Marie-Louise Ballanger aurait aimé en être. Mais
l’aide à domicile de 51 ans a déjà bien trop de « trous à
reboucher » à la banque. Elle totalise 1 300 euros pour
151 heures par mois, et déjà 530 euros à dépenser dans
le loyer. Alors la grève... Rien qu’une panne de voiture l’a
mise dans la panade, la semaine dernière. « Ma patronne
m’a dit de faire un crédit à la consommation, mais com-
ment voulez-vous? » Elle a déjà bien du mal à sortir
7 euros tous les midis pour déjeuner à la boulangerie du
Pontet. « Si je rentre chez moi, ça me coûte plus cher en
essence. » À force de compter le moindre euro pendant
des années, « les gens s’énervent, c’est normal ». Et
finissent par voter RN. « C’est pas du racisme, mais on
travaille comme des damnés et on ne s’en sort pas. » Si
Marie-Louise Ballanger comprend la tentation Le Pen,
elle a préféré entrer dans les rangs de l’abstention. « Moi,
je ne vote plus, ça m’énerve. Parce qu’ils promettent, ils
promettent, mais on peut voter pour n’importe qui, on n’a
toujours rien à la fin. »
Dans le boulodrome couvert du Pontet – « le plus beau
de France. Non, d’Europe! » –, Coco est allé plus loin.
Lui vote RN sans se cacher. Une fois sa béquille posée
contre le petit bar du club, Coco débite sans filtre son
« édito » anti-immigrés. Retraité du bâtiment, il finit
par laisser deviner derrière ses saillies xénophobes
toute l’amertume d’avoir trimé une vie pour « rien du
tout ». Coco ne vit pas trop mal ici, entre pétanque et
parties de cartes avec les vieux copains. Mais quand
même, « c’est pas juste, qu’ils nous prennent tout ». En
glissant un café sur le comptoir, Michel Champagne se
retourne en soupirant. « Je ne supporte pas quand il
parle comme ça. » Après une vie bien remplie entre
France, Russie et États-Unis, Michel profite de sa
retraite à Avignon... avec 900 euros par mois. « Mais
ça va! Ici, ils ont tous une retraite pépère, deux bagnoles
et ils râlent tout le temps. » Ses yeux bleu profond
fixent la vitrine plusieurs fois vandalisée. « Les gens en
ont marre, et comme ici il y a une grosse communauté
turque, ils mélangent tout. »
Du boulodrome, on peut apercevoir la nouvelle mos-
quée en construction – la troisième de la ville – dont
la première pierre a été posée par le maire RN Joris
Hébrard. « Je suis maire des 17 000 Pontétiens... et le
terrain avait été vendu par l’ancien maire. C’est pas
moi », se défend l’édile lepéniste. Dans son bureau,
une figurine de Trump côtoie le journal d’extrême
droite Présent et les rapports d’intervention de la
police municipale. À son arrivée, Joris Hébrard a sup-
primé la cantine gratuite pour les familles en difficulté
– « du clientélisme » –, diminué la prime des agents
municipaux et créé une brigade de nuit. Quant à la
gare fantôme, le train y passe sans s’arrêter, et la
gigantesque zone commerciale, si proche qu’elle en
vide le centre ville, « ça ne se gère pas, c’est là ».
CARPENTRAS
Sur le marché de Carpentras, les discussions effleurent
la grandeur d’antan. Les primeurs d’avant les importa-
tions massives d’Espagne et du Maghreb. D’avant le
taux de chômage à près de 22 %. On se rassure en
racontant que les fraises des environs montent encore
jusqu’à l’Élysée. Que c’est ici que le premier pape
d’ Avignon s’était installé. Mais la vue sur le mont
Ventoux est rapidement éclipsée par une autre image :
celle de la profanation du cimetière juif, qui colle à la
ville depuis trente ans. En 2014 déjà, cette municipalité
Sur le marché de Carpentras, les discussions effleurent
la grandeur d’antan. Les primeurs d’avant les importations
massives d’Espagne et du Maghreb. D’avant le taux de
chômage à près de 22 %. On se rassure en racontant que
les fraises des environs montent encore jusqu’à l’Élysée.
Ci-dessous, une ancienne fabrique
artisanale de fruits confits à Carpentras
(Vaucluse), le 31 janvier.
Page de droite, la Roquette à Lunel
(Hérault), le 26 janvier. Plusieurs jeunes
du quartier sont partis en Syrie rejoindre
les rangs de l’organisation État islamique.
Dans le centre-ville d’Orange (Vaucluse),
le 1er février, la vitrine d’une pâtisserie
définitivement fermée et recouverte
d’affiches pour les Chorégies d’Orange.
Sandra Mehl pour Le Monde