0123
DIMANCHE 1ER LUNDI 2 MARS 2020 planète| 11
La crainte d’une déroute de l’économie mondiale hante les marchés
Wall Street a enregistré sa pire semaine depuis la crise financière de 2008. En Europe, la récession semble inévitable
N
i l’assassinat d’un géné
ral iranien par les forces
américaines, ni la sortie
effective du RoyaumeUni de
l’Union européenne, ni même
l’apparition d’un nouveau coro
navirus à Wuhan, en Chine,
n’avaient troublé les marchés fi
nanciers. On avait fini par se re
présenter les investisseurs, gavés
de liquidités par les banques cen
trales, comme les Lotophages de
l’Odyssée. La perspective d’une
pandémie, après la découverte de
foyers de contamination allant de
l’Iran à l’Italie, a réveillé les man
geurs de lotus, en mode panique.
Vendredi, le CAC 40 a
perdu 3,38 % pour clôturer à
5 309,9 points. En cinq séances,
l’indicephare de la Bourse de Paris
a cédé environ 12 %, comme l’Euro
Stoxx 50. Avec des baisses entre
10,5 % et 12,4 %, les trois grands in
dices des valeurs américaines ont
connu leur pire semaine depuis
octobre 2008. Autrement dit le
mois suivant la faillite de Lehman
Brothers. Du côté des marchés
obligataires, les primes de risque
se sont tendues sur les titres des
entreprises les moins bien notées.
« Pour l’instant, nous envisa
geons toujours une reprise de la
croissance au cours de 2020, même
si l’impact de l’épidémie risque de
se prolonger jusqu’au deuxième tri
mestre », note Esty Dwek, respon
sable de la stratégie de marché
chez Natixis Investment Mana
gers. Impossible, pourtant, d’écar
ter l’hypothèse que le Covid
puisse être le catalyseur d’une
crise de plus grande ampleur.
« Déglobalisation »
Sur le plan économique d’abord.
La paralysie en Chine pèse sur la
croissance domestique, puis sur
les chaînes d’approvisionnement
des multinationales qui ont be
soin de composants fabriqués
dans les usines chinoises pour as
surer leur production. Témoin de
l’impact du coronavirus sur l’em
pire du Milieu : l’activité manu
facturière s’est écroulée en février
à son plus bas niveau jamais enre
gistré, selon les chiffres publiés sa
medi 29 février par le Bureau na
tional des statistiques (BNS). Et les
données sont encore plus mau
vaises dans le secteur des services.
De quoi alimenter les inquiétu
des sur une déroute de l’écono
mie mondiale. Car la consomma
tion dans les pays occidentaux est
aussi affectée. Le tourisme, le
transport aérien, les loisirs (hors
Netflix) souffrent déjà. Une réces
sion mondiale se profile. En Eu
rope, elle semble inévitable. « La
croissance européenne était juste
audessus de la ligne de flottaison.
Elle va passer en dessous », ré
sume Gilles Moëc, chef écono
miste du groupe Axa. « Normale
ment, il y a une forme de rattra
page après une crise de ce type,
mais il ne faudrait pas qu’entre
temps les dommages aient été tels
que l’on ne puisse plus faire redé
marrer la machine », poursuitil.
L’investissement, « déjà encal
miné », selon M. Moëc, pourrait le
rester car avant de lancer de nou
veaux projets, les entreprises at
tendront d’évaluer les cicatrices
politiques de l’épidémie. Un « ap
pel à poursuivre la déglobalisa
tion » pourrait en faire partie, in
dique Mohamed ElErian, con
seiller économique d’Allianz,
dans une tribune à Bloomberg.
Une autre préoccupation ren
voie, cette fois, aux propres fragili
tés des marchés financiers.
« Quand la mer se retire, on voit
ceux qui nagent sans maillot de
bain », aime à dire le célèbre inves
tisseur américain Warren Buffett :
après des années d’argent facile
qui ont conduit entreprises, inves
tisseurs et Etats à empiler des det
tes, les marchés financiers ont de
quoi prendre des allures de camps
de naturistes du Cap d’Agde. « Cer
taines entreprises n’investissent
pas, n’embauchent pas mais ne
survivent que parce que les taux
d’intérêt sont bas. D’un point de
vue macroéconomique, leur dispa
rition ne serait pas une mauvaise
nouvelle », analyse Didier Saint
Georges, membre du comité d’in
vestissement de Carmignac.
C’est l’occasion aussi d’éprouver
la solidité de la « finance de l’om
bre », ces acteurs qui ont récupéré
une partie des risques portés par
les banques avant 2008. « Des
mains faibles détiennent certains
pans très risqués du marché », s’in
quiète Franck Dixmier, directeur
des gestions obligataires d’Allian
zGI. Et de pointer les fonds indi
ciels investis sur le crédit à haut
rendement. Ces fonds – ou ETF
(Exchange Traded Fund) – cher
chent à répliquer la performance
d’indices composés d’obligations
d’entreprises jugées risquées et,
dès lors, offrant des rendements
plus élevés. Mais les ETF étant co
tés en Bourse, leurs parts peuvent
être achetées ou vendues comme
des actions, alors que le marché
sur lequel ils s’approvisionnent
est peu liquide. Et, « depuis lundi,
ces fonds subissent des retraits
massifs qui se sont traduits par un
décalage entre leur performance
et celle de leur indice de référence.
Cela signifie qu’il y a une détériora
tion de leur condition de liqui
dité », signale M. Dixmier.
A ce stade, les investisseurs re
tiennent leur souffle, convaincus
que les banques centrales vont in
tervenir. « Lors du dernier épisode
de stress sur les marchés, les ban
ques centrales avaient injecté des
flots de liquidités, rappelle Lau
rent Boudoin, responsable de la
gestion obligataire de Sanso In
vestment Solutions. La Fed et la
Banque centrale européenne sont
devenues les otages des marchés
financiers qui comptent sur elles
pour les sauver. » Les Lotophages
exigent leur livraison de lotus.
isabelle chaperon
Indice Dow Jones,
en points à New York
1 er janvier 2020 28 février
Indice CAC 40, en points à Paris
1 er janvier 2020 28 février
- 8,32 %
5 309,
6 041,
Indice Nikkei, en points à Tokyo
1 er janvier 2020 28 février
- 6,47 %
21 142,
- 9,13 %
sur une semaine sur une semaine sur une semaine
25 409,
28 868,
23 204,
Infographie : Le Monde Source : Bloomberg
Aux EtatsUnis, Trump choisit de
politiser la menace de l’épidémie
Le président américain et son entourage minimisent le danger
et accusent le camp démocrate de manœuvres de déstabilisation
washington correspondant
D
eux jours après une con
férence de presse censée
rassurer les Américains
sur l’épidémie liée au coronavi
rus, Donald Trump a choisi de la
politiser à outrance en dénon
çant une « imposture » de la part
de l’opposition démocrate, lors
d’un meeting en Caroline du Sud,
vendredi 28 février. « Ils ont
essayé l’imposture de la mise en
accusation », dans l’affaire
ukrainienne, « c’est leur nouvelle
imposture », a assuré le prési
dent, au terme d’une semaine
marquée par un sévère décro
chage des marchés, inquiets des
conséquences sur l’économie
mondiale de la propagation du
virus.
Son chef de cabinet, Mick Mul
vaney, avait déjà dénoncé une
manœuvre démocrate et de la
presse dans la matinée, devant la
Conservative Political Action
Conference, le rendezvous
annuel des conservateurs améri
cains. « Pourquoi n’en avezvous
pas entendu parler [avant]? Que
se passaitil encore il y a quatre ou
cinq semaines? L’impeachment,
c’est tout ce dont la presse voulait
parler. La raison pour laquelle
vous y voyez tant d’attention
aujourd’hui, c’est qu’ils pensent
que ce sera la chose qui fera tom
ber le président. C’est simplement
ça », a assuré Mick Mulvaney.
« Comme un miracle »
Le fils aîné du président, Donald
Jr., était allé plus loin sur Fox
News, assurant que les démocra
tes espèrent que les EtatsUnis
soient touchés et que « la pandé
mie (...) tue des millions de person
nes, afin de mettre fin à la série de
victoires de Donald Trump ».
La veille, le président des Etats
Unis avait pesté sur son compte
Twitter, parlant de lui, une fois de
plus, à la troisième personne du
singulier. « Ainsi, le coronavirus,
qui a commencé en Chine et s’est
propagé à divers pays à travers le
monde, mais très lentement aux
EtatsUnis, parce que le président
Trump a fermé notre frontière et a
mis fin aux vols, TRÈS TÔT, est
maintenant blâmé, par les démo
cratesquinefontrien, comme
quelque chose qui est la faute de
“Trump” », atil écrit, dans une al
lusion à sa décision, le 31 janvier,
de suspendre temporairement
l’entrée aux EtatsUnis des ressor
tissants étrangers à risque en pro
venance de Chine.
Un peu plus tôt, dans l’après
midi de jeudi, il s’était montré par
ticulièrement évasif. « Ça va dispa
raître. Un jour, c’est comme un mi
racle, ça disparaîtra », avaitil dit.
« Vous savez, ça pourrait empirer
avant de s’améliorer. Ça pourrait
peutêtre disparaître. Nous allons
voir ce qui se passe. Personne ne
sait vraiment », avaitil poursuivi.
Conséquence de la nomination
du viceprésident Mike Pence
comme coordinateur des diffé
rentes agences de santé, ce der
nier va désormais contrôler étroi
tement la communication liée au
virus. Mercredi, le contraste avait
été saisissant à la Maison Blanche
entre l’assurance affichée par Do
nald Trump et les mises en garde
des experts qui s’étaient expri
més à sa suite. Par mesure de pré
caution, les EtatsUnis ont re
porté sine die un sommet avec
l’Association des nations d’Asie du
SudEst (Asean) qui devait se te
nir, en mars, à Las Vegas.
« Un risque croissant »
Le président de la Réserve fédé
rale, Jerome Powell, a jugé bon de
publier, vendredi, un communi
qué de presse pour assurer que
« les fondamentaux de l’économie
américaine restent solides », bien
que « le coronavirus pose un risque
croissant pour l’activité économi
que ». « La Réserve fédérale suit
avec attention les développements
et leurs conséquences pour les
perspectives économiques. Nous
utiliserons nos outils et agirons en
conséquence pour soutenir l’éco
nomie », a ajouté Jerome Powell,
ouvrant la possibilité d’une baisse
des taux, vivement souhaitée par
le président des EtatsUnis.
Le même jour, en quittant la
Maison Blanche pour se rendre à
son meeting, Donald Trump a
semblé imputer le dévissage de
Wall Street à la course à l’investi
ture démocrate. « Je pense qu’ils ne
sont pas très satisfaits des candi
dats démocrates quand ils les
voient. Je pense que cela a un im
pact », a affirmé le président des
EtatsUnis. Au moment même où
il s’exprimait, les autorités califor
niennes confirmaient l’existence
d’un deuxième cas de contamina
tion d’origine inconnue par le co
ronavirus après un premier, mer
credi. Un troisième a été signalé
dans l’Oregon en début de soirée
vendredi. Donald Trump n’en a
évoqué aucun.
gilles paris
« ÇA POURRAIT PEUTÊTRE
DISPARAÎTRE. NOUS
ALLONS VOIR CE QUI SE
PASSE. PERSONNE NE SAIT
VRAIMENT »
DONALD TRUMP
0123
HORS-SÉRIE
EMPLOI
IMMIGRATION
SANTÉ
MOBILITÉ
ÉLECTIONS
40
CARTES
POURCOMPRENDRE
LA
FRANCE
Vous cherchezune ville dynamique en matièred’emploi?Installez-vousàBordeaux
ouàToulouse...Vousvoulezdevenir agriculteur?ChoisissezlaBretagne ou laCorse,là
où lesterres sont lesmoins chères...Vous êtesune jeunefemmeàlarecherche d’un job?
Direction Grenoble ou Limoges...Vous désirezéviter le risque de chômage?VivezàSaint-
Flour,oùilyaseulement4,3%de chercheursd’emploi...Voussouhaitezun accèsfacile
àInternet?LyonouMontpellier s’imposent...Lesmoyens degardedevosenfantsvous
préoccupent?Brest offreleplus defacilités...Accouchersans craintevous préoccupe?
AAmiens,Reims ouTr oyes,vousserezrassurées...
En 40 cartes,LeMondeetsonserviceInfographievous proposent letour d’uneFrance
devenue unkaléidoscope économique,politique etsocial,comme l’explique le démographe
HervéLeBras.
40 CARTES POURCOMPRENDRE LA FRANCE
Un hors-série du«Monde»
116pages -9,90 €
Chezvotremarchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique