Les Echos - 24.02.2020

(lily) #1

Delphine Iweins
@DelphineIweins


Pa rticiper à une learning expedition,
c’est visiter l’avenir en regardant le
rétroviseur. Et pour cela, inutile de
partir à l’autre bout du monde, le plus
important est d’apprendre à s’exposer.


Vivre des expériences marquantes
« Rester en France apporte une certaine
singularité. Le problème de la logistique
n’existe plus, vous pouvez donc faire des
choses plus déstabilisantes
», estime
Clément Berardi, cofondateur du cabi-
net Quartier Libre. Par exemple, pour se
rappeler les fondements du commerce
et de la vente au meilleur prix, pourquoi
ne pas passer quelques heures dans une
criée du Finistère ou au marché aux
bestiaux de Parthenay, dans le Poitou,
où le règlement livraison « cul au
camion » se pratique toujours?
« Les dirigeants pensent qu’ils doivent
aller de plus en plus vite, ce qui fait qu’ils
ne peuvent plus jouer leur rôle. L’expres-
sion même de “learning expeditions” pose
problème, ce qui compte c’est vivre des
expériences marquantes
», considère
Francis Rousseau, cofondateur du


L comme Lagos
On résume parfois Lagos à un cauche-
mar urbain, fait d’embouteillages, de
pollution et de violence. Ce portrait
véridique, mais peu flatteur, cache
pourtant une ville en pointe sur les
enjeux du développement du numéri-
que dans un pays encore très pauvre.
Pays le plus peuplé d’Afrique, le Nigeria
est un gigantesque marché en devenir.
C’est à Lagos que la première licorne
d’Afrique, la plateforme d’e-commerce
Jumia, a été fondée. C’est aussi là qu’est
né « Nollywood », le Hollywood nigé-
rian, qui produit davantage de films par
an que son homologue états-unien.


N comme Nairobi
Surnommée la « Silicon Savannah », la
capitale kényane s’est imposée comme
la scène tech d’A frique de l’Est. Connue
pendant de nombreuses années comme
la capitale des ONG – d’où son surnom
de « Charity City » – Nairobi est
aujourd’hui davantage mise en avant
pour avoir permis l’émergence du
mobile banking. La « Silicon Savan-
nah » mise également sur d’autres
secteurs : santé, agriculture ou encore
gouvernance. La capitale entend bien
être la porte d’entrée pour l’Occident et
l’Asie de l’Afrique de l’Est, au cœur
d’une région annoncée comme la future
locomotive du continent africain.


R comme Rio de Janeiro
S’il est bien un continent à ne pas négli-
ger lors d’un business trip, c’est l’Améri-
que latine. Et le Brésil, fragilisé depuis
l’arrivée au pouvoir du président
d’extrême droite Jair Bolsonaro, est une
destination intéressante pour tous les
responsables de ressources humaines.
L’environnement de travail d’un point
de vue de sa législation, de la fiscalité et
de l’immigration attire de plus en plus
d’expatriés. Chaque responsable pourra
s’inspirer des expériences de Saint-Go-
bain Brazil, EY, Backer ou Roche qui ont
déjà fait ce choix. Les sites industriels
du quartier Campo Grande seront aussi
prêts à ouvrir leurs portes.


S comme Singapour...
Célèbre pour ses règles concernant la
propreté qui frisent la paranoïa, la cité
Etat asiatique est également connue
dans les milieux techs pour être en
pointe sur les fintechs. La ville en comp-
tait 18 en 2015, et plus de 300
aujourd’hui. Elle accueille également le
plus grand événement fintech du
monde : le FinTech Festival. La cité Etat
comprend aussi, pour une superficie
quatre fois inférieure à celle du Luxem-
bourg, près de 200 banques. Singapour
est également en pointe sur le thème
des smart cities. La ville a notamment
été classée « smart city la plus avancée
du monde » par le classement IMD
Smart Cities en 2019.

...et Stockholm
Une quarantaine de pôles de compétiti-
vité pour autant d’incubateurs. Derrière
sa façade un peu sage, Stockholm cache
un joli hub d’innovation où ont pu

émerger et grandir plusieurs licornes
comme King – le concepteur de Candy
Crush –, Skype, Spotify ou encore les
deux fintechs iZettle et Klarna. Classée
parmi les villes les plus innovantes
d’Europe, la capitale suédoise est aussi
reconnue pour son expertise en matière
de développement durable – l’écoquar-
tier de Hammarby Sjöstad est devenu
une référence mondiale –, de villes
intelligentes, mais aussi de culture
managériale, fondée sur l’horizontalité,
la confiance, la collaboration et le déve-
loppement personnel des collabora-
teurs. De quoi donner des idées aux
groupes hexagonaux en pleine transfor-
mation interne et stratégique.

T comme Tallinn...
Que ce soit pour un week-end d’évasion
ou pour une learning expedition, l’Esto-
nie n’est pas forcément la première
destination qui vient à l’esprit. Et pour-

D
ou

ze

no
uve
auxterritoiresàe
xp
lor
er

Rio de Janeiro


Dubaï


Nairobi


Lagos


Bangalore


Amman


Turin


Tallinn


Stockholm


Tel Aviv


Singapour


Dublin


tant, loin d’être ankylosée dans son
passé de capitale d’un ancien pays sovié-
tique, Tallinn s’est en moins de trois
décennies transformé pour s’imposer
comme l’un des berceaux de start-up, à
l’image de Bolt, les plus dynamiques du
continent européen. Elle a su capitaliser
sur la digitalisation très avancée de son
administration pour diffuser une cul-
ture numérique à l’ensemble de sa
population, et faire émerger une géné-
ration de développeurs particulière-
ment en pointe en matière d’intelli-
gence artificielle et de blockchain.

...Tel-Aviv...
Grande rivale de la côte ouest des Etats-
Unis, Tel-Aviv est devenue une destina-
tion courante des learning expeditions.
Partir de rien n’angoisse pas les Israé-
liens. Dans cette Terre promise aux
start-up, à la recherche médicale et à la
cybersécurité, la prise de risque ne
s’accompagne pas d’une peur de l’échec.
De quoi inspirer les cadres dirigeants
des grands groupes. Ils pourront orien-
ter leur voyage sur des thématiques
techs, mais aussi finance. Troisième
hub de fintech au monde, avec près de
500 fintechs attelées à la gestion des
finances, aux méthodes de paiement,
aux data analytics et à la blockchain,
Tel-Aviv dispose d’une forte concentra-
tion d’ingénieurs et d’universités prêts à
montrer leurs savoir-faire.

...et Turin
Ce n’est pas tant sa nouveauté que le
dynamisme de l’incubateur I3P qui doit
pousser à envisager le nord de l’Italie
pour un voyage d’apprentissage. L’incu-
bateur de l’Ecole polytechnique de Turin
se classe ainsi parmi les meilleures
structures publiques du genre dans le
classement UBI 2019-2020. Créé en 1999
pour soutenir l’entrepreneuriat, dans
l’industrie innovante, I3P a notamment
abrité la jeune pousse Enerbrain qui a,
depuis trois ans, raflé de nombreux prix
pour son système de régulation dynami-
que des systèmes de chauffage, de refroi-
dissement et de ventilation des bâti-
ments – un boîtier intelligent qui permet
d’améliorer la qualité de l’air, de réduire
la consommation et les émissions de
CO 2 , grâce à des capteurs et des algorith-
mes. Stratégique.n

cabinet Quartier Libre et coauteur de
l’ouvrage « On ne dirige pas une boîte
avec des camemberts ». Une rencontre
avec la communauté autonome du
plateau de Millevaches, dans le Limou-
sin, ou avec les élus du Conseil munici-
pal de Saillans, dans la Drôme, qui
étudient les enjeux de la démocratie
participative donne lieu à des pistes de
réflexion intéressantes. Le mouvement
des « makers », promoteurs de la reloca-
lisation industrielle locale, peut aussi
constituer une expérience de recon-
nexion au réel. C’est ainsi que des entre-
prises partent à la rencontre des acteurs
de la filiale textile de Lyon, notamment
des fabricants de tissus et d’articles de
soie, des créateurs et designers textiles.

Reprendre contact avec la réalité
Pour susciter l’innovation, il existe
certes des lieux dédiés aux avancées
technologiques – l’incubateur Station F
à Paris, le campus The Camp d’Aix-en
-Provence, etc. – mais aussi beaucoup
d’autres moins attendus. « Aujourd’hui,
les directeurs généraux ont déjà tout vu
des incubateurs, des accélérateurs, etc.
Cela n’apporte plus vraiment de valeur
ajoutée ; à la fin de la tournée, il n’en
ressort plus beaucoup d’idées », déve-
loppe Julien Eymeri, troisième cofonda-
teur de Quartier Libre. Une grande
marque de champagne désireuse de
rajeunir son public s’est ainsi déplacée à
Paris pour comprendre les habitudes
des consommateurs visés. Durant
24 heures, une équipe a visité les quar-
tiers de l’Est parisien, où vit cette cible, a

Il n’est pas toujours utile d’aller


à l’autre bout du monde pour vivre


une expérience marquante


et se reconnecter à la réalité.


Et pourquoi pas


en France?


circulé en métro pour prendre connais-
sance des formes de publicité affichée et
consommé dans des bars à cocktails
susceptibles d’utiliser leurs produits.

Se reconnecter
aux enjeux business
En circulant davantage dans l’Hexa-
gone, les cadres dirigeants se reconnec-
tent aussi beaucoup plus aux enjeux de
leur business et créent d’autres liens
avec leurs fournisseurs et clients. Le
comité de direction d’un opérateur
urbain devait réfléchir à l’avenir de
certains quartiers dans le cadre
du chantier du Grand Paris. Aucun de
ses membres n’avait vécu dans les
endroits concernés. Le codir a donc été
délocalisé durant plusieurs mois dans
un squat urbain de la Seine-Saint-Denis
afin de mieux se rendre compte de la
signification des enjeux de telles cons-

tructions. Ce département est d’ailleurs
très actif en termes de proposition de
« business trips ». « Grâce au foncier
disponible, à la perspective du Grand
Paris Express et à la proximité de l’aéro-
port de Roissy, un écosystème s’est créé en
Seine-Saint-Denis, et les entreprises
présentes repensent souvent leur organi-
sation, leur façon de travailler, leur
modèle de production ou de manage-
ment », assure Vincent Chartier. Et le
responsable de la communication et de
la promotion de Seine-Saint-Denis
Tourisme de citer comme modèles
originaux, dignes d’une visite d’un jour
ou de quelques heures : BETC, Paprec,
La Cité Fertile, Les Arts codés, le fab lab
ICI Montreuil, l’hôpital Avicenne de
Bobigny pour son utilisation des outils
numériques, ou encore le Musée de l’air
et de l’espace du Bourget qui a repensé
son parcours de visite.n

Le plateau de Millevaches, en Corrèze. Photo Luc Olivier/Getty Images/Photononstop


Jean-Ma rie Cunin

L


es st yles de management
évoluent, les learnings expedi-
tions aussi. Ces dernières
avaient coutume de proposer à leurs
participants de se déplacer à l’étran-
ger pour visiter un maximum
d’entreprises en un minimum de
temps. Aujourd’hui, ces voyages de
découverte ont adopté un rythme
plus apaisé, et leurs participants
tiennent à en retirer des bénéfices
plus tangibles. Décryptage avec
Martin Pasquier, cofondateur et
directeur général de Innovation Is
Everywhere, une société spécialisée
dans l’organisation de tels voyages.

1 Résoudre des problèmes
concrets
Participer à une learning expedition,
ce n’est plus nécessairement recher-
cher comment changer de business
model en s’inspirant des autres, mais
plutôt des sources d’inspiration pour
résoudre des problèmes concrets.
Selon Martin Pasquier, il n’est plus
rare que certaines sociétés cher-
chent à résoudre une difficulté très
opérationnelle, et fassent le tour des
entreprises d’un pays pour trouver
une solution. « Nous avons eu récem-
ment le cas d’une entreprise dans le
secteur du tourisme, qui avait lancé
une application de réservation. Mais
le taux de téléchargement restait trop
bas. Ils sont venus voir la concurrence
en Asie-Pacifique, pour faire un ben-
chmark des entreprises qui ont des
taux de téléchargement élevé. Ils sont
rentrés, et nous ont envoyé un e-mail
sympa, pour nous dire qu’ils avaient
gagné 20 % de taux de téléchargement
depuis leur retour en France »,
s’enthousiasme le jeune entrepre-
neur.

2 Observer
les comportements
Une learning expedition en Asie ou
en Afrique donne à chacun l’occa-
sion de sortir de sa zone de confort.
« Il y a trois ans, nous avons accueilli
le comex d’une grande société énergéti-
que française en Asie. Le PDG devait
partir, et la learning expedition a
aussi servi à analyser le comporte-
ment des deux prétendants au poste.
Résultat, l’un s’est révélé être très
arrogant, et l’autre très effacé, la
société a fini par recruter en externe »,
pointe l’expert. Une mise en situa-
tion grandeur nature, pour un recru-
tement original.

3 Faire émerger des talents
La rétention des talents est l’une des
clés principales de la réussite des
organisations. Une learning expedi-
tion permet de souder les futurs
leaders de l’entreprise, mais aussi de
les évaluer sur le terrain. « Un jour,
une entreprise nous a envoyé 300
managers âgés de 35 à 45 ans. Nous
avons dû organiser 10 classes de 30
personnes, avec des programmes
variés », souligne le spécialiste. Une
façon de motiver les équipes et de
détecter parmi elles les futurs top
managers.

4 Développer l’innovation
managériale
L’innovation peut également se loger
dans les pratiques de management.
« De plus en plus de sociétés cherchent
à découvrir les méthodes d’autres pays.
Par exemple, en Chine, des entreprises
pratiquent le darwinisme managérial :
des équipes travaillent sur le même
projet en parallèle, et les moins bonnes
sont... licenciées », souligne Martin
Pasquier. Radical... mais les entrepri-
ses occidentales ne viennent pas
forcément copier un tel modèle, mais
plutôt aussi constater la réalité éco-
nomique d’un pays précis.n

4 nouvelles


tendances


... / ... INNOVATION


Six bonnes raisons
de partir en voyage
d'affaires
Plus d’info sur
echo.st/m317342

36 // EXECUTIVES Lundi 24 février 2020 Les Echos

Free download pdf