Libération - 22.02.2020

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18 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 22 et Dimanche^23 Février 2020
France

appris, j’ai abandonné mon
poste et j’ai été licencié», ra-
conte-t-il au micro d’une
voix assurée, ajoutant que
«la guerre en Irak a structuré
[sa] façon de penser». Reda
Hame poursuivre : «Un men-
songe qui a entraîné la mort
de centaines de milliers d’in-
nocents.» Devant la cour, il
évoque sa recherche d’un
cousin disparu au Maroc

en 2012 : «Certains de ses an-
ciens potes disaient qu’il était
en Syrie.»
Dans le box, l’homme semble
détendu, souriant même
quand la présidente cite le té-
moignage de sa mère aux en-
quêteurs, lorsque celle-ci fait
part de son «énervement», à
l’époque, à le voir «rester à la
maison toute la journée à
jouer aux jeux vidéo». Son

avocat, Me Archibald Celey-
ron, égrène son parcours pro-
fessionnel, ses changements
d’orientation, et insiste sur
ses revirements dès qu’appa-
raît un conflit avec sa hiérar-
chie. Il lui demande «si, fina-
lement, il n’a pas planté l’Etat
islamique». L’accusé ac-
quiesce : «Carrément. On
peut même dire que j’ai fait
un abandon de poste.»•

Par
Charles
Delouche

En 2015, après huit jours à Raqqa,


le jeune homme se blesse


avec une grenade assourdissante.


Sur les conseils d’Abaaoud,
il rejoint Paris en passant par

Istanbul, Belgrade, Prague,


Amsterdam et Bruxelles.


D


errière les larges vitres
de la cage de verre,
l’accusé écoute la cour
retracer le récit de sa vie. De
son enfance à son départ vers
la Syrie pour rejoindre l’Etat
islamique, en juin 2015, et jus-
qu’à son inter-
pellation à Paris
le 11 août de la
même année.
Mine fatiguée, cheveux rasés,
barbe de trois jours, Reda
Hame est jugé depuis jeudi et
jusqu’à mardi par la cour d’as-
sises spéciale de Paris pour
«participation à une associa-
tion de malfaiteurs en vue de
la préparation d’un crime
d’atteinte aux personnes». En
détention provisoire depuis
quatre ans et demi, ce Pari-
sien de 34 ans encourt jusqu’à
vingt ans de réclusion.

«Valeurs». Lors de l’ouver-
ture du procès jeudi, la cour
d’assises s’est plongée dans le
fonctionnement de la cellule
de jihadistes fondée par Ab-
delhamid Abaaoud, le coor-

dinateur des attentats terro-
ristes du 13 Novembre qui
ont fait 130 morts à Paris et
Saint-Denis. C’est le Belge
qui a formé Hame à tirer à la
kalachnikov. Mais une fois à
Raqqa, le natif du XVe arron-
dissement est vite «refroidi»,
dira-t-il plus tard. Peu de
temps après son arrestation,
il déclarera aux enquêteurs
qu’Abaaoud lui a demandé
s’il était «prêt à tirer dans la
foule» si on lui «passait de
quoi s’armer [...]. Par exem-
ple, imagine un ­concert de
rock».
Après huit jours à Raqqa, le
jeune homme se blesse avec
une grenade russe assourdis-
sante. Sur les conseils d’Abaa-
oud, il rejoint Paris en pas-
sant par Istanbul, Belgrade,
Prague, Amsterdam et
Bruxelles. Auprès de la police,
Hame nie toute intention de
commettre un attentat sur le
sol français. Il affirme avoir
feint d’accepter
la mission de
«l’émir» Abaa-
oud pour récu-
pérer son passeport et rentrer
en France, décrit Raqqa
comme «une véritable usine»,
déclare aux enquêteurs : «Ils
cherchent vraiment à frapper
en France et en Europe.»
Ce vendredi, à la barre, l’ex-
petite amie de Reda Hame,
Sarah, raconte leur relation
de deux ans, achevée à
l’été 2014. Un couple «classi-
que, avec des projets», selon
la jeune femme, qui pour-
suit : «Lui voulait qu’on se
marie, qu’on habite ensem-
ble, mais je me sentais trop
jeune. On a finalement
rompu.» Avant qu’il ne la
contacte à nouveau, via l’ap-
plication de messagerie Vi-

ber. A ce moment-là, il dit se
trouver «en vacances» en
Turquie, et lui indique qu’il
va «passer la frontière». Dans
la salle d’audience, Hame et
son ex-compagne échangent
des regards. «Je souhaiterais
reprendre une relation avec
lui, déclare cette dernière. Je
serai toujours là.» La prési-
dente expose des échanges
de messages, deux mois
avant le départ de Reda
Hame pour la Syrie, avec une
autre jeune femme : celle-ci
se dit prête «à partir en zone
de combat» et tous deux
commentent des vidéos
«d’exactions et de personnes
tuées».

Conflit. La lecture de l’en-
quête de personnalité décrit
un jeune homme «gentil»,
«serviable», ayant vécu l’en-
fance de «monsieur Tout-le-
Monde». Son adolescence,
dans une cité du XVe arron-
dissement parisien, est mar-
quée par le divorce de ses pa-
rents et une consommation
importante de cannabis. Au
plan religieux, il a été éduqué
dans une famille de confes-
sion musulmane. «Il faisait
la prière et jeûnait pendant le
ramadan. Rien que le reste
des musulmans ne fasse pas.
C’était avant tout des valeurs
de vie, raconte à la barre sa
sœur, de dix ans sa cadette.
Mon frère a toujours été un
modèle pour moi.» Elle décrit
une éducation monoparen-
tale «réussie, dans l’honnêteté
et l’amour». Pour sa sœur,
Reda Hame est «quelqu’un
d’intelligent, qui s’intéresse à
la géopolitique». Elle dit ne
pas le reconnaître «dans les
descriptions faites par la
presse», et affirme : «D’ac-
cord, il est parti, mais ce n’est
pas un jihadiste.»
Moins d’un an avant son dé-
part en Syrie, Reda Hame a
été embauché chez le groupe
aéronautique EADS, à un
poste de chef informaticien
habilité secret-défense. Il
quitte finalement l’entre-
prise après avoir découvert,
dit-il, qu’elle concevait «des
missiles pour les sous-marins
nucléaires» : «Dès que je l’ai

De Paris à la Syrie, l’itinéraire énigmatique


de Reda Hame décortiqué au tribunal


Le trentenaire est
jugé jusqu’à mardi
par une cour
d’assises spéciale.
Il avait passé
huit jours en Syrie
à l’été 2015 aux
côtés d’Abdelhamid
Abaaoud,
le coordinateur
des attentats du
13 Novembre, avant
d’être interpellé
à son retour à Paris.

A Raqqa, en 2016. Photo Jacob Simkin. NurPhoto

L’histoire
du jour

Une travailleuse du sexe trans meurt fauchée par
une voiture au bois de Boulogne, l’acte serait intentionnel
Elle s’appelait Jessica, elle était arrivée l’an passé de son Pérou natal et fré-
quentait depuis plusieurs mois l’association Acceptess-T, qui vient en aide aux femmes trans-
genres et travailleuses du sexe. Dans la nuit de jeudi à vendredi, elle été fauchée par une voi-
ture au bois de Boulogne, à Paris, avant de ­mourir. Selon les premiers éléments de l’enquête,
rapportés par le Parisien, l’acte était intentionnel : deux témoins affirment que trois personnes
à bord d’une Clio ont délibérement foncé sur Jessica. Depuis le meurtre de Vanesa Campos, à
l’été 2018, les faits de violence se multiplient à l’encontre des trans et des travailleuses du sexe.

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