Libération - 25.03.2020

(Steven Felgate) #1

Antiviral, antirivaux


Didier Raoult Sûr de lui, le célèbre infectiologue


marseillais suscite l’espoir et les critiques


avec son traitement contre le Covid-19.


Par Quentin Girard
Photo Olivier Monge. Myop
En raison du confinement, les rencontres pour les
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de Marseille. Il est surpris qu’on n’ait jamais entendu parler
de lui avant cette pandémie, et on s’excuse, tout contrit de
ne pas être un spécialiste. Il dit : «Il existe plusieurs théâtres.
J’ai mon théâtre, mondial, dans lequel je joue ma pièce à moi,
qui n’est pas le vôtre de théâtre, ou qui n’est pas celui de Cy-
mes.» Didier Raoult n’est pas un grand amateur des médias
et docteurs à audimat qui réduisent l’information au «niveau
des bistrots». Il estime qu’il ne peut pas «répondre à toutes les
bêtises» et enjoint les gens à aller «regarder les données eux-
mêmes», même dans des domaines dont il n’est pas spécia-
liste, comme le réchauffement climatique. En bon amateur
de Claude Allègre, l’ex-chroniqueur du Point affiche une
forme de scepticisme, ce qui ne fait rien pour changer sa ré-
putation d’iconoclaste. «Le conflit intellectuel dans la recher-
che, c’est normal. Dubito ergo sum, “je doute donc je suis”»,
balaie-t-il.
Didier Raoult est né au Sénégal. Sa famille s’installe à Marseille
quand il a 9 ans. Sa mère est infirmière, son père médecin mili-
taire. Après son bac littéraire, il devient un temps ­matelot dans
la marine marchande avant de faire son service militaire à Tahiti
et de commencer des études de médecine sur l’injonction de
son père. Marié à une psychiatre, père de deux enfants, l’admira-
teur de Napoléon et De Gaulle, de nature fonceuse, enchaîne
dès le début de sa carrière les
succès. Il devient notamment
le président de l’université
Aix-Marseille de 1994 à 1999.
Pour l’IHU, son bébé, il a ob-
tenu une subvention de pres-
que 73 millions d’euros, signe
qu’il n’est pas non plus un pa-
ria. Côté face, l’admirateur de
très bons vins a la réputation
d’être une grosse pointure, un
bourreau de travail, qui conti-
nue de recevoir les patients ou
d’étudier les rickettsioses, les
maladies transmises par les poux, tiques et puces, auprès des
SDF. Côté pile, son pouvoir omnipotent et son côté bulldozer
grognon laisse du monde sur le carreau, partout où il passe.
En 2017, un de ses chercheurs a été révoqué de la fonction publi-
que pour des faits d’agressions sexuelles. Didier Raoult a été ac-
cusé de ne pas avoir saisi suffisamment tôt l’ampleur du pro-
blème, voire d’être dans le déni. «C’est une histoire individuelle,
répondait-il à l’époque. Je ne suis pas juge, ni policier.»
«On peut ne pas le trouver sympathique mais ce n’est pas le
­sujet, analyse Nicolas Lévy, chef du service de génétique à
La Timone à Marseille. Ce qui est vrai, c’est que c’est un vision-
naire, il a bâti une structure d’infectiologie unique en Europe.
Et s’il n’avait pas les défauts qu’il a, notamment la pugnacité,
il n’y serait pas arrivé.»
Membre du conseil scientifique de Macron, dont il a annoncé
mardi qu’il ne participerait pas aux réunions, le professeur de
microbiologie se garde de trop critiquer le pouvoir en place,
mais il est évident qu’il n’aurait pas agi de la même manière.
Le chercheur juge qu’il faudrait tester massivement, isoler les
malades et les soigner au lieu de les laisser chez eux jusqu’à ce
qu’il ne soit trop tard.
Quand on lui parle de ses inimitiés avec des pontes comme
Yves Lévy, directeur de l’Inserm et mari d’Agnès Buzyn, celui
qui est célébré aux Etats-Unis où il a fait ses études post-doc-
torales commence toujours par répondre en passant par toutes
les nuances du «rien à fiche, foutre». Mais à chaque phrase
sa défiance transpire. «Paris a une espèce de syndrome de Ver-
sailles du XVIIIe siècle. Lisez Saint-Simon. Tout le monde dis-
cute avec tout le monde, se recommande entre amis, c’est très
endogamique. Le monde ne fonctionne plus comme ça au-
jourd’hui.» Au contraire, il n’a pas mots assez élogieux pour
qualifier le travail des scientifiques chinois ou coréens. «L’ave-
nir s’inscrit à l’Est : c’est là que ça se passe.»
Didier Raoult s’agace. Nos questions sont trop longues, alors
que tout est si simple. Mais il savoure aussi son moment, dans
une dernière réflexion scientifico-messianique : «Je ne suis
pas seul. Quand on est tout seul, c’est qu’on est fou ou qu’on a
atteint un degré de génie qui n’est plus compréhensible par le
reste de l’humanité. Je ne veux pas que ça m’arrive.»•

13 mars 1952
Naissance à Dakar.
2010 Grand prix
de l’Inserm.
2011 Création
de l’IHU de Marseille.
23 février 2020
Epidémies. Vrais
dangers et fausses
alertes, Didier Raoult,
(Michel Lafon).

D


idier Raoult est l’homme du moment. Celui qui divise
et dont tout le monde parle, dans les journaux télé, sur
les réseaux sociaux, en famille et jusqu’à la Maison Blan-
che. L’infectiologue en passe de devenir le médecin le plus célè-
bre de France clame que l’on peut guérir de ce satané coronavi-
rus grâce à la chloroquine, un antipalu courant. «Dès qu’il y a
un traitement, anodin, qui ne fait pas de mal et qui commence
à donner des effets thérapeutiques, il faut le prescrire. Si après,
on découvre quelque chose de mieux, on
changera. Tout ça, c’est du pragmatisme»,
nous martèle-t-il de Marseille alors qu’on
est confiné à Paris. L’homme de 68 ans in-
carne l’espoir. Notre société chamboulée, confinée et apeurée
par les bulletins mortuaires quotidiens, ne sait plus à quel saint
se vouer après les discours contradictoires et l’impréparation
des autorités politiques et sanitaires. Alors, elle veut croire en
Didier Raoult, avec ses chemises colorées sous sa blouse blan-
che et ses longs cheveux blonds, caricature du geek savant op-
tion druide gaulois. Et elle espère que sa solution est aussi effi-
cace que la potion magique de Panoramix, pas un vulgaire élixir
du Docteur Doxey. La foule de gens faisant désormais quoti-
diennement la queue devant son Institut hospitalo universi-

taire (IHU) pour être testée annonce un basculement dans une
sorte de passion du Christ revisitée à la sauce Emmett Brown.
Loin de nous l’idée de leur jeter la pierre : si on était dans le Sud
et qu’on se sentait malade, on ferait comme eux.
Dans son bureau d’une vingtaine de mètres carrés de l’IHU,
où les photos de famille se chamaillent au mur avec ses nom-
breuses récompenses, Didier Raoult explique qu’il n’est «pas
un magicien», que c’est tout simplement de la science. Il dit,
face aux attaques, ­volontiers moqueur et
cassant vis-à-vis de ceux qu’il méprise in-
tellectuellement : «Je m’en fous! Les méde-
cins qui me critiquent ne sont ni dans mon
champ ni dans ma catégorie de poids.» Dans son champ, les ma-
ladies tropicales et infectieuses, c’est un poids lourd mondial,
un des chercheurs les plus publiés dans les revues scientifiques
prestigieuses. Grand prix de l’Inserm 2010, deux bactéries por-
tent son nom (les «Raoultella» et les ­ «Rickettsia raoulti»). Ses
équipes et lui sont à l’origine de la découverte des virus géants,
du diagnostic rétrospectif de la peste au Moyen Age ou de tra-
vaux sur le bioterrorisme. La liste est longue.
L’homme affiche une confiance en ces capacités et en sa re-
nommée si grande qu’elle boucherait sans problème le port

Le Portrait


Libération Mercredi 25 Mars 2020 http://www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
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