12 |france SAMEDI 22 FÉVRIER 2020
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REPORTAGE
F
ixe! » Quand Michel Fel
kay entre dans la pièce,
quarante hommes et
quelques femmes se met
tent d’un coup au gardeàvous.
Uniforme bleu avec l’inscription
« Sécurité Mairie de Paris » dans le
dos pour les agents, pull blanc
rayé d’une bande bleue pour les
gradés. Pas un bruit dans la salle.
Ancien commissaire, le patron du
service de prévention et de sécu
rité de la Ville sait se faire respec
ter. Son briefing tient en quelques
mots : « L’opération de cet après
midi vise les vendeurs à la sauvette
de Châteaud’Eau à la gare de l’Est.
On remonte tout le boulevard. Vous
êtes la force. On compte sur vous.
En voiture! »
A Paris, la police municipale
n’existe pas encore officiellement.
C’est même l’un des sujets de fric
tion de la campagne électorale. La
droite en réclame une et veut l’ar
mer, de même qu’Agnès Buzyn (La
République en marche), qui y a
consacré une de ses premières in
terventions publiques, jeudi 20 fé
vrier. Les communistes, les écolo
gistes et La France insoumise (LFI)
la rejettent par principe. Entre les
deux, la maire socialiste Anne Hi
dalgo promet de la créer, mais sans
arme létale. « C’est un outil pour
apaiser nos quartiers », atelle ré
pété, jeudi, lors d’une conférence
de presse en présence de l’ancien
ministre de l’intérieur et premier
ministre Bernard Cazeneuve.
En pratique, cependant, la capi
tale compte déjà 3 185 agents char
gés de veiller d’une façon ou d’une
autre à la sécurité des Parisiens.
Une « police municipale en deve
nir » que Michel Felkay est chargé
de préparer au mieux à ses futures
missions. Notamment en mon
trant les muscles, comme ce mer
credi, boulevard de Strasbourg.
Les vendeurs à la sauvette? A
vrai dire, le temps que les fourgon
nettes blanches de la Mairie s’arrê
tent, que les agents se déploient et
sortent leurs chiens, les contreve
nants se sont déjà envolés, empor
tant bananes, sacs de contrefa
çons et cigarettes. En remontant
vers la gare, les agents ne récupè
rent sur le trottoir qu’un tabouret
et deux chariots abandonnés par
des vendeurs. Direction la benne.
« Ils vont revenir s’installer dans
quelques heures, on le sait, mais
c’est une lutte de longue haleine, et
on la gagnera », veut croire un des
gradés. « Je ne peux pas accepter un
tel bazar dans un lieu aussi visible,
appuie Michel Felkay. On revien
dra autant qu’il le faudra. »
En attendant, les agents en profi
tent pour faire passer quelques
messages. Sur le boulevard, ils
croisent une jeune femme qui cra
che par terre. « C’est 68 euros! »,
lance l’uniforme bleu. « Je ne savais
pas », s’excuse la femme. « Mainte
nant, vous savez », conclut
l’homme sans la verbaliser. Un
peu plus loin, un épicier pakista
nais a ajouté une rangée de ca
geots pour agrandir son étalage, et
mord trop sur le trottoir. Les
agents de la Ville l’obligent à rem
baller les cacahuètes. « C’est bon
pour cette fois. La prochaine,
boum! », avertit l’un des chefs.
Juridiquement, les agents de la
Ville sont aux limites de leurs
compétences. La vente à la sau
vette est un délit, alors qu’ils n’ont
le droit de verbaliser que les con
traventions. « On pourrait appeler
la police nationale, qui constate
rait le délit et pourrait saisir la
marchandise, reconnaît un gradé
en avançant sur le boulevard.
Mais la police ne s’intéresse plus à
ce genre de choses. Alors on préfère
agir, en faisant comme s’il s’agis
sait d’encombrants laissés sur le
trottoir. Cela nous donne une base
légale pour les enlever. »
Modifier la loi
Deux heures plus tard, Michel Fel
kay et ses troupes doivent cepen
dant admettre une erreur d’appré
ciation. Au moment même où ils
ratissaient le boulevard de Stras
bourg, la police nationale emme
née par le préfet de police en per
sonne menait une « opération
coup de poing » du même genre à
dix minutes de là, à Barbès, et dans
la petite couronne. A la clé, 46 in
terpellations. Visiblement, le pré
fet Didier Lallement ne lâche pas
les vendeurs à la sauvette.
Ce jourlà, ni le patron de la fu
ture police municipale ni celui de
la police nationale à Paris
n’avaient jugé bon de se prévenir
de leurs initiatives. Un couac
symptomatique des relations dif
ficiles entre la Mairie et la Préfec
ture de police. Lors du dernier con
seil municipal, le 3 février, le préfet
s’est encore inquiété du « climat
très antipolice » repéré « sur cer
tains bancs », s’attirant une répli
que immédiate d’Anne Hidalgo.
La défiance entre les deux insti
tutions chargées d’assurer la sé
curité à Paris ne facilite pas la créa
tion de la police municipale. Après
l’avoir longtemps refusée, la maire
socialiste tente depuis des mois de
la mettre en place. C’est dans ce but
qu’elle a recruté en janvier 2019
Michel Felkay, un ancien « grand
flic ». Pour justifier son revire
ment, elle affirme que la police na
tionale, mobilisée par la lutte con
tre le terrorisme, les manifesta
tions, etc., délaisse les petites inci
vilités, et plus globalement le
terrain. A Paris, les policiers ne
consacrent plus que 2,5 % de leur
temps aux patrouilles et aux opé
rations antidélinquance, quatre
fois moins qu’en 2010, selon la
Cour des comptes. En mars, pour la
première fois, la police n’aura plus
de poste de commandement à l’in
térieur de la Foire du Trône.
La police municipale censée
prendre le relais bute cependant
sur des problèmes juridiques. Les
agents de la Ville concernés, des
gardiens de square, d’anciennes
« pervenches » qui verbalisaient
les voitures mal garées, des ins
pecteurs chargés de lutter contre
les crottes de chiens et les mégots
jetés par terre... Tous ont des sta
tuts variés. Tous ne sont par
exemple pas autorisés à verbali
ser les infractions routières, et
n’ont pas la formation adéquate.
Avant que ces agents n’endos
sent un uniforme marqué « police
municipale », la loi doit être modi
fiée. Et plusieurs visions s’affron
tent. Pour la majorité macroniste,
qui a déposé une proposition à
l’Assemblée, Paris doit être, sur ce
sujet comme sur d’autres, sou
mise aux règles communes. Le
statut des policiers parisiens se
rait ainsi fixé par décret, les agents
suivraient la formation dispensée
par le Centre national de la fonc
tion publique territoriale, etc.
Anne Hidalgo, elle, aimerait que
la spécificité de Paris soit recon
nue, et que ses policiers bénéfi
cient d’une formation maison,
avec une sensibilisation à la lutte
contre le harcèlement de rue, par
exemple. Le débat pourrait être
tranché à l’occasion de la pro
chaine loi d’orientation sur la sé
curité, envisagée au printemps.
« A nous l’action de proximité »
Michel Felkay, lui, prépare tout
pour qu’une fois la loi votée, Paris
dispose très vite de sa police. Il re
dessine les organigrammes, fait
travailler ensemble les agents ve
nus des différents horizons, orga
nise la fusion des deux salles de
commandement actuelles, achète
des sonomètres pour contrôler le
bruit des motos ou des terrasses,
ajoute des rampes lumineuses sur
les véhicules pour qu’ils fendent
mieux les flots de circulation... Il
embauche aussi. Environ 200 per
sonnes en un an, pour que la fu
ture police compte d’emblée
3 400 personnes dans quelques se
maines, 5 000 à terme. Du coup, la
place manque. Des bureaux sont
en travaux rue Botzaris (19e arron
dissement), et le directeur a des
vues sur la mairie du 4e, bientôt li
bérée par la fusion des quatre pre
miers arrondissements.
Surtout, une nouvelle doctrine
s’élabore. Michel Felkay résume :
« A la police nationale les crimes et
délits, le maintien de l’ordre, les per
quisitions, etc. A nous l’action de
proximité, la présence visible dans
les rues, au service des Parisiens. »
Le grand retour de l’îlotage!
Exemple aux Olympiades, dans
le 13e arrondissement. Tous les
jours, à l’heure du déjeuner, trois
agents municipaux se postent sur
le trottoir, en face d’une des en
trées du « quartier chinois » de Pa
ris, un des treize « points de ren
contre Tranquillité publique » ins
tallés ces derniers mois dans des
zones jugées dégradées. Une dame
approche : un peu plus loin sta
tionnent « des gars qui ne sont pas
seuls dans leur tête ». Depuis peu,
elle fait un détour pour rentrer
chez elle sans être embêtée.
L’agent prend note. Une autre si
gnale des prostituées qui font des
passes dans son immeuble : « Ce
n’est pas bon pour revendre les ap
partements. » Nouvelle note. « On
transmet à la police nationale »,
promet l’homme en bleu.
« Ici, il ne s’agit pas seulement de
discuter avec les habitants, précise
Michel Felkay. En étant visibles, on
empêche aussi les vendeurs à la
sauvette de bloquer le trottoir. »
Toujours par trois, les agents par
courent ensuite la dalle des Olym
piades, font le tour des commer
çants, répondent aux passants qui
les arrêtent. Pas question en revan
che d’entrer dans les immeubles :
cela relève de la police nationale
ou du Groupement parisien inter
bailleurs de surveillance.
« Vous êtes la future police muni
cipale? », demande MarieMartine
Expilly, membre de l’amicale des
locataires qui sort de chez elle. Et
d’entamer une litanie : squatteurs
ici, dealers là, un peu de racket des
commerçants... « J’espère que vous
serez efficaces, y compris rue du Ja
velot, sous la dalle », un des points
noirs du quartier. « On y est tous les
jours, on verbalise », assure l’ex
commissaire. La locataire reste du
bitative : « C’est pas gagné. »
denis cosnard
A la peine dans les sondages, Gaspard Gantzer rallie Agnès Buzyn
L’ancien communicant de François Hollande renonce à sa candidature en solo et rejoint les listes de La République en marche
P
arti en campagne dès
mars 2019, Gaspard Gant
zer assurait qu’il irait jus
qu’au bout, quoi qu’il arrive. Le
peu d’écho dans l’opinion rencon
tré par sa candidature à la Mairie
de Paris a eu raison de sa détermi
nation. Jeudi 20 février, l’ancien
conseiller en communication de
François Hollande a officiellement
lâché prise et rallié la candidate de
La République en marche (LRM),
Agnès Buzyn.
Il n’y a désormais plus que huit
candidats qui briguent le fauteuil
de maire de la capitale : l’élue sor
tante Anne Hidalgo (Parti socia
liste), Rachida Dati (Les Républi
cains), Agnès Buzyn (LRM), Da
nielle Simonnet (La France insou
mise), David Belliard (Europe
EcologieLes Verts), Cédric Villani
(dissident LRM), Serge Feder
busch (soutenu par le Rassemble
ment national) et le forain Marcel
Campion.
« Je n’ai pas pu, malgré mes ef
forts, créer une dynamique », a re
connu Gaspard Gantzer auprès de
l’Agence FrancePresse. Les der
niers sondages ne lui accordaient
que 1 % à 1,5 % des intentions de
vote au premier tour des munici
pales. Il avait en outre été aban
donné, en janvier, par Isabelle Sa
porta, l’ancienne journaliste de
RTL avec laquelle il faisait campa
gne depuis six mois, et qui sou
tient désormais le dissident LRM
Cédric Villani. D’autres membres
de son équipe avaient repris leur li
berté, comme Olivia Andrez, deve
nue tête de liste de Cédric Villani
dans le 6e arrondissement.
Comme le député Agir Pierre
Yves Bournazel avant lui, Gantzer
s’est surtout retrouvé privé d’un
espace politique suffisant. Les
deux quadragénaires avaient
choisi de se lancer dans l’aventure
politique en dehors des partis tra
ditionnels auxquels ils avaient ap
partenu, en s’inspirant de l’exem
ple d’Emmanuel Macron, élu à
l’Elysée sans s’appuyer sur les
structures partisanes existantes.
« Macroncompatibles » l’un
comme l’autre, ils défendaient
pour Paris une vision progressiste,
humaniste, sensible aux ques
tions d’écologie. Gaspard Gantzer
avait en particulier mis en avant
un projetchoc visant à supprimer
le périphérique, considéré comme
une frontière nocive entre Paris et
sa banlieue. Mais les deux hom
mes ont dû faire face à une concur
rence forte, qu’il s’agisse des écolo
gistes, des deux candidats de LRM,
du parti Les Républicains, ou de la
maire socialiste, Anne Hidalgo.
« Ce n’est pas ma ligne »
Dans ces conditions, PierreYves
Bournazel puis Gaspard Gantzer
ont fini par renoncer, pour rallier
la liste officielle du parti présiden
tiel. « Benjamin Griveaux n’avait
pas vraiment essayé d’attirer
Gantzer, raconte une cheville
ouvrière de la campagne de LRM.
Mais à peine désignée, Agnès
Buzyn a souhaité rassembler tou
tes les bonnes volontés et a appelé
Cédric Villani et Gaspard Gant
zer. » Si le rapprochement n’a pu
se concrétiser dans le premier cas,
il s’est vite noué dans le second,
malgré le refus d’Agnès Buzyn de
reprendre à son compte le projet
de suppression du périphérique.
L’accord conclu avec la nouvelle
figure de proue des macronistes à
Paris ne va pas sans créer des se
cousses au sein de « Parisiennes,
Parisiens », le mouvement pa
tiemment constitué par Gaspard
Gantzer depuis plus d’un an.
« Gaspard est parti seul, de façon
unilatérale », commente sobre
ment Valérie Garreau, tête de liste
dans le 12e arrondissement.
« Nous avons appris ce rallie
ment personnel par la presse, té
moigne également Hélène Pes
kine, qui mène la liste dans le
5 e arrondissement. Pour nous,
c’est très violent. Alors que nous
avons toujours défendu le principe
d’être des candidats indépendants,
nous nous retrouvons soudain ap
parentés à un parti, et pas n’im
porte lequel, celui du président de
la République. Ce n’est pas ma li
gne. » Comme d’autres, tels que
« Sur les tracts,
j’envisage juste de
remplacer “avec
Gaspard Gantzer”
par “trahi par
Gaspard Gantzer” »
CÉDRICK ALLMANG
tête de liste de Gantzer
dans le 11e arrondissement
Agnès Buzyn,
à Paris (18e),
lors de sa
campagne,
le 20 février.
JULIEN MUGUET
POUR « LE MONDE »
A Paris, les policiers
ne consacrent
plus que 2,5 %
de leur temps
aux patrouilles
et aux opérations
antidélinquance,
quatre fois moins
qu’en 2010
Cédrick Allmang (11e) et Valéry
Vuong (20e), Hélène Peskine en
tend continuer sa campagne sans
se rallier à quiconque. « Pas ques
tion d’arrêter, affirme Cédrick All
mang, très mécontent. Ma liste
est déposée en préfecture, et je dois
recevoir 50 000 tracts demain. Sur
les documents, j’envisage juste de
remplacer “avec Gaspard Gant
zer” par “trahi par Gaspard Gant
zer”. Dire qu’hier encore, il faisait
un appel aux dons, tout en négo
ciant son recasage avec Buzyn... »
Exconseiller de François Hol
lande à l’Elysée, Gantzer avait créé
une agence de conseil en commu
nication après son départ de l’Ely
sée. En mai 2017, il avait été investi
par LRM pour être candidat aux lé
gislatives en IlleetVilaine. Les cri
tiques à l’égard de ce parachutage
l’avaient très vite amené à renon
cer, au profit de Laurence Maillart
Méhaignerie, élue députée.
de. c.
Quelle police municipale pour Paris?
Hidalgo souhaite l’orienter vers l’action de proximité. La droite et LRM veulent aller plus loin en l’armant