Libération - 25.03.2020

(Steven Felgate) #1

Libération Mercredi 25 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11


Devant l’hôtel
de ville de Paris,
dimanche. Photo
Alexis Sciard. IP

Christian Estrosi milite également sur le front
médical, sans avoir aucune qualification en
la matière. Dimanche, il a claironné sur Twit-
ter avoir «obtenu satisfaction» : Nice et son
CHU peuvent «mettre en place le protocole du
professeur Raoult» à base de chloroquine (lire
Libé de mardi), un traitement antipaludéen
qu’il a lui-même suivi. En réalité, les hôpitaux
niçois ont été sélectionnés dans le cadre d’un
essai clinique européen coordonné par l’In-
serm, qui vise à tester plusieurs traitements.
Les hôpitaux de Lyon, Nantes, Lille, Stras-
bourg ou encore Bichat à Paris ont également
été choisis selon une liste de critères – sur
­laquelle ne figure pas l’activisme de l’élu LR.
Car la chloroquine suscite encore beaucoup
d’interrogations au sein de la communauté
scientifique. Des doutes dont ne s’embarrasse
pas l’édile, qui plaide publiquement pour que
la médecine libérale puisse en prescrire
­également.

«Pas le moment


d’abandonner»


Dans les plus petites communes, où la figure
du maire est incontournable, les élus sont tout
autant mobilisés : faire respecter le confine-
ment, aider les plus âgés, mettre à disposition
des attestations de déplacement obligatoire,
distribuer les masques de «l’ère Bachelot»
(commandés il y a dix ans, pendant la
grippe H1N1) et soutenir le personnel soignant,
notamment en gardant leurs enfants... A la
­tâche, nombre de maires qui voulaient décro-
cher vont devoir continuer à administrer leur
commune quelques semaines, voire quelques
mois. «J’ai accompli mon mandat avec beau-
coup de passion mais quand vos petits-enfants
vous disent “Papilou, quand est-ce que tu viens
nous voir ?” vous vous dites que vous passez
à côté de quelque chose, témoigne Michel Le-
breton, 66 ans, maire de Souillé, petite com-
mune de la Sarthe. Mais vu la situation, je vais
poursuivre mes fonctions avec bon cœur, ce n’est
pas le moment d’abandonner le navire.»
Il y a aussi ceux qui, candidats à leur succes-
sion, savent qu’ils ont peu de chances d’être
élus au regard de leur score au premier
tour. Maire sortant de Marguerittes (Gard),
8 500 habitants, William Portal a été très lar-
gement distancé le 15 mars. Désavoué par ses
administrés après «trente et un ans de mai-
rie», il va devoir gérer la crise jusqu’à la date
du nouveau scrutin : «Je suis fidèle à mon
poste, on assume nos responsabilités d’élus
tant qu’elles nous sont laissées.» Mais, forcé-
ment, le second tour est toujours dans un coin
de la tête. «Je pense que je peux rattraper
l’écart, j’ai suffisamment de contacts dans les
familles qui ne se sont pas déplacées. Après, je

suis démocrate, si les gens me renvoient chez
moi, j’ai 75 ans, je rentre.»
A Saint-Denis, le communiste Laurent Rus-
sier est arrivé en deuxième position, loin der-
rière le socialiste Mathieu Hanotin. Une mini-
bombe. Les rouges dirigent la ville depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale. «Je
ne peux pas me dire que ce qui se passe est
chouette pour la campagne, ce n’est pas le su-
jet. Mais c’est vrai que les habitants doivent
avoir un maire qui est à la hauteur des enjeux
et c’est ce que je m’efforce de faire», explique
le maire en difficulté dans les urnes. En atten-
dant le second tour, Russier est un peu par-
tout. Il gère la crise sanitaire de chez lui et de
son bureau pour les réunions, en contact avec
le commissaire de la ville et le préfet du
­département. Et multiplie les vidéos pour
­convaincre ses concitoyens de rester chez
eux. Le maire cherche encore la meilleure so-
lution pour convaincre les jeunes qui traînent
en bas de quelques tours de ne pas sortir. «Les
relations peuvent être compliquées avec la po-
lice donc je vais sûrement demander aux ani-
mateurs du service jeunesse de discuter avec
eux.» La mairie contacte aussi quotidienne-
ment par téléphone toutes les personnes
âgées de Saint-Denis pour s’assurer que tout
va bien. Les journées ne sont pas plus longues
mais beaucoup plus «pesantes». Des «déci-
sions difficiles» tous les jours.
Dernier cas de figure : des maires battus dès
le premier tour qui vont rester en fonction
jusqu’à ce que les conseils municipaux puis-
sent se tenir pour officialiser l’élection de leur
successeur. Prévu ce week-end, ils n’auront
finalement pas lieu avant le mois de mai, au
minimum. Jeudi, ­Sébastien Lecornu, le mi-
nistre en charge des Collectivités locales, af-
firmait pourtant qu’il serait «compliqué de de-
mander à des maires qui ne se représentent
pas ou qui ont été battus au premier tour d’as-
sumer des responsabilités en pleine crise alors
que d’autres ont candidaté et ont été élus pour
le faire». En gros : il fallait réunir les nouvelles

équipes et leur passer la main. Mais vingt-
quatre heures plus tard, l’avis du comité
scientifique qui conseille l’exécutif a tout
chamboulé en jugeant que les conditions sa-
nitaires «n’étaient plus réunies» pour convo-
quer les nouveaux conseils municipaux.

Relais compliqué
Les néo-maires, qui se préparaient à prendre
leurs fonctions depuis une semaine, devront
donc attendre. Certains, interrogés juste
avant l’annonce du report, assuraient se
­sentir prêts, et racontaient déjà ce qu’ils vou-
laient mettre en œuvre pour faire face à la
crise. Elu maire de Cintegabelle (Haute-Ga-
ronne), commune de 3 000 habitants, le so-
cialiste Sébastien Vincini expliquait : «Nor-
malement, on n’est pas livrés tout de suite
à nous-mêmes, les maires sortants accompa-
gnent, même quand ils ont été battus. Là, ça
ne va pas être possible, on se retrouve un peu
seuls. Mais les municipalités s’appuient sur un
réseau de fonctionnaires territoriaux qui ont
un grand sens du devoir et assurent une conti-
nuité.» Pour la plupart, le sujet du report est
accessoire. Lionel Ropert, élu à Noyal-Pon-
tivy, dans le Morbihan, explique être «impa-
tient mais pas déçu». «De toute façon, c’est une
élection tronquée, et puis on pense d’abord à la
santé des gens. Je n’ai aucun état d’âme, la po-
litique paraît un peu secondaire, on risque
tous d’être touchés à un moment.»
Mais pour d’autres, ce passage de relais re-
tardé est plus compliqué. La socialiste Rafika
Rezgui a fait basculer la ville de Chilly-Maza-
rin, en banlieue parisienne, dès le premier
tour. Elle a devancé le maire sortant de droite,
Jean-Paul Beneytou, sur le fil, de 481 voix.
­Entre les deux, la relation est tendue. Ils se
croisent sur le terrain depuis des années. En
attendant sa prise de fonction, la socialiste
s’était mise au travail pour affronter la crise
sanitaire. Elle a publié un texte sur les réseaux
sociaux pour tenter d’organiser les choses :
«Je souhaitais que les personnes âgées, les
handicapés et les femmes enceintes soient
­prioritaires dans les commerces pour qu’ils
puissent faire leurs courses tranquillement.
Les commerçants étaient d’accord.» Le hic :
Beneytou lui a rappelé qu’elle n’était pas en-
core installée dans son fauteuil. Rafika Rezgui
a effacé son texte sur les réseaux sociaux. «Il
ne souhaite pas que la passation se passe serei-
nement», raconte-t-elle. Un exemple? «Dans
la ville, il y a plusieurs jeunes qui ne respectent
pas le confinement et la majorité sortante
prend des photos pour expliquer que c’est déjà
la pagaille avec moi alors que je n’ai aucun
pouvoir.» La socialiste a fait un pas en arrière :
plus un mot en attendant sa prise de
fonction.•

que dans certaines villes on a laissé les mar-
chés publics ouverts, je dis que c’est une folie»,
­assénait-il la semaine dernière. Edouard Phi-
lippe a finalement annoncé leur fermeture
généralisée lundi soir, tout en précisant que
les préfets pourraient faire des dérogations
sur appréciation des maires, les mieux placés
pour juger. Le Premier ministre a par ailleurs
limité la pratique sportive à une heure par
jour et 1 kilomètre autour du domicile.
Lui-même diagnostiqué positif au Covid-19,


Désavoué à Marguerittes


(Gard) après «trente
et un ans de mairie»,

William Portal va devoir


gérer la crise jusqu’à


la date du nouveau


scrutin : «On assume
nos responsabilités

d’élus tant qu’elles


nous sont laissées.»


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