Le Monde - 02.03.2020

(C. Jardin) #1
D I M A N C H E 1E R - L U N D I 2 M A R S 2 0 2 0

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S’AIMER COMME ON SE QUITTE


Pénétrer : verbe intransitif, « entrer,
s’avancer à l’intérieur de quelque
chose » (dictionnaire Larousse). Sous
nos draps, la pénétration est synonyme
de rapport sexuel. Ça paraît neutre,
ça ne l’est pas. Déjà parce que tous
les rapports sexuels n’impliquent
pas la pénétration. Ensuite, parce qu’un

C’est pourquoi l’artiste Bini Adamczak
a inventé, en 2016, la circlusion
(verbe : circlure). Lors d’un rapport
hétérosexuel, une femme circlut
un homme. Elle le recouvre, l’enserre,
l’enfile. Activement. En France, c’est
la podcasteuse Victoire Tuaillon
(« Les Couilles sur la table ») et l’auteur
Martin Page (Au-delà de la
pénétration, Monstrograph, 2019)
qui font entrer la circlusion dans
l’espace public, en avril 2019, lors d’une
conversation sur la pénétration.
Faut-il changer de logiciel, envoyer un
mémo à l’Académie française?
Absolument. Le meilleur argument est

d’Adamczak elle-même, traduite dans
la revue Glad! : « Le mot “pénétration”
comporte quatre syllabes, “circlusion”
en a seulement trois. Ainsi, son
introduction est tout à fait dans
l’intérêt de l’économie. Nous gagnons
du temps précieux que nous pouvons
ensuite investir dans la baise. »
Si c’est pour la bonne cause...

homme va et vient plus qu’il ne pénètre.
La pénétration oublie que le pénis
ressort. Elle mobilise l’imaginaire
de la conquête : l’homme prend,
possède. Y compris quand le rapport
dure trois minutes. Y compris quand,
objectivement, c’est toujours le corps
des pénétrés qui « prend » celui des
pénétrants. Car c’est bien là que ça
coince : la pénétration implique
que seul le pénétrant est actif (l’autre
partenaire est relégué à « quelque
chose »). Or, toute personne ayant
déjà reçu un pénis (un index, un sextoy,
une banane) peut faire l’expérience
du contraire.

L E S M O T S D U S E X E

Circlusion


Par Maïa Mazaurette

« Si je reste, je casse tout


dans l’appartement »


Deux jours dans la vie des amoureux. Le premier parce que tout s’y joue, le dernier
parce que tout s’y perd. Maroussia Dubreuil a recueilli ces moments-clés. A chacun de deviner
ce qui s’est passé entre-temps. Cette semaine, Vanessa, 44 ans, raconte.

Je vis depuis cinq ans avec Antoine, un homme d’une gen­
tillesse absolue. Ensemble, nous avons acheté un loft. Nous
avons tout refait, c’est notre petit cocon. Mais depuis que j’ai
perdu ma mère, il y a quelques mois, je suis totalement cham­
boulée. Je fais des crises d’angoisse à répétition. J’ai l’impres­
sion que je ne suis pas tout à fait à ma place ici. Mon ancienne
vie de bohème me manque. Pourtant, je ne m’imagine pas vivre
sans Antoine.
Un soir, je vais à une fête organisée par une amie pour ac­
cueillir son cousin de retour d’un tour du monde. Dès que je le vois,
je suis frappée par sa laideur, même si ses cheveux hirsutes et sa
barbe l’arrangent un peu. Je passe une soirée ravissante qui me
change les idées, je danse avec les uns et les autres jusque très tard,
avant d’aller me coucher dans une des chambres de la maison.
Il doit être 3 heures du matin lorsque j’entends toquer à ma
porte. « Oui? » Le cousin apparaît. Je ne comprends pas ce qu’il fait là.
Je remonte ma couette pour qu’il ne voie pas ma petite culotte. Com­
ment ce garçon a­t­il pu imaginer deux secondes qu’il pouvait débar­
quer comme ça dans ma chambre? « Quels signaux j’ai bien pu t’en­
voyer pour que tu penses que c’était possible? », je lui demande claire­
ment. « Quand on a dansé ensemble... », me répond­il. C’est vrai,
quand je danse, je danse librement, mais cela ne signifie pas que je
suis en train de draguer. Pour ne pas le renvoyer sèchement ni le
vexer, je l’invite à papoter quelques minutes. Il s’assoit au bout du lit.
Nous passons le reste de la nuit à bavarder et je finis par
plonger littéralement dans son regard. J’y vois apparaître quelque
chose de très beau, presque enfantin, qui illumine tout son visage.
J’ai l’impression d’apercevoir l’enfant qu’il a été. Au petit matin,
nous descendons en catimini dans la cuisine pour grignoter quel­
ques tartines, puis nous rejoignons chacun nos chambres. En fin de
matinée, je rentre chez moi sans rien dire à Antoine. Mais je dois
avouer qu’il s’est passé quelque chose avec ce garçon. Cette nuit ne
fait que renforcer mes doutes.
Deux mois plus tard, je suis invitée chez la même amie, au
bord de la mer, où je retrouve son cousin. Il me bat froid pour com­
mencer. Je ne comprends pas son attitude, mais le temps a passé et
je m’en fiche complètement. Au bout du rouleau avec Antoine, je
suis là pour m’amuser... Pourquoi pas avec ce garçon magnifique
que je viens de repérer à la fête du village. Mais ce dernier cherche
un plan à trois... J’abandonne. Imbibée d’alcool, je rentre à vélo me
coucher chez mon amie.
Frustrée de ne pas avoir eu ce que je voulais, j’ai du mal à trou­
ver le sommeil... Je tourne en rond quand, tout d’un coup, je réalise
que le cousin dort au­dessus. Sans réfléchir, j’y vais. Je monte les esca­
liers et pousse sa porte. Il me regarde, on ne se dit rien mais il ouvre sa
couette. Sans prendre le temps de me déshabiller, je me colle à lui. Lo­
vés l’un contre l’autre, en cuillère, nous discutons avant de faire
l’amour. Je n’ai jamais vu un corps pareil : le gabarit d’Antoine mais la
version au­dessus, comme une statue grecque.
Les jours suivants, nous vivons une love story totale... Dès le
réveil, nous sautons sur nos vélos et longeons le bord de mer en

nous arrêtant régulièrement pour nous embrasser. Le dernier soir,
en faisant l’amour, nous nous regardons. Pour la première fois de
ma vie, à 35 ans, je fais vraiment l’amour, les yeux dans les yeux.
Dans son regard, je vois une beauté infinie.

Premier jour


Nous vivons séparément, moi en colocation à Lyon, lui à Biarritz
où il cherche un travail. Etant free­lance, je peux totalement en­
visager de le rejoindre un jour. Nous sommes très amoureux,
nous partons en croisière sur un voilier, juste lui et moi. Au dé­
but de la traversée, il me prête un blouson, dont j’apprendrai plus
tard qu’il a appartenu à sa sœur, décédée il y a une dizaine d’an­
nées. Dès que je l’enfile, son regard change, ses yeux s’assombrissent...
Il veut absolument que j’apprenne tout le vocabulaire marin, m’ense­
velit de termes techniques : foc, spi, ballast, drisse, lofer, bôme... Et me
les fait réciter sur un ton inquisiteur. Je subis cela pendant deux ou
trois jours jusqu’à ce que j’explose : « Je suis désolée mais je ne serai ja­
mais ta sœur et je ne serai jamais à la hauteur de ta sœur. C’est peine per­
due de chercher chez moi ce qui pourrait s’assimiler à elle. » Il se met à
pleurer, ne comprend pas pourquoi il est agressif, s’excuse... Quand il
me raccompagne au train, nous sommes de nouveau très amoureux.
Quelques semaines plus tard, pendant une balade à vélo qui
me met en joie, il devient sombre, presque haineux. « Fais attention! »,
hurle­t­il en me voyant prendre un trottoir un peu rapidement. « Voilà,
je le savais! Ta pédale! Il y a un bout de caoutchouc qui manque! » Je me
sens comme un lapin pris dans les phares. Je regarde sous mes pieds et
effectivement il y a un bout qui manque. « Tu crois que c’est moi? », je
demande timidement en culpabilisant d’avoir abîmé le vélo de sa
mère. Il me plante là et fait demi­tour à toute vitesse. Le soir, nous som­
mes invités par ses parents au restaurant. « Je suis navrée, j’ai dû perdre
un morceau de caoutchouc... », j’avance avec précaution. Ils se mettent
à rire : « Oh mais non! On a perdu le caoutchouc il y a bien longtemps. »
Fabien ne dit rien. Pas un mot d’excuse. Rien.
Alors que notre relation va de mal en pis, je reste accrochée à
lui. Elevée avec des frères qui soufflaient le chaud et le froid, en me par­
lant mal entre deux mots gentils, je trouve son comportement
somme toute assez normal. Et puis j’ai peu de propension à m’aimer.
Mais un matin, j’ouvre les yeux. La veille, en rentrant de soirée, nous
sommes montés dans un taxi dont le chauffeur venait de se faire
agresser. Bouleversé, il a commencé à se confier et je suis vite passée
au tutoiement. Un peu plus tard, dans un autre taxi, j’ai de nouveau
échangé quelques mots avec le chauffeur. Tout à coup, Fabien a élevé la
voix : « Donc, lui, il est blanc, tu le vouvoies? Et l’autre, il est noir, tu le tu­
toies? » Je suis restée sans voix... Je comprends qu’il est en train de me
traiter de raciste, je n’en peux plus. Le lendemain, je réfléchis longue­
ment à notre relation, à la fois où il m’a trompée et me l’a dit sans mé­
nagement, à cette autre fois où il m’a traitée de folle parce que j’étais
excitée de le revoir. Le soir, je ne dors pas avec lui.
« Je ne vais pas pouvoir supporter ça, c’est terminé! », me dit­il le
matin. Je sens une onde d’ultraviolence monter en moi. Si je reste, je
casse tout dans l’appartement. Alors je me lève dans une espèce de
calme avant la tempête, je m’habille et je sors. Là, je me mets à courir,
au maximum de ce que je peux faire, pour vider mon énergie. Je cours
à travers la ville, à en perdre mon souffle.

Dernier jour


L E M O T D E L A S E M A I N E

Carnaval


n. masc.

Dans la tradition chrétienne,


période festive de l’hiver


au cours de laquelle les gens


sont invités à défiler déguisés.


Pour cause de coronavirus,


quelques-uns des plus célèbres,


à Venise ou à Nice, ont été


interrompus ou annulés.


En Espagne ou en Belgique,


le mauvais goût de certains


costumes (officiers nazis et


caricatures de juifs au nez


crochu) a soulevé l’indignation.


LE BLOC-NOTES

C H O U PATAT E


COMMENT FAIRE MANGER plus de légumes
à Donald Trump, président au goût affirmé
pour la junk food? En procédant comme
avec les enfants, selon le contre-amiral
Ronny Jackson, ancien médecin à la Maison
Blanche, qui a indiqué au New York Times
qu’il lui était arrivé de dissimuler quelques
choux-fleurs dans la purée présidentielle.

37 %


C’est la proportion de
végétariens reconnaissant
qu’il leur arrive de manger
de la viande lorsqu’ils ont
trop bu, selon une étude
conduite pour le site
Voucher Codes Pro auprès
de 1 789 « veggies » britanni-
ques. Parmi eux, 34 % disent
renoncer à ce régime
à chaque fois qu’ils sont
ivres. Leur menu transgressif
préféré? Le kebab.

JE VOUS
DEMANDE DE
VOUS ARRÊTER

Après Florence Foresti,
qui a proscrit les
téléphones por tables
dans les salles
accuei llant son dernier
spectacle, et l’acteur
britannique Benedict
Cumberbatch, qui
avait supplié le public
de ne plus le f i lmer
sur scène, c’est au tour
d’une de ses compa­
triotes, la comédienne
Imelda Staunton,
de mener la révolte
contre les spectateurs
mal élevés, à qui elle
demande d’arrêter,
selon The Times,
de grignoter pendant
les représentations.

SIMON LANDREIN

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