Libération - 14.03.2020

(Darren Dugan) #1

Libération Samedi 14 et Dimanche 15 Mars 2020 u 33


mon propre écosystème musical afin
que l’œuvre musicale se développe de
manière infinie et que la musique
jouée soit toujours différente. Cha-
que auditeur aura une expérience
unique, avec une grande variété
dans les teintes, les rythmiques et
même les visuels.»

Ces innovations sont le fruit des
liens qui se tissent dorénavant entre
artistes et chercheurs. Pour son
projet solo Diagrams, l’Anglais Sam
Genders du groupe Tunng a testé
deux systèmes d’intelligence artifi-
cielle qui lui ont soumis des mélo-
dies et des textes pour un morceau
ironiquement appelé Is This Real.
Le groupe a ensuite livré son retour
d’expérience à l’université califor-
nienne de Santa Clara qui développe
les IA. Mais que peut-on attendre du
futur? Chez Sony CSL, le but reste de
toujours renforcer l’interaction en-
tre l’homme et l’ordinateur afin qu’il
soit le parfait assistant de studio,
voire un musicien d’appoint. «De
même qu’il y a eu un avant et un
après
Sgt. Pepper’s en matière d’uti-
lisation des studios grâce à l’aide des
scientifiques qui ont développé pour
ce légendaire album des Beatles de
nouvelles techniques d’enregistre-
ment, le but de Sony CSL est de par-


venir à construire l’Abbey Road
de 2020 et provoquer la même révo-
lution du studio», résume Michael
Turbot, technology promotion of-
fice manager de Sony CSL Paris.

«Il ne faut pas avoir peur»
Côté Ircam, on souhaite devenir
plus accessible aux créateurs. La
preuve en est le lancement, en 2019,
de la société Ircam Amplify, vouée
à commercialiser ses applications.
Parmi les axes de recherche de
l’institut figurent par exemple l’im-
mersion en 3D pour mesurer et re-
produire la cartographie acoustique
d’un lieu, la possibilité de «jams»
virtuelles et interactives entre
musiciens de studio d’aujourd’hui
et du passé, la compréhension du
geste du musicien par l’ordinateur
ou encore la génération d’images,
afin par exemple d’animer un vi-
sage lié à une voix virtuelle. Dans
le cadre de sa performance Ultra-
chunk, l’artiste Jennifer Walshe
chante ainsi avec son double qui
s’agite derrière elle à l’écran dans
un duo des plus troublants. Jean-
Michel Jarre a, lui, testé avec exci -
tation un projet de studio virtuel,
qui lui a permis de travailler avec
des partenaires à l’autre bout du

monde via des avatars, comme
dans un jeu vidéo.
La composition à géométrie variable
figure parmi les autres fantasmes du
créateur d’ Oxygène et des Chants
magnétiques : «On peut imaginer
que le tube du futur soit un ensemble
de variations créées par des algorith-
mes afin de convenir au plus grand
nombre.» Comme le résume Marc
Chemillier, directeur d’études à
l’EHESS (Ecole des hautes études en
sciences sociales) passé par l’Ircam,
«ce n’est pas tant la créativité par
la machine qui importe mais la co-
créativité. Les humains apprennent
aussi de la machine, empruntent des
voies inhabituelles, réalisent des
choses nouvelles, tandis que la ma-
chine continue d’apprendre, élimi-
nant la question de savoir si elle est
créative ou non». Jean-Michel Jarre
est encore plus optimiste : «D’ici dix
à quinze ans, un algorithme pourra
composer de manière originale et il
ne faut pas en avoir peur. Les émo-
tions humaines seront traduites en
équations complexes et les machines
pourront éprouver de la nostalgie
ou de la peine. Ça ne veut pas dire
que la créativité de l’humain en sera
diminuée mais qu’il créera d’une
autre manière.» •

YMCA Après la


choré, le coffret


Avouez-le, plus jeune, vous avez formé avec
vos bras les lettres Y, M, C et A en dansant
pour composer le mot Y.M.C.A. Vous vouliez
être un Indien, un GI, un biker ou un
cow-boy. Bref, vous aimiez Village People.
Rien de plus normal, tant ce groupe disco a
imprimé sa marque sur la musique populaire
depuis sa création en 1977 par les produc-
teurs français Jacques Morali et Henri Belolo.
Les deux compères ciblaient le milieu gay
disco – Village People tire son nom du quar-
tier new-yorkais de Greenwich Village, où
vivait une importante communauté homo-
sexuelle –, mais le groupe a très vite élargi son public avec le succès
de Y.M.C.A. et collectionné les tubes jusqu’en 1985.
C’est cette tranche d’histoire de la dance music que le label anglais Edsel
(propriété de la BBC) compile aujourd’hui, proposant dans un cof-
fret de 10 CD (tout de même) l’intégrale des albums du groupe costumé,
y compris un double live et la B.O. du faux biopic (et vrai nanar)
Can’t Stop The Music, récompensé à sa sortie en 1980 d’un Golden
Raspberry Award du pire film de l’année. Toujours actif malgré les
multiples changements de personnel, Village People a publié en 2018
son premier album en trente-trois ans (un disque de Noël). Mais
c’est une autre histoire.

THE ALBUM
COLLECTION
1977-1985 (Edsel)

O


n ne s’en lasse pas.
Pourtant, depuis
plus de deux ans,
c’est une avalanche
de nouveaux talents néosoul qui
s’est abattue sur les playlists de
streaming. Un phénomène pas
seulement concentré outre-Man-
che, avec les sensationnelles Ma-
halia, Celeste ou Arlo Parks.
Il y a peu, on a évoqué ici même la
vista prometteuse de la Française
Jaia Rose ( Libération du 7/2/2020)
et aujourd’hui nos regards se tour-
nent vers Berlin, où réside Char-
lotte Dos Santos aux origines bré-
silienne (son père) et norvégienne
(sa mère). Cependant à bientôt
30 ans, elle incarne déjà un peu
l’ancienne au milieu de la liste de
noms précités qui dépassent à
peine les 20 ans. Pas étonnant
donc que cette chanteuse-auteu-
re-compositrice-pianiste ait
connu une première vie artistique
sous emprise jazz, comme en té-

moigne l’album Cleo (2017). Sym-
pathique, mais trop plan-plan.
Plus intrigant est ce nouvel EP, sur
lequel Charlotte Dos Santos met
son incontestable maestria tech-
nique au service d’une musique
beaucoup plus excitante. Par
exemple, Harvest Time évoque un
croisement somptueux entre Ery-
kah Badu et Joni Mitchell quand
Hello se déploie harmonieuse-
ment dans une ballade soul so-
phistiquée et vaporeuse.
L’évident charisme qu’on lui prête
à l’écoute de ces chansons bai-
gnant souvent dans un climat ir-
réel se confirme bien sur scène.
Comme récemment à Paris en
concert où, juste accompagnée
par son clavier, Charlotte Dos San-
tos a vampirisé la Boule noire. En
attendant une plus grande salle.
PATRICE BARDOT

HARVEST TIME EP
(Because Music)

KATIE BURDON

Charlotte


Dos Santos


Soul power


LA DÉCOUVERTE


LA RÉÉDITION

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