Le Monde - 08.03.2020 - 09.03.2020

(Marcin) #1
0123
DIMANCHE 8 ­ LUNDI 9 MARS 2020 culture| 23

André Chéret,


le père de


Rahan, est mort


Le dessinateur, âgé de 82 ans,


s’est éteint jeudi 5 mars. En 1969,


il avait créé le héros préhistorique


DISPARITION


C


ette fois­ci, Rahan est
définitivement orphe­
lin. Dans ses aventures,
le plus célèbre héros
préhistorique de la bande dessi­
née évoque souvent son père, le
sage Craô, lequel, juste avant de
mourir, lui avait offert son collier
à cinq griffes, chacune symboli­
sant une vertu dont il devrait
faire usage par la suite (la généro­
sité, le courage, la ténacité, la
loyauté et la sagesse).
Rahan avait également deux gé­
niteurs, au sens artistique : le scé­
nariste Roger Lécureux, mort
en 1999, et le dessinateur André
Chéret. Ce dernier s’est éteint jeudi
5 mars, à l’âge de 82 ans. Il rejoint le
« territoire des ombres », nom
donné à l’au­delà dans cette série
au long cours (deux cents épiso­
des) revisitant la vie des premiers
hommes, restée culte dans la mé­
moire des lecteurs de Pif Gadget.
Né le 27 juin 1937 à Paris, André
Chéret est placé dans une famille
d’agriculteurs de l’Allier deux ans
plus tard, alors que la guerre
éclate. Son goût pour le dessin lui
donne l’occasion de croquer de
nombreux animaux, ce qui de­
viendra l’une de ses spécialités.
De retour dans la capitale à la fin
du conflit, il se plonge dans la lec­
ture des illustrés de l’époque, no­
tamment le magazine Fillette, pu­
blié par les frères Offenstadt.
Dans ses pages, une série dessi­
née par René Pellos (le futur re­
preneur des Pieds nickelés) va par­
ticulièrement le marquer : Durga
Râni, du nom d’une reine de la
jungle fortement inspirée des
aventures de Tarzan – Tarzan, une
influence majeure d’André Chéret
quand il s’attaquera à Rahan, bien
des années plus tard.
Embauché en 1952 dans une im­
primerie, à l’âge de 15 ans, il intègre
ensuite rapidement une agence
spécialisée dans la publicité pour
le cinéma. Il y développera ses qua­
lités pour le dessin réaliste et le la­
vis, avant de placer quelques illus­
trations dans les journaux de
l’homme de presse et philanth­
rope d’origine italienne Cino Del
Duca (Bonnes Soirées, Intimité,
Nous deux...). De retour du service

militaire (où il a fait la connais­
sance de Jean Giraud (1938­2012), le
futur Moebius), il publie sa pre­
mière bande dessinée dans Paris­
Jour en 1960, L’Etonnant Monsieur
K., une série verticale adaptée du
roman L’Ukrainien Khrouchtchev,
de Victor Alexandrov (1908­1984).
Commence alors une carrière
dense où, enchaîné à sa table à des­
sin, André Chéret multiplie les col­
laborations. Il travaille aussi bien
pour des titres de la presse jeu­
nesse (Radar, Mireille, Vaillant...)
que pour des journaux régionaux
(La Voix du Nord, Les Dernières
Nouvelles d’Alsace, La Montagne,
Le Progrès...) par le biais d’agences,
voire pour la presse télévisée
(Télé Feuilleton) ou à sensation
(Détective). Chéret fait partie de
ces dessinateurs exécutants, spé­
cialisés dans la reprise de person­
nages existants, tels que Rock l’in­
vincible et Bob Mallard, ou adap­
tés de héros romanesques, tels que
Sherlock Holmes et Vidocq.

Don pour le dessin anatomique
Successeur de Vaillant, le maga­
zine Pif – bientôt rebaptisé Pif
Gadget – est lancé en 1969. Il faut
des séries nouvelles pour remplir
les pages de cette revue émanant
du Parti communiste français.
Rahan sera du tout premier nu­
méro, avec un épisode intitulé
Le Secret du soleil. Le duo qu’An­
dré Chéret forme alors avec le scé­
nariste Roger Lécureux va bous­
culer l’imaginaire de plusieurs
générations d’adolescents (prin­
cipalement des garçons), qui
vont se passionner pour les aven­
tures de ce héros à la longue che­
velure blonde.
Rahan est davantage qu’un
Homo sapiens habile dans le ma­
niement de son coutelas d’ivoire.
Voyageant d’un clan à l’autre, il
s’avère aussi, et avant tout, un pa­
cifiste convaincu, un humaniste
acharné, un solitaire altruiste ne
cessant d’enseigner ses savoirs à
ses congénères bipèdes – « ceux
qui marchent debout », ainsi qu’ils
sont désignés dans la série.
Rahan va donner l’occasion à
André Chéret de mettre en œuvre
son don pour le dessin anatomi­
que et le trait dynamique.
S’émancipant peu à peu du style

de son maître, l’Américain Burne
Hogarth (1911­1996, le plus fa­
meux dessinateur de Tarzan), il
fait virevolter son pinceau au gré
d’une technique qui n’en finit pas
d’ébahir ses admirateurs.
Il faut un dessinateur de cette
trempe pour mettre en image les
scénarios poético­rocamboles­

ques de Lécureux, riches en ac­
tion et en animaux féroces. La sé­
rie va connaître un succès fulgu­
rant et faire les beaux jours de Pif
Gadget (qui tire alors jusqu’à un
million d’exemplaires), avant de
faire ceux de la maison d’édition
Soleil. Dans les années 1990 et
2000, celle­ci rééditera la saga

sous forme d’albums en misant
sur la carte nostalgique.
La notoriété du « fils des âges fa­
rouches » va conduire les éditions
Vaillant à publier un trimestriel
indépendant et homonyme, Ra­
han. Doté également d’un gad­
get, il offrira à ses jeunes lecteurs
l’occasion de parader dans la cour
du collège ou du lycée avec un
collier de griffes de tigre à dents
de sabre autour du cou ou un
coutelas d’ivoire (en plastique, en
fait) sous la ceinture.
Soumis à des cadences de paru­
tion infernales, André Chéret
aura la surprise de voir un autre
dessinateur, Guido Zamperoni
(1912­2003), s’emparer briève­
ment de son héros sans son ac­
cord ni même sans qu’il ait été
prévenu.
Il créera par la suite un studio
afin de former des élèves à son
style, dans le but de le suppléer
ou de l’aider. Mais l’expérience
tournera court. Il en sera de
même d’une adaptation en long­
métrage en images réelles, qui ne
verra jamais le jour (à l’inverse
d’une série animée de vingt­six
épisodes). Idem d’un parc d’aven­
tures en Dordogne, qui fermera
ses portes au bout d’un an.
Installé en Sologne dans les an­
nées 1990, André Chéret verra en
revanche un établissement sco­
laire prendre le nom de son hé­
ros : l’école Rahan, à La Ferté­
Saint­Cyr (Loir­et­Cher), baptisée
ainsi, en 2010, à l’initiative des en­
fants de la commune.
frédéric potet

Le dessinateur André Chéret. ÉDITIONS SOLEIL

LES  DATES


27 JUIN 1937


Naissance à Paris

1960
Première bande dessinée,
« L’Etonnant Monsieur K. »

1969
Premier épisode de « Rahan »
publié dans « Pif Gadget »

5 MARS 2020
Mort à La Ferté-Saint-Cyr
(Loir-et-Cher)
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