Le Monde - 08.03.2020 - 09.03.2020

(Marcin) #1

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D I M A N C H E 8 - L U N D I 9 M A R S 2 0 2 0

J


usqu’ici, comme les 5 à 7 millions de téléspectateurs qui ont suivi depuis

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« Le Suicidé »,
de Nikolaï Erdman.

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« Rappel », de Vald.

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CouchSurfing, pour aller
dormir chez des gens,
partout dans le monde,
et les recevoir. Même si
« c’est un peu compli-
qué, parce que j’habite
chez mes parents ».

Au café Dupont, à Paris, le 26 septembre 2019. ALDO SPERBER POUR « LE MONDE »

A l’usine Delta Metal d’Issoudun (Indre),
Tallou Barry fabrique des boulons. Des
boulons de 50 kg pour centrales nu-
cléaires, mais aussi des écrous tout
aussi maousses pour avions, des tiges
filetées pour téléphériques, des vis
pour éoliennes... Titulaire d’un diplôme
d’ingénieur des mines, délivré à Co-
nakry, et d’une licence professionnelle
en métallurgie, obtenue à Nancy, ce
Guinéen de 37 ans est chargé du traite-
ment thermique et du contrôle qualité
au sein de la PME – tout sauf de minces
responsabilités. Tallou Barry en sou-
haite cependant de plus grandes en-
core. Depuis Issoudun, où il s’est installé
en 2015, il vient de lancer un mouve-
ment politique, la Guinée visionnaire,
dans le but de devenir président de son
pays, à la fin de l’année.
Son projet est né il y a quatre
ans après un voyage à Conakry où il
souhaitait créer une start-up de com-
merce en ligne. Le manque de routes
bitumées et d’adresses postales a vite
douché son rêve d’Amazon africain.
L’étendue de la corruption l’a définitive-
ment dissuadé d’aller plus loin, avant
que n’émerge en lui un autre dessein :
« refonder le pays », dit-il, ce qui sup-
pose d’occuper le poste suprême de
chef de l’Etat, actuellement occupé par
Alpha Condé (qui projette de modifier
la Constitution afin de briguer un troi-
sième mandat, à l’âge de 82 ans).
De retour dans le Berry, M. Barry
peaufine depuis sa « vision », comme il
la nomme. Grâce à YouTube, il se forme
à « la science politique et au mana-
gement ». Sur Facebook, il publie des vi-
déos dans lesquelles il commente l’ac-
tualité guinéenne. Son objectif est de
trouver un million d’euros afin de finan-
cer sa campagne. Il compte pour cela
vendre des tee-shirts à son effigie, orga-
niser des concerts dans le pays et lan-
cer des appels au don, notamment
auprès de la diaspora guinéenne en Eu-
rope. Un ami lui a communiqué le nu-
méro de téléphone du rappeur Black M
(né à Paris de parents guinéens), mais ce
n’était pas le bon. Il espère également
joindre le footballeur Paul Pogba (né à
Lagny-sur-Marne de parents guinéens),
afin de lui exposer son projet.
Vaste projet, au demeurant.
Ex-prof de maths en Guinée (et ancien
agent de sécurité en France), Tallou
Barry envisage de créer deux lignes
de métro dans la capitale, 2 500 kilo-
mètres d’autoroute dans le pays, une
usine de transformation de la bauxite
(la richesse nationale, largement inex-
ploitée), une autre pour le minerai de
fer... Sa grande ambition est toutefois
de faire l’union entre la vingtaine de
groupes ethniques qui composent la
nation (Peuls, Malinké, Soussous...), en
marge des partis politiques existants.
Emmanuel Macron serait-il son mo-
dèle? Oui, répond-il tout de go. Mais
plus encore Napoléon III, et le baron
Haussmann : « La Guinée ressemble
au Paris des années 1850. Il n’y a pas
de route, pas de chemin de fer, pas
d’hôpitaux, les ordures jonchent la
chaussée... Tout est à refaire. »
Un drapeau aux couleurs natio-
nales pend au milieu du salon de son
modeste appartement du centre d’Is-
soudun. Resté en France après ses étu-
des, ce père de trois enfants mise sur
les réseaux sociaux pour booster sa
notoriété, quasi inexistante en Afrique
de l’Ouest. Il cherche actuellement une
salle à louer, dans une ville de l’Indre,
pour lancer officiellement sa campa-
gne. Toutes étant prises en raison des
municipales, ce ne sera pas avant avril.
Il sera alors temps pour lui de
s’envoler pour Conakry et d’y rester trois
semaines – l’équivalent de ses congés
payés non pris. L’un des objectifs de son
séjour sera médiatique : se faire inviter à
l’émission-phare du pays, « Les Grandes
Gueules », sur la radio Espace FM.

P E N D A N T C E T E M P S - L À ...
À I S S O U D U N

Des boulons


et une élection


Frédéric Potet

UN APÉRO AVEC...


TOM RIVOIRE


Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Dans « Les Bracelets rouges »,
dont la saison 3 démarre le 9 mars, sur TF1, il interprète un ado cancéreux

« Je me suis fait virer


du lycée. Normal »


Catherine Pacary

par ses parents à San Juan de Pasto, en Colombie, pour
digérer. « J’y ai fait ma scolarité. Comme ça, je me suis fait
des potes, des Japonaises, des Allemands, et j’ai découvert
leur culture. » Une photo de la joyeuse bande l’atteste sur
Instagram.
Le sujet le plus sensible reste le cancer. « Le fait d’être
pris sur une série où il y a des enfants malades, forcément
c’est difficile. Je n’ai pas vu venir le truc, en fait. C’est en tra­
vaillant le rôle que je me suis rendu compte. » Difficile de re­
lancer. Tom Rivoire enchaîne sur sa rencontre « détermi­
nante » avec Albert Espinosa, qui a inspiré son personnage
de Clément. Le jeune Espagnol a survécu à trois cancers, en­
tre 16 et 24 ans, après avoir perdu une jambe, un poumon et
une partie du foie. « C’est lui limite qui nous a mis la pres­
sion, mais d’une bonne façon. Il avait 3 % de chances de s’en
sortir. Et maintenant, il a une vision très optimiste de la vie. »
Visiblement, le jeune acteur n’en revient toujours pas. « Il
nous a dit que notre mission était de redonner courage aux
enfants dans les hôpitaux et de changer la vision des gens sur
la maladie. Il nous a fait comprendre qu’il comptait sur nous.
On ne l’a pas revu depuis la saison 1. »
Depuis une heure, des curieux postés au bar bra­
quent leurs regards dans sa direction. Le plus gaillard
s’avance. « Vous avez été rasé pour jouer dans une série? »
Cela lui arrive « très souvent » d’être accosté ainsi, mais il ne
se considère pas comme « connu » pour autant. « J’ai la
même vie que mes potes. C’est juste quand on est en tournage
où l’expérience est très différente. » Ces jours­là, une voiture
vient le chercher pour le déposer au « HMC » – pour ha­
billage, maquillage, coiffure. Certaines scènes sont réputées
difficiles. « Ce sont celles que je préfère jouer. C’est en général
lorsqu’on apprend une mauvaise nouvelle ou quand je m’em­
brouille avec mes parents. Il y a beaucoup d’émotion à faire
passer, beaucoup de dialogues. Il faut être concentré. J’ai
beaucoup de mauvaises nouvelles. »
Comprenez : des rechutes. Tom Rivoire n’en parle
pas aisément. L’année dernière, il a douté. « Je n’étais pas
sûr de vouloir continuer. » Après avoir obtenu le bac, et ad­
mis à la Sorbonne en éco­gestion, il suit finalement des
cours de théâtre au Studio JLMB à Paris. Et décide de ne plus
se prendre la tête. « Je me la suis beaucoup prise, en fait!
Maintenant, je laisse aller. Dans l’immédiat, j’ai envie de
tourner. Mais je ne garantis pas que, toute ma vie, j’aurais
envie de tourner. J’aimerais tester des rôles où on ne m’attend
pas. » Hamlet? « Ce serait l’idéal! Mais je ne suis pas pressé.
J’ai d’autres projets, comme voyager. »
La nuit tombée, Tom Rivoire repart « retrouver des
potes ». Ils vont « parler de tout et de rien », écouter du ma­
rimba, un xylophone africain, « le plus bel instrument du
monde! ». Et du rap français, une musique qu’il connaît
« vraiment bien ». Il est intarissable sur le sujet. Parmi ses
préférés, Damso, « son album Mosaïque solitaire et OEveillé,
son nouveau titre, est l’un des meilleurs pour moi, fort, très
vulgaire », mais aussi Ninho, Vald, Alpha Wann, Orelsan.
« Simple, basique », sans se prendre la tête, rasée ou non.

deux ans, chaque semaine, Les Bracelets rouges sur TF1, je
ne l’avais vu qu’assis, en fauteuil roulant, puisqu’il y inter­
prète Clément, un cancéreux amputé d’une jambe, qui
passe sa vie à l’hôpital, dans le bloc des enfants malades.
Pas très réjouissant a priori. Sauf que, dans cette micro­
société, ils rient, se disputent, s’aiment, dans une insou­
ciance à la hauteur de leur courage. Un cocktail d’Eros et de
Thanatos qui passionne un large public et m’intrigue : com­
ment passe­t­on de l’enfance à l’âge adulte en traversant un
sujet si lourd?
Un casque de scooter à la main, Tom Rivoire, 19 ans,
se faufile en souplesse jusqu’à une banquette du Dupont
Café, dans le 15e arrondissement de Paris. Blouson fluide et
baskets blanches, il arbore le look type de son âge, si ce
n’est qu’il a le crâne rasé, puisqu’il est en plein tournage de
la saison 3 des Bracelets rouges, diffusée à partir du 9 mars.
« Un coca! », commande­t­il, mais cela aurait pu être « un
Ice Tea ou une bière, je suis majeur! ». Tom Rivoire rit, de
son rire haut­perché et bref. Il a choisi le Dupont Café, sans
savoir qu’il s’agit d’une institution des brasseries parisien­
nes. Juste parce qu’il habite à côté. « Je sors à Convention,
je mange à Convention. » Il va également au cinéma à
Convention – « mon frère y travaille ». Cela fait treize ans
qu’il vit dans ce micro­village, une éternité lorsqu’on n’a
pas 20 ans. Il s’y est fait plein de « potes » – très important,
les « potes » : Eliot, Paul, Thomas, Issa, Dune... « Paul, je le
vois tous les jours. Eliot est en BTS compta­gestion. Dune,
ma meilleure amie, est en première année en Sciences Po
éco à la Sorbonne. Et c’est très dur pour elle! »
Parce que, pour lui, cela n’a pas été dur? Alors qu’il
est casté à 10 ans, pour La Guerre des boutons, de Yann
Samuell (2011), sa bouille de Poulbot frondeur convainc.
« J’avais adoré le film, le premier, en noir et blanc... Et j’ai été
pris. » Il joue Dragibus, un beau rôle, mais qui « nécessite
beaucoup de présence ». Il poursuit toutefois sa scolarité


  • « j’ai toujours eu des facilités à l’école » – et participe à qua­
    tre autres films, dont Des nouvelles de la planète Mars, de
    Dominik Moll (2015), où il campe le fils retors de François
    Damiens. Lorsqu’on lui propose Les Bracelets rouges,
    comme toujours, ses parents – lui responsable immobilier
    à la SNCF, elle agent dans un conservatoire – sont derrière
    lui. Tom Rivoire doit se raser la tête. Un acte symbolique
    qui va confronter le garçon alors âgé de 16 ans à une double
    réalité, la sienne et celle de la maladie.
    Pour la boule à zéro, aujourd’hui, il minimise : « Au
    lycée, on s’est moqué, mais c’était gentil. » En revanche, il se
    souvient des tournages compliqués, surtout dans l’hôpital
    d’Arcachon (Gironde), où techniciens et acteurs ne sont pas
    toujours bienvenus parmi les brancards des vrais malades
    et soignants. « Mais maintenant, ils sont contents, vu que la
    série a bien marché. » Au lycée toujours, où il a manqué
    quatre mois, le proviseur refuse de le garder. « C’est nor­
    mal », dit­il, en remplissant à nouveau son verre. Mais sur
    le moment, il lui faudra une année sabbatique, organisée

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