus alarmiste :
la croissance française pourrait passer
sous la barre des 1 % cette année, à 0,9 %
en 2020, a précisé l’organisation, lundi.
C’est 0,3 point de moins que sa dernière
prévision de fin novembre 2019. Le gou­
vernement, qui espérait contenir le ra­

lentissement de l’économie française
cette année et poursuivre la baisse du
déficit public, pourrait en être pour ses
frais, alors que la croissance a déjà ac­
cusé un recul inattendu de 0,1 point au
dernier trimestre 2019. De quoi laisser
craindre une récession (techniquement,
deux trimestres consécutifs de baisse du
PIB) si la crise s’amplifiait?

« Baisse des importations »
« C’est toujours délicat d’évaluer un im­
pact précis tant qu’on ne connaît pas
l’ampleur de l’épidémie », indique Emma­
nuel Jessua, directeur des études de l’ins­
titut d’études économiques Rexecode.
Outre le tourisme, « les secteurs du textile
et de l’électronique sont les plus exposés à
la baisse des importations de biens venus
de Chine », note­t­il.
La forte diminution des bénéfices que
les groupes français rapatrient de Chine
devrait aussi peser sur l’économie trico­

lore, de même que, dans une moindre
mesure, les exportations vers la Chine.
En revanche, la chute des cours du pé­
trole aura un impact positif à même de
contrebalancer en partie ces effets. « Les
canaux de diffusion sont bien identifiés,
mais leur quantification et l’ampleur du
choc initial restent difficiles à estimer »,
résume M. Jessua.
De son côté, le gouverneur de la Ban­
que de France, François Villeroy de Gal­
hau, a prévenu lundi que « le coronavi­
rus, [c’était] d’abord un effet sur l’offre,
c’est­à­dire sur la capacité de production
de la Chine et des entreprises. (...) Plus cet
effet sur l’offre se prolonge, plus ça de­
vient aussi un effet sur la demande, c’est­
à­dire du côté de la consommation. » Et
d’ajouter : « Aujourd’hui, du côté de la de­
mande, c’est limité à certains secteurs où
l’effet est très sensible, comme le tou­
risme. Ce n’est pas encore un freinage gé­
néral de la consommation », a­t­il souli­

gné. La semaine dernière, M. Villeroy de
Galhau avait cependant indiqué que
l’institut d’émission allait certainement
abaisser « légèrement », fin mars, sa pré­
vision de croissance pour 2020, atten­
due jusqu’ici à 1,1 %.
En tout état de cause, Bercy ne devrait
pas publier de nouvelle prévision de
croissance avant avril et l’envoi du tradi­
tionnel « programme de stabilité » (tra­
jectoire budgétaire et macro actualisée) à
la Commission européenne. « On va faire
des évaluations. Le Trésor s’y met. Mais si
demain il n’y a plus aucun cas [de corona­
virus] en France, ou s’il y en a 2 000, ce ne
sera pas pareil », plaide­t­on dans l’entou­
rage du ministre. Une réunion télépho­
nique avec les ministres des finances du
G7 était prévue mardi 3 mars, et une
autre avec ceux de l’Eurogroupe le lende­
main. M. Le Maire devait aussi recevoir
les chefs d’entreprise à Bercy, mardi.
audrey tonnelier

L’épidémie fait craindre une récession en France


É P I D É M I E D E C O V I D ­ 1 9

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