Libération - 22.02.2020

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34 u http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 22 et Dimanche^23 Février 2020


Les pochettes de disques
créées par le collectif
de graphistes ont
marqué l’imagerie rock
seventies. A l’occasion
d’une monographie
et d’une exposition
en ligne, Aubrey Powell,
un des membres
fondateurs, commente
quelques-unes
de leurs créations
les plus célèbres.

U


ne vache paisible
dans un champ pré-
sentant son arrière-
train, une famille
souriante attablée autour d’un mys-
térieux trophée noir, le visage de
­Peter Gabriel fondant comme un
pudding au chocolat... ces images
surréalistes font partie du papier
peint mental des disquaires et fans
rêvassant sur leurs vinyles dans leur
chambre depuis les années 70. Pink
Floyd, Led Zeppelin, 10 cc, Paul
McCartney ou Black Sabbath entre
autres ont intégré cet imaginaire sé-
minal marqué d’un nom : Hipgno-
sis. Un collectif de graphistes com-
posé de Storm Thorgerson (1944-
2013), Aubrey Powell (1946) et Peter
Christopherson (1955-2010) ayant
sévi de 1967 à 1982, âge d’or de la po-
chette de disque s’achevant avec
l’avènement du CD et de MTV qui
rétréciront les visuels et les dilue-
ront dans un flux d’images jusqu’au
trop-plein. «Saturation» est même
le mot que Powell, rencontré à Paris,
emploie pour parler des pochettes
d’Hipgnosis, vues, revues et paro-
diées depuis quarante ans, mais
qu’il accepte de remettre en valeur
pour une exposition en ligne et la
possibilité de se procurer des tirages
mis en vente par la galerie virtuelle
le Nouvel Opéra, ainsi que dans une
monographie chez Thames and
Hudson. Le timing, lui, semble
idéal, entre le succès de l’exposition
Pink Floyd au Victoria Albert Mu-
seum de Londres, en 2017, et la ré-

surgence des ventes de vinyles (qui
ont dépassé celles de CD en 2019).
Même si ce retour du microsillon
semble à Powell être plutôt un effet
de mode : «Le vinyle ne remplacera
jamais Spotify ou YouTube, parce
que le téléchargement est trop facile
ou gratuit, même si c’est une attitude
saine parce que le vinyle est de
meilleure qualité que le CD. En
même temps, tout est cyclique. Au

début des clips vidéo, il n’y avait pas
d’argent pour investir dedans. Ça va
revenir puisque Amazon et les sites
de streaming explorent la possibilité
de faire des vidéos spécifiques pour
la musique.»
L’exposition démontre surtout que
ces pochettes d’album sont autant
liées à la musique que fonctionnant
de façon autonome : «La plupart de
ces pochettes ne sont pas faites pour

l’artiste mais pour moi», avoue
­Powell. Elles composent un conti-
nent en soi, indéniablement bri-
tish, «Hipgnosis, c’est excentrique, bi-
zarre et spirituel, avec beaucoup de
calembours visuels», qui a d’emblée
refusé la simple photo du rocker
souriant ou triste («c’est ennuyeux»)
ou d’avoir même son nom écrit des-
sus. Powell et cie préfèrent symboles
et densité ésotérique. D’où leur nom

de bataille, jeu de mots sur «hyp-
nose», «hip» (branché) et «gnose». Et
un certain dédain pour les pochettes
contemporaines – «il n’y a pas
­beaucoup de pensées derrière, on fait
défiler ça comme sur Tinder» – et
sexy – «je n’aime pas particulière-
ment celles de Rihanna et Beyoncé où
tout est seulement look et mode».
Il n’est pas étonnant que Hipgnosis
ait fait son nid dans le rock progres-

Art / Hipgnosis,


platines


inoxydables


The Dark Side of the Moon
Pink Floyd (1973)
«Pink Floyd nous faisait confiance, on riait beaucoup avec
eux. Pour The Dark Side of the Moon, Rick Wright [claviers,
ndlr] nous disait “on peut avoir autre chose que vos idées
surréalistes, plutôt quelque chose de graphique comme une
boîte de chocolats ?” Ça nous a déprimés, Storm
[Thorgerson] et moi, car ce n’est pas notre style. Mais une
semaine plus tard, je vois ce prisme dans un livre de sciences
et j’en fais un dessin. Les gars de Pink Floyd ont
immédiatement fait “c’est ça”. Pour être honnête, je ne l’aime
pas trop. Je préfère les pochettes qui racontent une histoire.
Ici, c’est une expérience très froide, à laquelle on ne s’attache
pas, c’est toute la différence entre une idée simple et quelque
chose de plus compliqué. On dirait une pochette de
Joy Division par Peter Saville, dont j’aime par ailleurs
beaucoup le travail.»

Photos Hipgnosis
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