04 // EVENEMENT Mardi 7 avril 2020 Les Echos
Le docteur Yacine
Tandjaoui-Lambiotte est
réanimateur à l’hôpital
Avicenne de Bobigny.
Chaque jour,
un soignant témoigne
dans « Les Echos ».
« Ce n’est que
la mi-temps »
LA CHRONIQUE
DU VIRUS
Docteur
Yacine
Tandjaoui-
Lambiotte
Propos recueillis par
Elsa Freyssenet
@ElsaFreyssenet
« Tout le monde dit que ça va
mieux mais attention fragile!
Au C HU d’Avicenne, i l y a depuis
jeudi dernier une baisse de 15 %
des passages aux urgences. C’est
une baisse modérée et elle ne se
ressent pas encore dans notre
service de réanimation, qui
reste saturé. Nous transférons
toujours des patients dans
d’autres structures. Nous espé-
rons constater un désengorge-
ment de la réanimation dans la
semaine à venir, mais cette
situation nécessite d’une part
une réévaluation constante, et
d’autre part de maintenir nos
efforts de confinement.
Nous avons certes quelques
bonnes nouvelles. Dans la
semaine qui vient de s’écouler,
quatre personnes qui avaient
été intubées ont vu leur état
s’améliorer notablement et
quitter notre service. Cela fait
du bien au moral.
Il y a quelques jours, je vous
avais parlé de mon projet de
créer une unité de sevrage venti-
latoire afin que des patients
puissent sortir de « réa » avec
un respirateur plus léger tout en
restant sous surveillance
24 heures sur 24. Eh bien, nous
avons ouvert les deux premiers
lits vendredi puis deux autres
lundi! Ce genre d’unité n’existait
pas jusqu’à présent à l’AP-HP et
c’est une piste encourageante.
Cela a été possible grâce à une
collaboration avec un ami pneu-
mologue, Maxime Patout, et une
start-up, KerNel Biomedical,
mais p as s eulement. D’habitude,
nous les médecins tapons sur les
administratifs de l’hôpital, dont
on pense qu’ils nous freinent ou
nous privent de moyens. Mais,
face à cette épidémie, une c oopé-
ration extraordinaire s’est nouée
entre eux et nous. Du coup, les
projets avancent très vite.
Je comprends que le déconfi-
nement soit évoqué car il faut
que les gens comprennent la
stratégie de sortie de crise. Cela
dit, ce n’est pas le moment que
les Français se relâchent sinon
la deuxième vague sera terri-
ble : si de nouveaux contaminés
en état grave arrivent en nom-
bre, nous ne saurons vraiment
plus comment les accueillir et il
n’y a pas de possibilités illimi-
tées de transferts dans d’autres
structures en Ile-de-France
comme en régions.
Il y a une semaine, on perdait
0-1 la bataille contre l’épidémie.
A deux minutes de la mi-temps,
nous venons d’égaliser. Ce n’est
pas maintenant qu’il faut relâ-
cher l’effort. Car nous ne som-
mes qu’à la mi-temps.n
Si de nouveaux
contaminés en état
grave arrivent en
nombre, nous ne
saurons vraiment
plus comment
les accueillir.
Confinement : l’exécutif s’inquiète
d’un possible relâchement
Grégoire Poussielgue
@Poussielgue
C’est la grande crainte de l’exécutif :
que les Français relâchent leurs
efforts et respectent moins le confi-
nement, au risque de voir le virus
repartir d e plus belle. Mis en place il
y a trois semaines exactement pour
lutter contre l’épidémie de corona-
virus, ce confinement, inédit, com-
mence à produire ses effets. Si le
gouvernement travaille déjà sur les
scénarios de déconfinement et a
nommé Jean Castex à la tête d’un
groupe de travail interministériel
créé pour l’occasion, l’heure n’est
pas encore à la sortie. « Le déconfi-
nement n’est pas à l’ordre du jour », a
martelé dimanche Laurent Nunez,
secrétaire d’Etat auprès d u ministre
de l’Intérieur.
Malgré les photos publiées le
week-end dernier montrant des
Français profitant largement des
journées ensoleillées, le gouverne-
ment ne constate pas de relâche-
ment généralisé. « Notre sentiment
est que les Français respectent glo-
balement le confinement », consta-
te-t-on à l’Elysée. Il n’en délivre pas
moins des messages de fermeté
pour ne pas relâcher la pression. Il
communique sur le nombre de
policiers mobilisés, de contrôles
- 8 millions depuis la mise en place
du confinement – et d’amendes
(480.000) pour montrer qu’il est
pleinement déterminé à le faire
appliquer strictement.
Un message de discipline
et un d’empathie
Au risque d’aller trop loin et de met-
tre à mal le message d’unité prôné
par Emmanuel Macron. Vendredi
dernier, les propos du préfet de
police de Paris, Didier Lallement,
liant le non-respect du confinement
et les hospitalisations, ont suscité
un vif émoi, obligeant l’intéressé à
s’excuser à deux reprises.
L’exécutif se veut plus positif :
lundi matin, le ministre de l’Inté-
rieur, Christophe Castaner, a
adressé un satisfecit aux Fran-
çais. Ils « font partie, dans le monde
entier, de ceux qui respectent le
mieux le confinement », a-t-il dit sur
franceinfo. Au ministère de l’Inté-
rieur, on confirme que le dispositif
est globalement bien respecté, mal-
gré d’inévitables zones de tension.
« Il y a un message de discipline à
faire passer, mais aussi un message
d’empathie », confirme un député
de la majorité.
L’ inquiétude des Français
tend à diminuer
Néanmoins, le gouvernement
entend aussi être vigilant sur la
suite : invité sur France 2 dimanche
soir, Christophe Castaner a été clair
sur le sujet. « Nous devons lutter
absolument contre le relâchement.
Le relâchement, c’est l’allié du Covid,
c’est mettre à terre les efforts que
nous avons faits, que les Français ont
faits depuis trois semaines et c’est
menacer aussi de s urcharge l e monde
hospitalier », a-t-il insisté.
Le monde hospitalier prône
aussi la vigilance, alors que la
vague épidémique est encore loin
d’avoir reflué. « Si on voit les choses
se stabiliser, c’est parce que le confi-
nement a été mis en place et qu’il a
été très majoritairement respecté, a
estimé lundi matin sur France
Inter Martin Hirsch, le patron des
hôpitaux de Paris.
Face à la légère amélioration de
la situation et à l’apparition d’une
petite lueur au bout du tunnel,
l’inquiétude des Français tend à
diminuer légèrement, comme le
montre CoviDirect, le baromètre
quotidien OpinionWay-Square
pour « Les Echos ». Dans beaucoup
de pays européens comme l’Italie,
la tendance est plus rassurante.
L’Autriche a annoncé lundi une
levée progressive des mesures de
confinement.
Mais en France, l’exécutif pré-
fère attendre avant de se réjouir. La
sortie du confinement est une
équation particulièrement com-
plexe, à plusieurs inconnues.
Comme il le fait régulièrement
depuis le début de la crise, Emma-
nuel Macron devrait s’exprimer
dans les prochains jours. D’abord
pour rappeler aux Français que le
confinement fonctionne et qu’il ne
faut rien lâcher, ensuite pour don-
ner des perspectives.n
lLe gouvernement estime que les Français respectent globalement le confinement.
lMais il reste vigilant alors qu’apparaissent de premières lueurs d’espoir.
Si la consigne gouvernementale
n’a pas varié, le ministre de la Santé
a laissé entendre samedi qu’elle
était appelée à évoluer : « On doit
être capable de produire des mas-
ques pour des personnes qui ne sont
pas des soignants, qui sont des per-
sonnes en deuxième ligne, qui vont
être en contact avec le public, voire
demain de proposer à tout le monde
de porter une protection. On est en
train de discuter de cela avec le
Conseil scientifique, les experts en
virologie, les agences sanitaires, on
est en train de leur demander de réé-
valuer la doctrine », a déclaré Oli-
vier Véran.
Revirement des autorités
sanitaires
« Nous a pprenons chaque jour », s’est
également justifié Jérôme Salomon,
le directeur de la Santé, samedi. Il y a
deux semaines, il expliquait que le
port de masques en tissu n’était « pas
indiqué », à cause des risques de
contamination induits par la mani-
pulation de ces masques.
Un début de revirement qui
s’explique par l’é volution des auto-
rités sanitaires elles-mêmes.
L’Organisation mondiale d e la santé
(OMS) a commencé à pivoter :
« Il peut y avoir des circonstances
dans lesquelles l’utilisation des mas-
ques, qu’ils soient faits maison ou
fabriqués en tissu, à l’échelle d’une
communauté, peut participer à la
réponse globale et complète à cette
maladie », a reconnu l’expert de
l’OMS, Mike Ryan, vendredi.
C’est surtout la perspective du
déconfinement qui change la
donne. P ersonne n’a la recette magi-
que pour éviter une nouvelle vague
de contaminations. Et le monde a
les yeux rivés sur l’Asie, où le port
fréquent de masques a permis à cer-
tains pays de limiter les dégâts.
Vendredi, l’A cadémie de méde-
cine a recommandé que la sortie de
confinement « soit accompagnée du
maintien de l’interdiction des ras-
semblements, du maintien des mesu-
res barrières sanitaires, mais aussi
de leur renforcement par le port obli-
gatoire d’un masque grand public
antiprojection, fût-il de fabrication
artisanale, dans l’espace public ».
La bonne nouvelle, c’est que la
production nationale de masques
pour les non-soignants monte en
puissance, à la suite de la mobilisa-
tion de nombreux ateliers et usi-
nes qui n’en fabriquaient pas avant
la crise sanitaire. Il sera donc peut-
être possible d’élargir leur distri-
bution au-delà des travailleurs
prioritaires (policiers, pompiers,
caissiers...).
La secrétaire d’Etat à Bercy
Agnès Pannier-Runacher a
annoncé il y a une semaine un
objectif d’un demi-million d’unités
par jour. Selon son entourage, il est
en passe d’être dépassé. La semaine
dernière, 3,9 millions de masques
alternatifs ont été produits et cette
semaine, on en attend 6,6 millions,
avec 102 modèles agréés. Certains
de ces équipements seront lavables
cinq fois, avec une production pré-
vue de 372.000 u nités par jour, é qui-
Le port du masque pourrait se généraliser dans l’espace public
Solveig Godeluck
@Solwii
Avec ou sans masque? Les Français
confinés ont bien du mal à savoir ces
temps-ci s’ils doivent ou non dissi-
muler le bas de leur visage avant de
sortir faire l es courses. Dans le doute,
ils sont de plus en plus nombreux à
se coudre des protections à la mai-
son ou à s’approvisionner en mas-
ques de qualité médicale ou profes-
sionnelle par des circuits parallèles.
« Il n’y a pas de changement de
ligne », a pourtant assuré dimanche
soir sur France 2 le ministre de
l’Intérieur, Christophe Castaner, en
rappelant que les masques chirur-
gicaux et FFP2 étaient réservés aux
soignants, et que policiers, gendar-
mes, pompiers devaient être équi-
pés avec les autres catégories de
masques industriels.
La stratégie officielle
demeure inchangée :
équiper les soignants,
puis les professionnels
de la « deuxième ligne ».
Mais l’Académie de
médecine recommande de
rendre le masque obligatoire
pendant le déconfinement.
« Le relâchement,
c’est l’allié du
Covid, c’est mettre
à terre les efforts
que nous avons
faits, que
les Français
ont faits depuis
trois semaines
et c’est menacer
aussi de surcharge
le monde
hospitalier. »
CHRISTOPHE CASTANER
Ministre de l’Intérieur
valant à 2,2 millions de masques à
usage unique.
(
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MILLIONS DE MASQUES
La prévision de production
attendue pour cette semaine
en France, avec 102 modèles
agréés. Elle était de 3,9 millions
de masques la semaine dernière.
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