POUR REJOINDRE L’AUTOROUTE A9 DEPUIS
PERPIGNAN, il faut en traverser la banlieue pavillonnaire
et sa succession de ronds-points. Mimosas, cactus, pal-
miers. En lisière de la ville, les maraîchages ont reculé
pour laisser place à des lotissements. Les champs d’abri-
cotiers sont devenus des zones commerciales. Les
vignes, des HLM. Perpignan avec ses plus de
120 000 habitants incarne « le » laboratoire du mari-
nisme, tant il cumule les ingrédients nécessaires à la
recette de l’ex-Front national. « Beaucoup plus facile » de
s’afficher ouvertement selon Christelle Vang, expatriée
parisienne en Occitanie depuis trois ans. L’ancienne
commerçante a « commencé le FN » en 2000, avec
« Jean-Marie ». Mais c’est en déménageant qu’elle a osé
pousser la porte du militantisme, à 47 ans. « On était
souvent considérés comme des monstres, plus mainte-
nant. Plus ici. » Ici, les voitures vont jusqu’à s’arrêter
devant elle pour attraper les tracts du candidat d’ex-
trême droite, Louis Aliot. Ici, la ville est enferrée dans la
précarité, un taux de chômage presque trois fois plus
élevé que la moyenne nationale et de profondes ten-
sions sociales et communautaires.
« Alors qu’avec le soleil, on pourrait être heureux », lâche
Christelle Vang sous son bonnet en laine. En quittant la
capitale, elle espérait un climat plus doux pour ses deux
ados, « surtout la grande qu’il fallait éloigner de la pol-
lution ». C’était sans compter d’autres nuages, qu’elle
n’attendait pas à Perpignan : « La propreté, la sécurité,
les gens qui ne respectent plus rien. C’est particulier
comme ville. » Les idées frontistes, Christelle Vang les
partage depuis très longtemps. « Même avant de voter
pour eux. » Quand elle ne votait pas du tout. « Et en arri-
vant ici, je me suis juste dit qu’il n’y avait pas d’avenir
pour nos enfants si je ne faisais rien. » Faire quelque
chose s’est transformé en militantisme lepéniste à plein
temps. Dès 6 heures ce matin, la voilà donc en train de
distribuer ses tracts aux chauffeurs de bus qui
embauchent à l’aube. Et la saluent si gentiment.
Perpignan, Béziers, Beaucaire, Carpentras... Sur l’auto-
route A9, les noms des sorties résonnent comme
autant de terres de conquête pour la droite extrême.
Le long des 280 kilomètres qui relient la frontière
espagnole à Orange, vignes et garrigues se relaient
comme les scores de Marine Le Pen succèdent à ceux
de son père. À l’exception, tout un symbole, de
Montpellier la métropolitaine. « Vous êtes sur l’arc de
crise ! », lance le politologue Jérôme Fourquet, pour
qui l’axe de l’A9 est symbolique de cette France désar-
ticulée sur laquelle le Rassemblement national fait son
terreau : « Le vote RN n’est jamais un hasard, les terri-
toires déstabilisés lui sont propices. »
BÉZIERS
Trois coups de pétards résonnent devant l’hôtel de ville
de Béziers. Comme partout en France, l’intersyndicale
défile contre la réforme des retraites, mercredi 29 jan-
vier. Les manifestants en profitent pour adresser un mes-
sage à Robert Ménard, élu maire avec les voix du Front
national en 2014. Les haut-parleurs crachent les paroles
de la chanson anti-frontiste du groupe de ska Sinsemilia :
« La flamme a grandi, a grandi, a grandi. Dans trop d’en-
droits le feu a pris. » Au milieu des drapeaux rouges de la
CGT, Véronique Scherrer tient avec quelques copines de
lutte une banderole aussi jaune que son gilet. La conver-
gence, voilà un moment qu’elles l’attendaient, elles qui
ne se sont pas toujours senties « bien vues » sur leurs
“Vous êtes sur l’arc de crise !”, lance le politologue
Jérôme Fourquet, pour qui l’axe de l’A9
est symbolique de cette France désarticulée
sur laquelle le Rassemblement national
fait son terreau : “Le vote RN n’est jamais un hasard,
les territoires déstabilisés lui sont propices.”
Ci-dessus, le quartier Mas Vermeil,
à Perpignan (Pyrénées-Orientales),
le 25 janvier.
Page de droite, le 28 janvier,
une crèche installée dans le hall
de la mairie de Beaucaire.
Le 22 janvier, à Sète, Florentin Isoird,
pêcheur de 58 ans, votera pour Sébastien
Pacull (RN) aux municipales.
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LE MAGAZINE
Sandra Mehl pour Le Monde