Libération - 07.04.2020

(Nancy Kaufman) #1

2 u Libération Mardi 7 Avril 2020


T


enir. Respecter la règle du
«rester chez soi» édictée il y
a maintenant quatre semai-
nes. Résister à l’appel du soleil, au
besoin d’air frais, à l’irrésistible en-
vie d’oublier le Covid. Surmonter le
ras-le-bol des piaillements d’en-
fants, les coups de sang conjugaux,
le télétravail, le confinement quoi.
Les quelques Français pris ce week-
end en flagrant délit de sortie (à
Nice, par exemple, lire page 5) ou
sur la route des vacances – la
zone C – , sont-ils pour autant le si-
gne d’un début de relâchement? La
possibilité depuis lundi de remplir
des autorisations de sortie numéri-
ques va-t-elle encourager les échap-
pées? La trouille de voir l’économie
dévisser (selon l’Insee, un mois de
confinement coûterait environ
trois points de PIB à la France sur

un an, et deux mois quelque
six points, lire aussi page 16) pour-
rait-elle avoir raison des précau-
tions sanitaires?

Vacances scolaires
De-ci de-là, commence à poindre
(forcément) la tentation de desser-
rer l’étau de l’enfermement. Elle a
été formulée, puis rectifiée, par le
Premier ministre lui-même lorsqu’il
a prononcé sur TF1 le 2 avril le mot
«déconfinement» (par tranche d’âge,
ou par territoire) sans pour autant
donner de date. Globalement pour-
tant, l’heure semble encore à la dis-
cipline. Si Martin Hirsch, directeur
général de l’AP-HP, a lancé diman-
che une sorte d’alerte sur Twitter
(«trop de monde dans les rues, trop
de flâneurs»), le gouvernement se
réjouissait, lui, d’un confinement
plutôt bien respecté, compte tenu
de la météo et du début des vacan-
ces scolaires. «Il n’y a pas eu de
grand mouvement» de population,
a résumé dimanche soir le ministre
de l’Intérieur, Christophe Castaner,

au journal télévisé de France 2 : «Les
Français ont respecté la règle même
si par endroits, des signes de relâ-
chement ont été constatés, avec des
joggeurs au milieu de familles sur les
bords du canal de l'Ourcq à Paris ou
des enfants jouant par groupes dans
des cours d’immeubles.»
Rappelons que ce week-end, plus de
160 000 policiers et gendarmes ont
été mobilisés, et près de 1,4 million
de contrôles effectués. Et au total,
depuis le 17 mars, il y a eu près de
480 000 contraventions dressées
sur 8,2 millions de contrôles, selon
le ministère de l’Intérieur.
Les abus sont marginaux. Mais les
soignants toujours à fleur de peau.
«Ce n’est pas de se balader dans la
rue qui pose problème : globalement,
les gens respectent les distances de
sécurité, reconnaît le Pr Rémi Salo-
mon, président de la commission
médicale d’établissement de
l’AP-HP. Le vrai risque, c’est de tou-
cher ce que les autres ont touché : la
poignée de porte, le bouton d’ascen-
seur, la caisse du supermarché, etc.

Le virus est très résistant, jusqu’à
plusieurs heures, sur des surfaces
inertes. Or, par réflexe, on met la
main au visage une vingtaine de fois
par heure. Et là, on peut se contami-
ner, contaminer les autres, et réacti-
ver la circulation du virus.»
Ce scénario, les hospitaliers veulent
l’éviter à tout prix, alors qu’ils com-
mencent à percevoir pour la pre-
mière fois depuis quatre semaines
les bénéfices du confinement : le
rythme quotidien des décès à l’hô-
pital, comme les prises en charge de
patients Covid en réanimation ont
reflué ce week-end. Et il n’y avait en
fin de journée lundi «que» 94 pa-
tients de plus en réanimation par
rapport à la veille (pour un total de
7072). Un ralentissement de la
hausse qui apparaît encourageant.
Mais cette tendance ne s’étend pas
au nombre des décès enregistrés
lors de cette même journée de
lundi : le ministre de la Santé, Oli-
vier Véran, a indiqué dans la soirée
que 8911 personnes étaient mortes
depuis le début de l’épidémie, soit

833 de plus en vingt-quatre heures,
dont 605 dans les hôpitaux et
228 dans les Ehpad.

Médecine
de catastrophe
En outre, les services de réanima-
tions sont toujours sur le fil du ra-
soir en Ile-de-France comme dans
le Grand Est. Et le retour de bâton,
toujours possible. «Si le confinement
se relâche, il est certain que les struc-
tures hospitalières, aujourd’hui sa-
turées, seront de nouveau engor-
gées», prédit le Dr Charles Cerf, chef
du service réanimation de l’hôpital
Foch à Paris : «En Ile-de-France, on
a doublé le nombre de lits de soins
critiques au prix d’une organisation
digne d’une médecine de catastro-
phe, sur le plan matériel et humain.
La prise en charge des malades est
dégradée par rapport à d’habitude,
même si acceptable dans le contexte.
Malgré la toute petite bouffée d’oxy-
gène des derniers jours, le système
sanitaire francilien est saturé. Une
réactivation trop rapide de l’épidé-

Dans le bois de Boulogne

Par
CATHERINE MALLAVAL
et NATHALIE RAULIN
Photos
Frédéric Stucin

éditorial


Par
Laurent Joffrin

Effort


On peut voir le bout du tunnel et
en être très loin. Il arrive même
qu’on voie de la lumière, mais
qu’on reste sur place... Les
­chiffres relativement encoura-
geants publiés ce week-end en

France, en Espagne et en Italie
ne doivent pas faire illusion. Il
est probable que, dans ces trois
pays, on ait franchi la passe la
plus difficile, grâce à l’extraordi-
naire dévouement des person-
nels de santé et aux effets enfin
tangibles du confinement géné-
ral. Mais la tempête sévit tou-
jours et la tragédie frappe encore
un nombre considérable d’indi-
vidus et de familles. Rien ne se-
rait pire qu’un relâchement sou-
dain : on verrait alors, dans dix
ou quinze jours, le bilan des vic-
times s’accroître de nouveau. Si
le confinement et les distances
sociales commencent à donner
des résultats, c’est une raison

supplémentaire, non de s’en af-
franchir, mais au contraire de
poursuivre l’effort, serait-il dé-
primant et pénible. Mieux vaut
mettre à profit ces journées
­mises entre parenthèses pour ré-
fléchir à la suite. Les problèmes,
chacun le sait, sont redoutables.
La mise à l’abri de la grande ma-
jorité de la population, qui ré-
duit le nombre de décès et sou-
lage les services de santé, a aussi
cet effet paradoxal : les millions
de Français protégés du virus,
par le fait même, n’en sont pas
immunisés. Pour cette raison,
le grand ennemi du déconfine-
ment, c’est le confinement lui-
même. Il faudra mettre au point

un mécanisme compliqué de re-
tour progressif à la normale, en
évitant les discriminations qui
ne manqueront pas de se mani-
fester, entre les personnes im-
munisées et les autres, entre les
classes d’âges, entre les habi-
tants issus de quartiers inégale-
ment frappés par le virus. Il fau-
dra surtout disposer de tests
rapides et sûrs, qui permettront
d’y voir plus clair, de détecter
les voies d’un rebond éventuel,
de soigner rapidement les
­patients atteints. Et tirer sans
fard les leçons d’une pénurie
qui a gravement handicapé
la lutte contre le fléau dans
les premières semaines.•

CONFINEMENT


Restons planqués!


Une légère accalmie dans les hôpitaux et une météo au beau fixe :


la discipline de la quarantaine s’est par endroits relâchée ce week-end


en France. Les chiffres de lundi rappellent la nécessité de rester chez soi.


événement société

Free download pdf