6 |coronavirus DIMANCHE 29 - LUNDI 30 MARS 2020
« Les pays en guerre ne
doivent pas être oubliés »
Le directeur général du Comité international
de la Croix-Rouge, Robert Mardini, appelle
à aider les populations les plus vulnérables
ENTRETIEN
L
a Croix-Rouge a lancé, jeudi
26 mars, un appel aux dons
dans l’espoir de rassembler
825 millions de dollars (738 mil-
lions d’euros) pour venir en aide
aux populations les plus vulnéra-
bles face à la pandémie de Co-
vid-19. Une partie de ces dons (en-
viron 260 millions de dollars) sont
destinés au Comité international
de la Croix-Rouge (CICR) pour sou-
tenir ses missions dans des zones
de conflit et de violence. Dans un
entretien au Monde, le directeur
général du CICR, Robert Mardini,
alerte sur l’urgence d’agir au plus
vite pour prévenir la propagation
du virus dans ces régions, où il
pourrait non seulement avoir un
effet dévastateur pour les popula-
tions les plus vulnérables, mais
aussi avoir des répercussions à
l’échelle mondiale.
Quelles priorités ont été
identifiées par le CICR dans
la lutte contre le Covid-19?
Nos priorités sont les zones déjà
affectées par des violences et des
conflits armés, où les structures de
santé sont défaillantes. Par exem-
ple, le conflit au Yémen entre
aujourd’hui dans sa cinquième an-
née et la pandémie constitue une
difficulté supplémentaire pour
une offre sanitaire déjà réduite.
Cinquante pour cent des structu-
res de santé n’y sont pas fonction-
nelles car le personnel de santé ne
peut pas se rendre sur place et ne
reçoit pas de salaires. C’est la
même chose en Syrie, où 50 % des
hôpitaux et des centres pour fem-
mes et enfants ne fonctionnaient
déjà plus avant le Covid-19. Aucun
de ces conflits n’est résolu. On voit
même les bombardements se
poursuivre, notamment à Idlib,
dans le nord de la Syrie.
Les violences continuent aussi
en Afghanistan, au Sahel et dans
les pays autour du lac Tchad, pour
ne citer qu’eux. Dans des pays où
existent des conflits internes, avec
des zones contrôlées par le gou-
vernement et d’autres par l’oppo-
sition, nous sommes souvent les
seuls à entretenir un dialogue
avec les groupes armés. Nous pou-
vons les conseiller sur les mesures
à prendre pour protéger la popula-
tion du virus. C’est le cas notam-
ment des cliniques contrôlées par
les Chabab en Somalie, où seul le
CICR a accès, ou des populations
encerclées par des groupes djiha-
distes au Burkina Faso, où l’on dis-
pose d’un passage sécurisé.
Par ailleurs, il y a deux sous-po-
pulations qui sont particulière-
ment prioritaires. D’abord, les dé-
placés internes, les hommes et les
femmes qui vivent dans des
camps où les conditions sanitai-
res sont précaires, où il n’y a pas
de savon, où l’eau potable est une
denrée rare et où le manque d’es-
pace est criant. Toutes les mesu-
res de prévention et de distancia-
tion sociale, que nous pratiquons,
n’y sont pas possibles. Cela est en-
core plus problématique dans les
prisons où la densité est forte. On
travaille avec les autorités carcé-
rales pour mettre en place ces me-
sures et empêcher que le virus
entre. Il faut réduire les visites des
familles car, même si elles sont
importantes pour le moral des
détenus, elles sont un facteur
supplémentaire de risque de
propagation du virus.
Votre accès à certaines régions
est-il compliqué par les
mesures restrictives adoptées
par de nombreux pays?
Une partie de la réponse se
trouve dans le dialogue, la « diplo-
matie corona » comme l’a for-
mulé le président du CICR. Tous
les pays ont mis en place des me-
sures restrictives pour contrôler
l’épidémie, ce qui ajoute un défi
supplémentaire pour le person-
nel de santé et les travailleurs hu-
manitaires. Une partie de notre
travail, en tant qu’intermédiaire
neutre, est de sensibiliser les gou-
vernements et les groupes armés
pour qu’ils leur facilitent l’accès.
Ce sont des discussions que nous
menons actuellement pour
l’acheminement des équipe-
ments médicaux, des masques...
Il y a des zones plus difficiles que
d’autres, comme l’Iran, qui est un
pays sous sanctions économi-
ques et où l’approvisionnement
était déjà compliqué avant.
Y a-t-il un risque que des popu-
lations se retrouvent abandon-
nées dans cette crise sanitaire?
C’est la raison pour laquelle on a
lancé cet appel. C’est une piqûre de
rappel à la communauté interna-
tionale que la pandémie touche
des pays en guerre qui ne doivent
pas être oubliés. Il y a aussi, dans
les pays en guerre, un risque de
stigmatisation accrue de popula-
tions par d’autres, qui rend la ré-
ponse à l’épidémie plus difficile,
comme on l’a vu en République
démocratique du Congo dans la
réponse à l’épidémie Ebola. Un
autre élément moins visible est la
dimension de santé mentale et de
soutien psychologique. Dans les
pays occidentaux, cette question
commence à se poser avec le con-
finement. Imaginez des familles
en Syrie, à Idlib, qui ont perdu leur
maison et ont dû fuir à de multi-
ples reprises, et qui se retrouvent
désormais confrontées en plus à la
menace du nouveau coronavirus.
Le Covid-19 ne s’est pas encore
propagé à grande échelle à ces
communautés précaires. Nous
avons encore l’opportunité de
faire de la prévention pour empê-
cher que le virus s’y propage. Nous
devons mettre toutes les mesures
de prévention en œuvre dans ces
zones car, si le virus s’installe, le
risque est qu’il prenne des propor-
tions dangereuses et inquiétantes
pour ces communautés et pour le
monde entier. La pandémie ne
connaît pas de frontières. Même
pour les pays qui l’auront endi-
guée, le risque de reprise existe. Il
faut davantage de solidarité. C’est
dans l’intérêt de tout le monde de
gagner cette bataille, ça doit être
une bataille globale. Ce Covid-
est peut-être une opportunité de
mettre les différences de côté et de
joindre les efforts pour mener la
bataille ensemble.
Le risque d’une propagation du
virus dans ces zones de conflit
et de violence est d’autant plus
grand qu’elles ne disposent pas
de capacités de prise en charge
des cas les plus sévères...
On voit les systèmes de santé les
plus sophistiqués totalement dé-
passés quand les personnes ont
besoin de soins curatifs, comme
en Europe ou aux Etats-Unis.
Comment va-t-on faire dans des
pays africains où les systèmes de
santé sont extrêmement limités
ou dans les pays en guerre? Notre
espoir est que le virus ne se
développe pas dans ces pays-là
grâce à la mise en place de mesu-
res de prévention robustes, car la
mise en place de soins curatifs y
sera très difficile.p
propos recueillis
par hélène sallon
Avec 969 morts en 24 heures, le nombre
de décès connaît un nouveau pic en Italie
Malgré un chiffre record, une tendance au ralentissement des contaminations se dessine
rome - correspondant
C’
est un rituel qui s’est
imposé au fil du temps
dans la vie des 60 mil-
lions de confinés italiens. Toutes
les fins d’après-midi, le morne
cours du quotidien se charge pro-
gressivement d’un peu de ten-
sion, dans l’attente des chiffres
rendus publics par la protection
civile, qui tombent entre 17 heu-
res et 18 heures.
D’un jour sur l’autre, bien sûr,
ces informations brutes ne veu-
lent pas dire grand-chose
− d’ailleurs les communications
officielles sont toujours assorties
de longs commentaires, marqués
par la plus grande prudence. Mais
on ne peut pas s’empêcher d’y
chercher, chaque jour, une vague
raison d’espérer.
Pour cette raison, le communi-
qué de vendredi 27 mars, après
dix-huit jours d’un confinement
suivi scrupuleusement par
l’écrasante majorité des Italiens,
avait quelque chose de désespé-
rant. Avec 969 morts comptabili-
sés dans les vingt-quatre derniè-
res heures − et même si 50 de ces
victimes auraient dû être
imputées au bilan de la veille, s’il
n’y avait eu un problème de re-
montée des données du Pié-
mont − un record depuis le début
de l’épidémie, l’Italie compte dé-
sormais plus de 9 000 victimes.
Et le total quotidien du nombre
de morts paraît connaître un
nouveau pic, alors même que les
chiffres des derniers jours lais-
saient entrevoir le début d’une
stabilisation.
Certaines tendances, pourtant,
pourraient engager à l’opti-
misme, en particulier la décrue
lente mais régulière du rythme de
nouveaux cas diagnostiqués.
Ainsi, avec un peu moins de
6 000 nouveaux cas enregistrés
vendredi (soit 86 500 au total), le
nombre de patients positifs n’a
augmenté que de 7,4 %, ce qui est
le taux de croissance le plus bas
depuis le début de l’épidémie.
Nul ne nie qu’en valeur absolue
le nombre de patients positifs,
particulièrement en Lombardie
et en Emilie-Romagne, est sans
doute bien supérieur, vu l’impor-
tance de la mortalité et l’absence
des moyens de tester plus large-
ment la population. Mais il n’en
reste pas moins qu’une tendance
continue au ralentissement, si-
gne des bienfaits du confine-
ment, se dessine depuis une se-
maine environ. D’ailleurs le
nombre de morts augmente
moins vite depuis quelques
jours : ainsi le terrible chiffre de
969 décès représente-t-il une
hausse de 12 % environ, bien loin
des hausses de 25 % à 30 % par
jour observées lors de la pre-
mière semaine de confinement.
Situations très différentes
En début de soirée, le président de
la République, Sergio Mattarella,
d’ordinaire très économe de ses
prises de parole publiques, s’est
adressé à la nation pour affirmer
que « les sacrifices des Italiens, ac-
ceptés avec un grand sens civique
(...), commencent à montrer leurs
premiers effets ». Beaucoup
auront surtout retenu de cette
rare intervention un petit extrait
hors micro qui a circulé toute la
soirée sur les réseaux sociaux et
dans lequel le chef de l’Etat, à qui
on faisait remarquer qu’il était un
peu décoiffé, a lancé à son interlo-
cuteur, avec un demi-sourire : « Eh
oui, Giovanni, même moi, je ne
vais plus chez le barbier... » Com-
ment mieux rappeler que les con-
traintes du confinement valent
pour tous?
Dans le détail, les chiffres de
la protection civile traduisent
deux situations très différentes.
En effet, la Lombardie et l’Emilie-
Romagne, où résident un quart
des Italiens, comptent près des
trois quarts des victimes de
l’épidémie. Là-bas, malgré les ren-
forts de soignants venus d’Italie
et du monde entier, et en dépit de
l’augmentation spectaculaire du
nombre de lits disponibles, l’af-
flux de malades est trop impor-
tant pour être absorbé.
Hormis ces deux régions et
quelques zones limitrophes de
Ligurie et du Piémont, le reste du
pays voit son nombre de malades
(et de morts) croître à un rythme
moins soutenu, et les structures
sanitaires semblent, pour l’heure,
à même de supporter le choc.
L’enjeu est particulièrement
crucial dans le sud du pays, struc-
turellement sous-équipé, où l’épi-
démie continue à progresser,
beaucoup plus lentement qu’au
nord, et où on peut espérer absor-
ber le « pic » de l’épidémie sans
trop de dommages dans les
prochains jours.p
jérôme gautheret
A Londres, Boris Johnson, testé
positif, continue de travailler
Le premier ministre britannique assure pouvoir diriger
le gouvernement depuis Downing Street, où il est placé en quarantaine
londres - correspondante
U
ne toux persistante et
de la fièvre depuis la
veille en fin d’après-
midi : Boris Johnson
a révélé, vendredi 27 mars au ma-
tin, avoir été testé positif au coro-
navirus SARS-CoV-2. « Je me suis
isolé mais je continue à diriger le
gouvernement par le biais de télé-
conférences afin de poursuivre la
lutte contre le virus », explique-t-il
en costume-cravate, dans une
courte vidéo postée sur son
compte Twitter officiel. Après le
prince Charles deux jours plus
tôt, ce sont deux des personnages
les plus importants du Royaume-
Uni qui sont désormais malades.
A croire que Westminster est un
point chaud de l’épidémie : Matt
Hancock, le très exposé ministre
de la santé, a aussi été testé positif
au nouveau coronavirus vendredi
midi. Chris Whitty, le conseiller
médical en chef du gouverne-
ment, a avoué quelques heures
plus tard qu’il souffrait de symp-
tômes du Covid-19 et qu’il allait
s’isoler également.
La semaine dernière, déjà, David
Frost, le négociateur en chef pour
le Brexit, et l’épidémiologiste Neil
Ferguson, un des principaux ex-
perts consultés par le gouverne-
ment, avaient annoncé qu’ils se
confinaient, ayant des symptô-
mes du Covid-19 ces derniers
jours. « Où avez-vous pu attraper
ça? », avait demandé le journa-
liste de la BBC Nick Robinson
à M. Ferguson le 18 mars. « Je ne
sais pas. J’ai eu tellement de réu-
nions ces dernières semaines. Le
centre de Londres est un point
chaud en ce moment », lui avait ré-
pondu le chercheur de l’Imperial
College London.
Ces annonces sont survenues
alors que le Royaume-Uni enre-
gistrait son plus grand nombre de
décès liés au Covid-19 − soit 181 en
vingt-quatre heures. Depuis le dé-
but de l’épidémie dans le pays,
759 morts en lien avec le virus ont
été enregistrées (dans les hôpi-
taux du pays), pour un cumul de
14 579 tests positifs (depuis mars
ne sont plus testés que les mala-
des dans les hôpitaux).
Downing Street insistait cepen-
dant vendredi : Boris Johnson,
55 ans, a des symptômes légers et
reste parfaitement capable d’ef-
fectuer sa fonction de chef du
gouvernement. « Il a ressenti des
symptômes hier en fin d’après-
midi et a tout de suite fait en sorte
de n’être pas en contact rapproché
avec d’autres. Il a tenu à participer
aux applaudissements en faveur
du NHS [le système de santé] à
20 heures, mais s’est isolé dès que
les résultats du test ont été connus,
autour de minuit », a expliqué un
porte-parole.
La reine isolée
Le premier ministre devrait res-
ter confiné pendant sept jours et
travailler depuis « Number 11 »,
l’immeuble mitoyen du « Num-
ber 10 », où réside ordinairement
le chancelier de l’Echiquier à
Downing Street. « Les portes entre
Number 10 et Number 11 peuvent
être fermées afin de permettre
l’isolement », explique encore le
porte-parole. Matt Hancock,
41 ans, en première ligne depuis
le début de l’épidémie, va lui
aussi devoir travailler à distance.
Si Boris Johnson devait être
dans l’incapacité de s’acquitter de
sa fonction, c’est théoriquement
Dominic Raab, ministre des affai-
res étrangères, qui devrait assurer
sa charge temporairement.
Qu’en est-il de la compagne de
M. Johnson, Carrie Symonds,
32 ans, qui a révélé être enceinte il
y a quelques semaines et attend
son premier enfant pour la fin du
printemps? Elle est également
confinée. Et tous les ministres
ayant côtoyé le chef du gouverne-
ment ces derniers jours, le chance-
lier de l’Echiquier, Rishi Sunak, la
ministre de l’intérieur, Priti Patel,
le ministre d’Etat Michael Gove, et
les conseillers scientifiques en
chef? Downing Street ne faisait
aucun commentaire vendredi.
Le premier ministre n’a en tout
cas pas rencontré la reine depuis
au moins une semaine : l’audience
hebdomadaire avec Elizabeth II,
mercredi 25 mars, a eu lieu par té-
léphone. Les photographies de
M. Johnson et de la monarque, en
train de lui parler depuis un gros
téléphone blanc à cadran très
XXe siècle, ont d’ailleurs fait le
bonheur des tweetos.
La reine, 93 ans, est en bonne
santé, explique Buckingham Pa-
lace, mais, par précaution, s’est
isolée depuis mi-mars au château
de Windsor avec son mari, Phi-
lippe, duc d’Edimbourgh, 98 ans.
Charles, leur fils aîné, 71 ans, testé
positif mercredi, présentait alors
des symptômes légers. Mais, « en
accord avec les avis médicaux et
du gouvernement » , s’est isolé
avec la duchesse Camilla, dans
leur résidence écossaise proche
du château royal de Balmoral.
Boris Johnson se vantait encore,
le 3 mars, de « serrer la main à tout
le monde ». Mi-mars, cependant, il
a abandonné la stratégie de l’im-
munité collective, consistant à es-
pérer que l’épidémie s’épuise par
contamination d’un grand nom-
bre de Britanniques. Est-ce à dire
que lui et les autres responsables
n’auraient pas, depuis, suivi à la
lettre les conseils qu’ils profes-
sent? Se laver les mains très régu-
lièrement, respecter la distancia-
tion sociale?
« Personne n’est à l’abri »
Michael Gove, numéro deux du
gouvernement, toujours en
bonne santé, n’a pas répondu di-
rectement à la question que lui
posait une journaliste de la BBC,
lors de la conférence de presse
quotidienne de Downing Street.
« Cela montre que personne n’est à
l’abri, le virus ne fait pas de discri-
minations », s’est-il contenté de
souligner. Une chose est sûre :
Londres constitue en effet l’épi-
centre de l’épidémie au Royaume-
Uni, avec près d’un tiers des cas de
contaminations recensés.
Mi-mars, déjà, l’hôpital Nor-
thwick, au nord-ouest de la capi-
tale, avait sonné l’alarme, n’ayant
quasiment plus de lits de réani-
mation disponibles. Ces derniers
jours, le gouvernement a lancé,
en urgence, la construction d’un
hôpital de campagne baptisé
Nightingale (du nom de cette fa-
meuse Britannique, pionnière
des soins infirmiers modernes), à
l’ouest de Londres. Installé dans
un centre de conférences, il de-
vrait être opérationnel dès fin
mars, avec une capacité initiale de
cinq cents lits pouvant être por-
tée à quatre mille.p
cécile ducourtieux
Les autorités
ont lancé
en urgence, ces
derniers jours,
la construction
d’un hôpital
de campagne
à l’ouest
de Londres
« Nous avons
encore
l’opportunité
de faire de la
prévention pour
empêcher que le
virus se propage »
Avec un peu
moins de
6 000 nouveaux
cas, le nombre de
patients positifs
n’a augmenté
que de 7,4 %
vendredi