Le Monde - 04.03.2020

(Brent) #1
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MERCREDI 4 MARS 2020 planète | 7

A Auray, le virus « est


sur notre paillasson »


Douze malades ont été testés positivement dans


trois communes du Morbihan. Tout rassemblement


public est interdit durant quatorze jours


REPORTAGE


I

l fallait être un couche­tard,
ou un insomniaque. A 57 ans,
Jean­Louis Macé n’a jamais
été ni l’un ni l’autre. Comme
tous les lundis matins, le réveil de
ce maraîcher a sonné à 5 h 15 pour
aller s’installer sur la place des
Quatre­Vents, à Auray (Morbi­
han). Comment aurait­il pu
se douter qu’à 23 h 45, dimanche
1 er mars, un arrêté préfectoral avait
interdit durant quatorze jours tout
rassemblement public dans la
commune de 13 000 habitants,
ainsi que dans les villes voisines de
Crac’h et de Carnac?
En une nuit, les trois bourgades
bretonnes se sont découvertes
officiellement troisième foyer de
propagation du virus SARS­CoV­
en France, avec douze malades
testés positivement en une seule
journée.
« On a du mal à y croire. Hier, ça
nous paraissait loin et exotique, et
aujourd’ hui, c’est sur notre
paillasson », reconnaît Jean­Louis
Macé en tendant à une cliente
une botte de radis. Comme ses

voisins commerçants, l’agricul­
teur n’a rien changé à ses habitu­
des hebdomadaires – personne
ne l’en a empêché à l’aube. « C’est
vrai qu’on a encore beaucoup de
mal à savoir ce qui est autorisé ou
non », reconnaît un policier mu­
nicipal qui fait le pied de grue face
à la mairie en contemplant la
foule d’acheteurs qui se saluent et
s’embrassent comme à l’accoutu­
mée. « Ça va être compliqué de
bousculer les habitudes de ce petit
monde », sourit­il.
Les dix­sept établissements
scolaires du secteur, eux, ont stric­
tement appliqué la consigne de
fermeture qui court jusqu’au
14 mars. Prévenus dans la nuit par
mail ou SMS, la grande majorité
des parents d’élèves ne se sont pas
présentés devant les écoles.
« Avant, il y avait le bouche­à­
oreille. Maintenant, c’est la boucle
WhatsApp qui fait le job, reconnaît
Judith Josse, mère de deux enfants
scolarisés à Auray. Au réveil, j’avais
soixante­quatorze notifications, et
j’ai compris qu’il allait falloir faire
jouer le système D. » A 8 h 15, les
deux rejetons de cette aide ména­

gère étaient déposés chez les
grands­parents, à une quinzaine
de kilomètres de la zone concer­
née par la mesure. « Ils vont y res­
ter au moins deux jours, le temps
que je voie avec mon travail com­
ment je peux m’organiser », expli­
que la mère de famille, inquiète
pour ceux qui « n’ont pas autant de
solutions ».
Devant la grille du lycée Benja­
min­Franklin, à 8 h 45, le proviseur
Didier Ménager renvoyait tout de

même chez eux quelques adoles­
cents venus « vérifier par curio­
sité ». Les yeux brillants, eux qui
devaient faire leur rentrée scolaire
n’en revenaient pas de rempiler
pour quinze jours de vacances
supplémentaires. « C’est ouf, pour
une fois qu’on a de la chance de
vivre à Auray! », s’enthousiasme
un jeune homme, vite douché par
ses camarades : « Oublie pas que
tout va être fermé quand même, on
va peut­être se faire chier. »

Amertume
Jusqu’où va s’appliquer la mesure
de prévention? Toute la journée, la
ville a bruissé des dernières infor­
mations, données au compte­
gouttes par la préfecture du Mor­
bihan, dont le site Internet a été
rendu inaccessible toute la jour­
née en raison d’un trop grand
nombre de connexions.
Fermés, les cinémas, piscines,
clubs de sport, agences Pôle em­
ploi ou encore salles associatives.
Confinés, la maison de retraite et
le foyer pour personnes âgées. An­
nulés, le festival de théâtre, les réu­

nions électorales, les rencontres
sportives et les offices religieux.
« Il n’y aura plus de marché non
plus », lance à 11 h 30 devant le
stand du volailler un adolescent,
écouteurs enfoncés dans les
oreilles pour entendre en direct le
point presse d’urgence donné à
Vannes, à vingt kilomètres de là.
« Il dit aussi que la vie continue,
qu’il faut pas paniquer », lance le
garçon. « Bah, il est bien gentil lui,
mais si on crève pas du coronavi­
rus, on crèvera de faillite », s’agace
le boucher, qui annonce déjà « qu’il
sera là la semaine prochaine, coûte
que coûte ».
L’amertume est d’autant plus
forte que les supermarchés, consi­
dérés comme « des lieux de pas­

sage », pourront rester ouverts.
Déjà, lundi après­midi, les deux
zones commerciales de la ville
faisaient le plein, notamment
dans les drives.
« On préfère envoyer les gens
dans des endroits confinés où tout
le monde touche la nourriture, ce
n’est pas très cohérent, tout ça »,
ose un médecin de la ville, inondé
d’appels toute la journée. Lui a
conseillé de surveiller sa tempéra­
ture, renvoyé vers le 15, et orienté
un patient vers le centre hospita­
lier de Vannes, où les tests sont
réalisés. « L’ARS [agence régionale
de santé] nous a promis des mas­
ques chirurgicaux sous peu, mais
on sent que c’est poussif, et qu’on va
devoir improviser la réponse sani­
taire au pied levé. »
A deux kilomètres de là, le gui­
chetier de la SNCF peine lui aussi à
cacher son étonnement. « Tout le
monde peut monter à bord des
trains qui vont vers Quimper et Pa­
ris. C’est pas très logique, mais c’est
la consigne. En tout cas, jusqu’à la
prochaine consigne. »
charlotte chabas

malgré la fin des vacances
d’hiver, certains élèves de la
zone B du calendrier scolaire
n’avaient pas repris le chemin de
l’école, lundi 2 mars. Quelque
27 000 élèves sont confinés pour
quatorze jours dans l’Oise, et
5 700 dans le Morbihan, où des
mesures strictes ont été prises
pour enrayer la propagation du
virus SARS­CoV­2.
Les enseignants des 124 écoles,
collèges et lycées concernés doi­
vent assurer la « continuité péda­
gogique », « une règle », affirme le
ministère de l’éducation natio­
nale, lorsque les élèves sont « em­
pêchés » de se rendre en classe.
Pour les y aider, une plate­forme
d’enseignement à distance est
accessible dans l’académie
d’Amiens, dans laquelle se trouve
le département de l’Oise, et devait
l’être le 3 mars dans le Morbihan.
Les familles et les enseignants re­
cevront un lien, envoyé par le
chef d’établissement, pour créer
leur compte et accéder aux conte­
nus. Les enfants du troisième
cluster, la Haute­Savoie, dépen­
dent de la zone A et sont toujours
en vacances. Ils en bénéficieront
à leur retour de congés, le 9 mars.

Fracture numérique
Cette plate­forme, baptisée « Ma
classe à la maison », est adminis­
trée par le Centre national de l’en­
seignement à distance (CNED).
Elle contient, en tout, quatre se­
maines de cours et d’exercices, de
la grande section de maternelle à
la terminale, à raison de trois ou
quatre heures d’activités par élève
et par jour. Un dispositif de « classe
virtuelle » doit en outre permettre
de « maintenir un lien » entre l’en­
seignant et sa classe. Les profes­
seurs et leurs élèves se connectent
ensemble – à une heure prédéfi­
nie – pour des exercices dirigés.
« Ma classe à la maison » peut
supporter jusqu’à 6 millions de
connexions simultanées.
L’éducation nationale précise
que ces ressources sont des « com­

pléments » des cours envoyés par
les enseignants. La « classe vir­
tuelle », notamment, « n’a pas vo­
cation à durer toute la journée, car
il n’est pas souhaitable de passer six
heures devant un écran », précise le
directeur général de l’enseigne­
ment scolaire (DGESCO), Edouard
Geffray. Dans le second degré, où
les élèves ont l’habitude d’utiliser
des « espaces numériques de tra­
vail » comme le logiciel Pronote, il
y a fort à parier que les ensei­
gnants choisiront d’abord ce canal
pour faire suivre les cours. « Il est
plus intéressant que les élèves
travaillent sur nos propres
contenus, juge Olivier Tomaszc­
zyk, professeur de français dans
un collège fermé de Lacroix­Saint­
Ouen (Oise). Le CNED, on verra
plus tard, en fonction de comment
les choses évoluent. »
« Ma classe à la maison », acces­
sible sur téléphone, tablette et or­
dinateur, nécessite « seulement »
un accès à Internet et une adresse
mail. Le ministère assure que la
plate­forme satisfait les équipes
des établissements français de
Chine, qui l’expérimentent de­
puis plusieurs semaines. Mais ici,
dans certaines écoles, elle pose
déjà question. « La fracture numé­
rique est bien réelle dans une ville
comme la nôtre, où tout le monde
n’a pas Internet chez soi », assure
Xavier Bulliard, directeur d’école
à Creil (Oise), qui envisage déjà
« d’assurer une permanence »,
jeudi matin, « pour que les fa­
milles puissent venir récupérer des
exercices sur papier ».
Dans les rangs syndicaux, on
s’inquiète également des usages
concrets, « dans les familles où il y
a plusieurs enfants, où les parents
parlent mal français, où il n’y a
pas vraiment d’équipement nu­
mérique... », énumère le secré­
taire départemental du SNUipp
de l’Oise, Pierre Ripart. « Ma
classe à la maison » sera confron­
tée à l’épreuve du réel dans les
jours qui viennent.
violaine morin

Des « classes virtuelles »


en relais des écoles fermées


▶▶▶


« ON A ENCORE BEAUCOUP 


DE MAL À SAVOIR CE QUI 


EST AUTORISÉ OU NON », 


RECONNAÎT UN POLICIER 


MUNICIPAL


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APL :


CHRONIQUE D’UNECASSE PROGRAMMÉE?


La Fédération nationale des Offices Publics del’Habitat est signataire duPacte du pouvoir de vivre.

ACTE 2 – Commentfaire payer aux ménages HLM la baisse deleur APL?


Marcel ROGEMONT,
Président de la Fédération
nationale des Offices Publics
de l’Habitat.

Au moment où


l’Union Européenne


appelleles États


membres àfi nancer


la construction de


logements sociaux,


la France supprime


les aides à la pierre


et demande aux


locataires defi nancer


leurs APL.


Après la baisse des APL de 5€/mois,le gouvernement décide d’aller encore
plusloin en 2018, 2019 et 2020.

Après un simulacre deconcertation, une baisse brutale des APL est décidée
par l’exécutif, charge aux HLM de baisserles loyers: 820 millions d’euros en 2018,
950 millions en 2019 et désormais 1,3 milliard par an de baisse d’APL. Au final,
ce sontles locataires qui en pâtissent :les organismesvoient leurs recettes baisser
et coupent dansleurs dépenses d’entretien, derénovation, deconstruction...
Bilan del’opération pourl’État : plus de 3 milliards d’économies budgétaires
aux dépens de nosconcitoyens auxrevenus très modestes.

La Fédération nationale des Offices Publics del’Habitat demandel’abandon de
cette mesure qui pénalise durablement à lafois les ménages etles investissements
des organismes HLM. Elle demande égalementl’actualisation annuelle des barèmes
APL gelés en 2018 et quasi-gelés en 2019 et 2020.

APL : chronique d’unecasse programmée? La suite, demain.

ACTE 2


http://www.foph.fr


  • 229Offices Publics de l’Habitat adhérents

    • 2,4 millionsde logements sociaux

    • Près de5 millions de locataires




LA FÉDÉRATION DES OPH C’EST :
Free download pdf